L’essai DESTINY Breast 04 "ouvre une nouvelle ère de traitement", non seulement dans le cancer du sein, mais aussi plus largement en oncologie, selon le Dr Manuel Rodrigues. Interrogé par le Dr Constance Thibault, il commente également l'étude ATHENA-MONO dans le cancer de l’ovaire, et un essai sur le tisotumab vedotin + pembrolizumab dans le cancer cervical mtastatique.
TRANSCRIPTION
Constance Thibault – Bonjour à tous et bienvenue sur Medscape. Je suis le Dr Constance Thibault, oncologue médicale à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, et je suis aujourd’hui au congrès américain de cancérologie de l’ASCO, qui reprend en présentiel cette année.
J’ai le plaisir d’être avec le Dr Manuel Rodrigues, oncologue médical à l’Institut Curie. Nous allons voir les nouvelles actualités en séno- et gynécologie avec des études intéressantes.
DESTINY Breast 04 : trastuzumab-deruxtecan dans le cancer du sein HER2+ low
Constance Thibault – Commençons par l’étude la plus importante [ DESTINY Breast 04 ] dans le cancer du sein HER2+, qui a été présentée en plénière avec des résultats du trastuzumab déruxtécan, qui est un anticorps conjugué déjà donné dans le cadre des patientes avec des cancers du sein HER2+, mais qui le surexpriment. [1] Il y a eu des nouveautés chez les patientes avec des tumeurs HER2 dites « low », c’est bien ça ?
Manuel Rodrigues – C’est cela, exactement. C’est une étude assez enthousiasmante – pas seulement pour ce médicament et pour cette situation, mais globalement, parce que je pense que cela va changer plusieurs paradigmes de traitement en oncologie. Dans les cancers du sein, à peu près 20 % ont des amplifications HER2, donc le gène qui est amplifié, ce qui fait que c’est très fortement surexprimé. On utilise depuis maintenant 20 ans au stade métastatique et depuis une grosse quinzaine d’années au stade localisé, le trastuzumab et ses cousins qui sont des anticorps dirigés contre cette protéine HER2, mais qui ne sont efficaces que quand c’est amplifié. Il faut qu’il y ait cette amplification. Le trastuzumab déruxtécan est donc un ADC (anticorps drogue-conjugué) de nouvelle génération dirigé contre HER2, et il a montré une efficacité très importante sur ces cancers du sein HER2 amplifiés au stade métastatique, où il fait mieux que les autres anti HER2 ― même mieux que les anticorps drogue-conjugués qu’on a déjà depuis plus longtemps, comme le T-DM1, au prix, aussi, de toxicités, mais on reviendra là-dessus. Et cela marche tellement bien que la question logique était de se dire « mais est-ce qu’on ne pourrait pas descendre un peu le seuil » et ne pas faire seulement dans les HER2 amplifiés, mais juste dans les HRE2 exprimés pas forcément fortement (donc ce concept d’HER2 low). On grade l’expression d’HER2 de 0 à 3+, donc là c’est d’aller chercher les 1+ / 2+. C’est important, parce que sur ces 84 %-85 % de patientes qui ne sont pas HER2 amplifiées, il y en a 60 % qui sont HER2 low, donc la moitié de nos patientes, ce qui est beaucoup de patientes.
Dans cette étude, cet anticorps a été comparé à un traitement au choix de l’investigateur, qui étaient de bons traitements de référence : l’érébuline, la capécitabine. Cela a montré une efficacité très nette avec une PFS qui passe d’une médiane de 5 à 10, un bénéfice en survie globale de 17 à 24 avec des hazardratio impressionnants : 0,5-0,6. Cela a donné lieu à une publication dans le NewEnglandJournal of Medicine[1].
La question que je pouvais me poser est : est-ce que cela a marché aussi bien dans les 2+ que les 1+ ? Parce que peut-être qu’il faut quand même que cela soit fortement exprimé. Et les analyses de sous-groupe montrent que c’est identique dans les 1+ et les 2+. Donc il suffirait qu’il y ait un signal dans la tumeur pour qu’on puisse les traiter.
Il y a des toxicités, c’est un médicament qui est beaucoup moins facile à manier que les précédents médicaments de cette famille qui étaient assez simples. Ce sont des toxicités comme on peut les observer avec des chimiothérapies ou des thérapeutiques – ce n’est pas, non plus, trop compliqué. Il faut se méfier des pneumopathies interstitielles, il y en a quand même 10 % ; il faut se méfier de la fatigue, c’est quand même un médicament qui est assez fatigant ; il y a aussi de l’alopécie ; et il y a même un risque de décès, puisqu’il y a environ 0,8 % des patients qui sont décédés avec ce traitement. Donc c’est quand même un médicament toxique.
Après, pourquoi est-ce important, pourquoi cela dépasse complètement cette question et cette situation ? Là, on s’attaquait à des maladies graves – la plupart étaient RH+, mais il y avait aussi des triples négatifs avec un fort bénéfice. Donc cela vient attaquer la position du sacituzumab govitécan, qui avait été la grande révolution il y a quelques années, l’ADC anti-Trop-2, donc cela va vraiment changer les choses pour ces patientes avec des cancers graves, pour les RH+ aussi, parce que le sacituzumab govitécan a aussi été présenté et les résultats sont un peu moins enthousiasmants que ce qu’on avait connu dans les triples négatifs. D’où la question de se dire : « est-ce que 1+ est nécessaire ou est-ce qu’on ne pourrait pas descendre encore plus bas ? » Donc il y a un essai clinique pour les HER2 zéro, parce que quand on dit zéro il y a parfois des ultra-low, juste quelques cellules, ce qui ouvre la question, ensuite, de savoir pourquoi cela marche. Parce que quand il n’y a que quelques cellules qui expriment HER2, pourquoi cela marche ? La question reste ouverte, je ne vais pas aborder cela. Mais aussi pour les autres patients atteints de cancer, parce que le trastuzumab déruxtécan est arrivé également dans les essais cliniques pour l’estomac, forcément, parce que c’était la deuxième AMM pour le trastuzumab dans un deuxième type de cancer, pour le cancer du poumon HER2 muté – il y a une question pourquoi, mais, en tout cas, cela marche aussi – et cela ouvre tout un champ, non seulement des HER2 amplifiés, comme dans certains autres cancers, en gynéco ou d’autres, mais aussi dans les HER2 low dans les autres cancers.
Il va y avoir beaucoup de cancers différents, et pour dépasser la question de cette molécule avec ce laboratoire, c’est toute cette nouvelle technologie des ADC qui est arrivée : on peut accrocher plus de molécules cytotoxiques sur l’anticorps qui les rend beaucoup plus efficaces. Et je pense que, vraiment, on n’est encore qu’au début de cette ère des ADC et que cela va être révolutionnaire dans les prochaines années pour tous ces patients.
Constance Thibault – Ce sont donc des résultats assez impressionnants et qui devraient changer les pratiques dans l’immédiat, en tout cas dans les cancers du sein…
Manuel Rodrigues – Oui. C'est une nouvelle ère de traitement, je pense qu’une nouvelle classe est en train d’émerger très fortement.
Constance Thibault – Après le boom des immunothérapies, le boom des ADC et pas que chez les malades qui expriment fortement la cible, donc c’est une grosse nouveauté.
ATHENA-MONO : l’inhibiteur de PARP rucaparib dans le cancer de l’ovaire
Constance Thibault – Y-a-t’il eu des nouveautés dans les cancers de l’ovaire ? C’est vrai que les PARP étaient sur le devant de la scène depuis quelques années avec pas mal de molécules dès la première ligne. Qu’en est-il cette année sur ce plan ?
Manuel Rodrigues – Oui, les inhibiteurs de PARP sont, dans les cancers de l’ovaire et même dans les autres cancers, extrêmement efficaces dans les tumeurs BRCA mutées, ce qui est, quand même, un tiers des cancers de l’ovaire. Ils sont également efficaces dans ce qu’on appelle les HRD, ceux qui ressemblent à des BRCA mutés, mais qui ne le sont pas – c’est 20 % des cancers de l’ovaire. Donc au total, chez 50 % des patientes, cela marche extrêmement bien. Et on a des résultats depuis quelques années, notamment en 2019 – avec l’olaparib, le niraparib, le véliparib, qui étaient des résultats très impressionnants avec des gros hazardratio. Il y a une quatrième molécule dans les cancers de l’ovaire : c’est le rucaparib, qui arrive relativement en retard avec l’étude ATHENA-MONO présentée à l’ASCO [2] et qui montre des résultats assez similaires avec ce qu’on a observé avec les autres inhibiteurs de PARP ― donc oui, cela marche extrêmement bien chez les BRCA mutés. La question de l’HRD est peut-être plus difficile, parce que là ils n’ont pas utilisé le même test, mais un autre test qu’on appelle LOH et qui est, peut-être, un peu moins fiable. Mais c’est une question qui reste ouverte ― ce n’est pas une grosse nouveauté, on a déjà plusieurs molécules qu’on prescrit déjà au quotidien depuis longtemps, donc cela ne va pas beaucoup changer…
Constance Thibault – Le profil de tolérance de ce PARP est-il un peu différent des autres ou très similaire ?
Manuel Rodrigues – Très similaire. Sur le plan hémato, il fait partie de ceux qui sont plutôt faciles. Par contre, il a une toxicité hépatique classique, mais qu’on sait gérer maintenant, ce qu’on utilise déjà pour les patientes en rechute.
Tisotumab vedotin + pembrolizumab dans le cancer du col métastatique
Constance Thibault – Quelles sont les nouveautés dans le cancer du col ?
Manuel Rodrigues – Dans le cancer du col on va revenir sur les ADC. Il y a le tisotumab védotin, qui est une molécule qu’on a vu émerger il y a quelques années. C’est un ADC anti-facteur tissulaire qui avait montré des résultats très impressionnants en deuxième ligne chez ces patientes atteintes de cancer du col de l’utérus métastatique. Et là, c’est une étude de phase II européenne [3] qui est intéressante, parce qu’ils se posent la question de savoir "est-ce qu’on ne pourrait pas le combiner à d’autre chose" et en particulier à la chimiothérapie, à de l’immunothérapie – du pembrolizumab – et les résultats sont très impressionnants. Avec le pembrolizumab on augmente l’efficacité… on espère des efficacités longues, donc la destruction des cellules tumorales par l’ADC, puis le pembrolizumab qui entretient, et avec la chimio, des résultats encore plus impressionnants, donc demain, probablement, des combinaisons avec ces trois classes de molécules. Cela va être une vraie évolution dans les prochaines années.
Constance Thibault – D’accord. Cela bouge quand même pas mal ! Merci, Manuel, pour toutes ces actualités… et je vous donne rendez-vous sur Medscape [pour une deuxième partie consacrée aux cancers urologiques et néphrologies de l'ASCO 2022 ].
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Citer cet article: ASCO 2022 : nouveautés dans les cancers du sein et gynécologiques - Medscape - 8 juin 2022.
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