Le Dr Constance Thibault résume 3 études à retenir dans les cancers du rein, de la prostate et de la vessie, présentées au congrès de l’ASCO 2022.
TRANSCRIPTION
Manuel Rodrigues – Bonjour et bienvenue sur le site de Medscape. Je suis le Dr Manuel Rodrigues, oncologue médical à l’institut Curie, à Paris, et j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui au sein du congrès de l’ASCO 2022, qui reprend en présentiel, le Dr Constance Thibault de l’hôpital européen Georges-Pompidou, du service d’oncologie médicale.
Constance Thibault – Bonjour !
Manuel Rodrigues – Nous allons parler d’urologie et en particulier de 3 localisations : le rein, la prostate et la vessie, et tout d’abord, sur le traitement adjuvant des cancers du rein, qui est un sujet qui a beaucoup évolué ces dernières années avec des essais cliniques, avec des TKI et avec des anti-PD-1. Là, encore un nouvel essai clinique a été présenté.
EVEREST : l’évérolimus en adjuvant après néphrectomie dans le cancer du rein
Constance Thibault – Exactement. C’était une étude qui s’appelle EVEREST [1], une étude de phase III qui évaluait l’intérêt de l’évérolimus en traitement adjuvant après une néphrectomie chez les patients avec un cancer du rein. C’est vrai que dans les traitements adjuvants dans le cancer du rein, il y a eu plusieurs études avec les anti-angiogéniques. Elles étaient globalement toutes négatives à l’exception d’une seule, qui était l’étude S-TRAC avec le sunitinib qui avait démontré un bénéfice en survie sans récidive, mais du fait de la toxicité, c’est très peu fait en pratique. Et puis plus récemment, on a eu des essais avec l’immunothérapie, notamment le pembrolizumab avec, là encore, un bénéfice en survie sans récidive – on n’a pas encore les données de survie globale, mais les autorités européennes ont quand même donné une autorisation de mise sur le marché dans cette indication.
Donc, dans ce contexte, arrivent les résultats de l’étude EVEREST avec l’évérolimus. Cette étude de phase III a un design très classique : placebo versus évérolimus pendant un an. Les patients étaient sélectionnés, et étaient inclus ceux avec un risque important de récidive. Et le critère de jugement principal était la survie sans récidive. La petite particularité est qu’il y avait quand même dans cette étude la possibilité d’inclure des patients avec des tumeurs non à cellules claires, ce qui n’est pas forcément le cas dans les autres études.
Résultats : Malheureusement, cette étude est négative sur son critère de jugement principal. Il n’y avait pas de différence significative – il y avait une tendance, mais sans atteindre la significativité. Et quand on regardait les analyses en sous-groupes, on avait l’impression que, probablement, les patients les plus à risque de récidives avec les grades et les T les plus élevés et les N+ pouvaient peut-être en tirer un bénéfice. Mais, en tout cas, cela ne changera pas nos pratiques courantes.
Manuel Rodrigues – Oui, donc encore un essai négatif pour des TKI.
Constance Thibault – Oui.
Manuel Rodrigues – Et les anti-PD-1, on y a accès ?
Constance Thibault – Non. Alors, il y a une AMM européenne qui a été donnée, mais pour l’instant, il n’y a pas de remboursement en France, donc c’est vrai qu’en dehors d’un essai clinique on ne peut pas encore le proposer à nos patients.
Lutétium PSMA dans le cancer de la prostate : analyse de sous-groupes de l'essai VISION
Manuel Rodrigues – Pour la prostate, c’est un essai clinique qu’on connaissait déjà avec le lutétium PSMA et il y a eu des analyses qui ont été faites sur cet essai clinique.[2]
Constance Thibault – Oui, tout à fait. Alors sur le lutétium PSMA, il y avait 2 principales études qui ont évalué son intérêt dans le cancer de la prostate. La première était TheraP, une étude de phase II qui avait montré sa supériorité en termes de survie sans progression par rapport au cabazitaxel, et plus récemment on a eu VISION qui est cette grosse étude de phase III évaluant le lutétium PSMA + le traitement standard versus le traitement standard seul chez des patients avec des cancers de la prostate métastatique résistants à la castration et qui avaient été traités au moins par une hormonothérapie nouvelle génération et un docétaxel. Ils pouvaient aussi avoir reçu, en plus, d’autres hormonothérapies nouvelle génération, ils pouvaient aussi avoir reçu au préalable du cabazitaxel, et la petite particularité est que le traitement standard qu’ils pouvaient donner en association avec le lutétium PSMA dans le cadre de cette étude pouvait être une hormonothérapie de nouvelle génération, rien du tout, ou des corticoïdes – cela ne pouvait pas être de la chimiothérapie. Donc c’est vrai qu’on peut se demander « est-ce qu’en fonction des lignes de traitement préalablement reçues ou des traitements concomitants donnés on voyait des signaux différents d’efficacité ? »
Résultats : Globalement, on voit que le lutétium semble marcher quel que soit le nombre d’hormonothérapies de nouvelle génération préalablement reçues, que les patients aient reçu ou non du cabazitaxel au préalable. Et dans les traitements concomitants, ce qui est intéressant, c’est qu’on voit qu’il y a peut-être un bénéfice en survie un peu plus important chez les patients qui recevaient en concomitant une hormonothérapie de nouvelle génération. Néanmoins, ce sont des analyses en sous-groupes, donc cela ne nous permet que de générer des hypothèses et on ne peut pas, à l’heure actuelle, recommander de le donner en association, mais c’est vrai que cela va remettre sur le devant de la scène la question des séquences de traitement dans le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration.
Manuel Rodrigues – Et en termes de toxicité, le lutétium PSMA ?
Constance Thibault – La tolérance est à peu près correcte. Quand on regarde les études, on a principalement une toxicité hématologique et des sécheresses buccales qui peuvent être parfois un peu invalidantes et qu’il va falloir apprendre à gérer.
Manuel Rodrigues – Très bien, merci. Et pour la vessie ? Il y a pas mal de choses qui se sont passées ces dernières années avec de nouvelles cibles thérapeutiques et là, c’est une nouvelle molécule qui est intéressante et peut-être une nouvelle cible, aussi.
Nouveaux anticorps drogue-conjugués dans le cancer de la vessie
Constance Thibault – C’est vrai que dans le cancer de la vessie, il y a eu beaucoup de nouveautés. Évidemment l’immunothérapie, comme dans beaucoup de cancers, et un peu plus récemment, il y a les anticorps conjugués comme dans d’autres cancers. Celui qui est le plus développé, c’est l’enfortumab védotin, qui va cibler la lectine-4 et qui est couplé où MMAE donc un poison du fuseau. L’autre qui est en développement est le sacituzumab govitécan qui, lui, va cibler TROP-2 et qui est couplé au SN-38, le métabolite actif de l’irinotécan. Et puis, là, on a eu des résultats assez intéressants d’une molécule chinoise qui est le RC48 qui va cibler HER2 et qui est couplé au MMAE, donc le même cytotoxique que l’enfortumab védotin avec des données de 2 études de phase II – ce sont des études de petite envergure –, une étude en deuxième ligne ou plus avec une centaine de malades inclus avec des taux de réponse objective qui sont quand même très intéressants – 50 %. [3] Donc c’est vrai qu’il y avait quand même les deux tiers des malades qui avaient déjà reçu deux lignes de traitement pour des cancers de la vessie métastatique et, donc, des résultats, finalement, assez intéressants. Et l’autre étude que j’ai trouvée intéressante, c’est aussi une étude de phase II – 40 malades – qui l’évalue en association avec le pembrolizumab. Là encore, des résultats assez impressionnants : les deux tiers des malades étaient en première ligne, mais des taux de réponse objective de plus de 70 %, donc des résultats qui avaient aussi été observés avec l’association pembrolizumab plus l’enfortumab. Et c’est vrai que là, de coupler, en fait, les ADC avec de l’immunothérapie et, notamment, quand les ADC contiennent le MMAE, cela a l’air d’être assez intéressant. Donc ce sont des résultats très précoces, mais on a hâte de voir le développement de cette molécule.
Manuel Rodrigues – Oui. Et… des tumeurs qui étaient HER2 fortement exprimé ?
Constance Thibault – Oui, il y avait une sélection. Pour être inclus dans ces études, il fallait que les tumeurs soient HER2 2+ ou 3+, donc c’est un petit effectif de patients avec des cancers de la vessie (ce serait de l’ordre de 15 % à 20 % des patients), mais, néanmoins, c’est quand même intéressant de pouvoir élargir le panel thérapeutique dans ces cancers-là.
Manuel Rodrigues – Oui, c’est une très belle synergie. Merci Dr Thibault, merci à tous, et à bientôt sur Medscape.
[Voir : ASCO 2022 : L’actualité dans les cancers du sein, de l’ovaire et du col de l’utérus ]
© 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: ASCO 2022 : focus sur les cancers urologiques et néphrologiques - Medscape - 8 juin 2022.
Commenter