Congrès ECCMID : les points marquants commentés par Guillaume Béraud et Benjamin Davido

Dr Benjamin Davido, Dr Guillaume Béraud

Auteurs et déclarations

10 mai 2022

Étude de contact lors des confinements en France, intérêt de la quinacrine dans les giardiases, propagation zoonotique de C. Difficile, hépatites infantiles, le futur des coronavirus etc… : les sujets présentés cette année au congrès de l’ European Congress of Clinical Microbiology & Infectious Diseases (ECCMID) étaient innovants et variés. Le point avec les Drs Benjamin Davido et Guillaume Béraud.

(Discussion enregistrée le 27 avril 2022)

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido – Bonjour à tous sur Medscape, je suis Benjamin Davido, médecin infectiologue à Garches et je suis ravi de pouvoir parler avec Guillaume Béraud de ce qui nous a marqué au congrès ECCMID de Lisbonne. Tout d'abord, peux-tu te présenter ?

Guillaume Béraud – Je suis Guillaume Béraud, infectiologue au CHU de Poitiers. Je fais de l’infectiologie générale et parallèlement je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est modélisation mathématique et analyse médico-économique.

COVID et confinement : de l’intérêt des études de contact

Benjamin Davido – Tu as présenté, avec ton équipe, un travail sur le COVID et le confinement. [1] Peux-tu expliquer, au-delà de cette étude, ce que sont les études de contact ?

Guillaume Béraud – Comme souvent en médecine, en recherche ou en mathématiques, le concept est relativement simple. Quand vous vous intéressez aux épidémies, idéalement vous aimeriez voir le pathogène sauter d’un individu à l’autre, et voir à quelle vitesse et dans quelles conditions il se transporte. Sauf que c’est un peu difficile… En revanche, il y a quelque chose qui est relativement facile à faire, c’est essayer de voir comment les gens ont des contacts entre eux. Et si on arrive à comprendre comment ils ont ces contacts, pour peu qu’on ait un minimum de connaissance du pathogène, il est relativement facile d’extrapoler la manière dont ce pathogène va se diffuser dans une population…

Benjamin Davido – Ces études de contact peuvent-elles se faire avec des capteurs ou va-t-on étudier les contacts artificiellement ?

Guillaume Béraud – Cela peut se faire de plein de façons différentes. Une manière effectivement assez élégante est de mettre des capteurs, ou même simplement activer le Bluetooth de son téléphone et mettre un petit programme qui va repérer à quelle distance sont les autres téléphones. Le problème, quand on fait cela, est qu’il faut que tout le monde ait un smartphone et le Bluetooth activé. Cela réclame quand même un peu de boulot, parce que le problème du Bluetooth est qu’il passe à travers les murs, donc si vous êtes dans un couloir, vous pouvez vous retrouver à moins de 2 mètres de quelqu'un qui se trouve de l’autre côté du mur, ce qui, à proprement parler, n’est pas un contact, puisque vous n’allez pas lui transmettre ces germes.

Finalement, l’expérience montre quelque chose qui marche pas mal : simplement demander aux gens de décrire leurs contacts et de leur donner soit un carnet papier, soit un carnet informatique, et de leur dire « chaque fois que vous croisez quelqu’un, donnez des informations simples : son âge, son sexe, si c’est quelqu’un que vous voyez pour la première fois ou tous les jours, si c’est un contact de moins de 5 minutes ou de 4 heurs, etc.

Cela permet d’avoir une idée assez précise, et montre qu’on a essentiellement des contacts avec des gens de notre famille, avec des individus du même âge que nous – généralement on est en couple avec quelqu’un du même âge ; mais aussi avec des gens qu’on voit à 30 ans de différence d’âge, c’est-à-dire nos enfants et nos parents. C’est avec eux qu’on a eu des contacts longs, et on a des contacts plus limités avec des gens d’âges différents en fonction de notre travail, etc. Ce sont des choses qui se font, qui sont assez communes.

J’avais fait la première étude de contact en France et l’intérêt principal est que cela permet aussi d’avoir des données extrêmement précises pour modéliser une épidémie. [2] Jusqu’en 2015, il n’y avait pas ce genre de données pour la France, l'étude est utile. À partir du moment où on a ces données, on modélise une épidémie et ensuite on veut modéliser l’impact de l’intervention non pharmaceutique – typiquement, la fermeture d’écoles, les confinements, des choses comme cela etc. – sauf que jusqu’à présent on n’avait pas de données en vie réelle sur comment se font les contacts en cas de fermeture d’école, de confinement, etc. Donc on extrapolait, on arrivait à modéliser en disant, par exemple, une fermeture d’école, c’est plus ou moins l’équivalent d’un week-end ou de vacances scolaires. Donc on n’a qu’à regarder les contacts qui se passent spécifiquement pendant le week-end et pendant les vacances scolaires et on aura une petite idée de ce qui se passera pendant une fermeture d’école faite pour des raisons de santé – sauf que ce n’est pas la vie réelle. Là, il se trouve qu’avec le confinement on avait pour la première fois l’occasion de mesurer les contacts en période de confinement ou en période de fermeture d’école pour raison de santé publique. C’est une culture unique et on l’a fait.

Essentiellement, on a mandaté un institut de sondage pour interroger un millier de personnes qui décrivent précisément leurs contacts. Dans la foulée, on leur a posé des questions sur « est-ce que vous portez le masque ? Est-ce que vous vous lavez les mains ? Est-ce que vous sortez de chez vous malgré le confinement ? Quand vous sortez, est-ce pour aller faire des courses, du sport ? Est-ce que vous êtes en télétravail ? Etc. »

On a fait cela à chacun des trois confinements, ce qui nous a donné des informations intéressantes, d’une part pour voir quel était le comportement des gens en période de confinement et aussi d’avoir des données mesurables, quantifiables, pour pouvoir modéliser les transmissions d’un pathogène, puisqu’on sait comment les gens vont avoir des contacts.

Benjamin Davido – Vous n’avez pas repris, à chaque fois, les mêmes personnes lors des différentes vagues ?

Guillaume Béraud – On a repris pas mal de personnes en commun, mais pas seulement, l’idée étant aussi de voir comment réagissent les mêmes personnes d’un confinement à l’autre. Par exemple, un résultat relativement prévisible, mais qui a l’avantage d’être quantifié, est que ces confinements étaient de moins en moins stricts ― le premier confinement étant extrêmement strict, le troisième un peu plus light. On voit, y compris pour une même personne, que les gens avaient plus de contacts pendant le troisième confinement que pendant le premier.

 
Les gens avaient plus de contacts pendant le troisième confinement que pendant le premier. Dr Guillaume Béraud
 

Benjamin Davido – C’est probablement dû, d’abord à l’effet de répétition, mais aussi à la sévérité du confinement qui était moindre.

Guillaume Béraud – D’une part la sévérité du confinement était moindre, d’autre part il y a sûrement aussi un effet de fatigue, parce que lors du premier confinement, tout le monde avait peur et le suivait pas mal ; le troisième, tout le monde en avait ras-le-bol et les gens faisaient un peu moins attention.

Cela donne aussi des formations assez rigolotes sur « est-ce que les gens passent leur confinement chez eux ou dans leur maison de campagne » et si oui qui sont-ils. Et de manière assez prévisible – mais là aussi, l’intérêt était de le quantifier – on voit que les gens qui ne passent pas le confinement dans leur résidence principale sont essentiellement ceux qui habitent dans de très grandes villes, parce que ce sont souvent des gens qui ont les moyens d’avoir une résidence secondaire. À l’annonce du confinement, ils filent passer leur confinement à la campagne. On a pu le mesurer aussi.

Un autre résultat qui était aussi prévisible et intéressant à mesurer : on sait qu’en dehors du confinement – je l’avais déjà montré – les personnes qui s’occupent le plus souvent des enfants, ce sont les femmes. Vous me direz que ce n’est pas quelque chose de très surprenant, mais ce n’est pas forcément dans la même proportion d’un pays à l’autre… Et bien même pendant le confinement, ceux qui passaient le plus de temps avec les enfants, c’étaient les mamans, ce qui n’est pas totalement anodin en termes de transmission de pathogènes, puisqu’on sait que même s’ils ne sont eux-mêmes pas très malades, ce sont souvent les enfants qui transmettent les pathogènes, donc ce n’est pas inintéressant de le savoir et de le mesurer.

Benjamin Davido – Ce qui est amusant, c’est que tu es en train d’expliquer que le COVID réecrit l’histoire de beaucoup de choses. Comme tu le disais, on savait intuitivement des choses qui s’apparentent à du bon sens, et elles sont confirmées. Les mesures simples sont souvent efficaces.

Guillaume Béraud – En fait, c’est souvent le cas en modélisation mathématique : on quantifie et on mesure des choses qui finalement relèvent du bon sens et des choses qu’on sait implicitement. Et de manière assez rigolote, j’ai retrouvé des descriptions de pandémies de type grippe espagnole où on décrivait déjà que les grands bourgeois parisiens allaient passer la pandémie dans leur résidence de campagne. Et alors évidemment, à l’époque, c’était un moyen de critiquer ces grands bourgeois parisiens, c’était très politisé etc. L’intérêt, ici, est surtout de le mesurer, lorsqu’on veut pourvoir après mesurer la manière dont le pathogène va se diffuser dans la population.

La quinacrine contre les giardiases résistantes et récidivantes

Benjamin Davido – As-tu vu d’autres choses, que cela soit sur le COVID ou sur d’autres thématiques qui t’ont attiré lors du congrès ?

Guillaume Béraud – Il y a plein de choses intéressantes, dont deux qui m’ont marqué pour des raisons totalement différentes. Une première étude portait sur les giardiases. Un chercheur suisse a fait non seulement une revue de tout ce qui se trouvait comme traitement des giardiases – plus précisément des giardiases qu’on n’arrive pas à traiter avec le métronidazole ou albendazole, donc des giardiases récidivantes résistantes au traitement. Il a donc fait une revue de la littérature et ensuite, surtout, il l’a testée. [3]

Après sa revue de la littérature, il avait remarqué une molécule qui semblait la meilleure : la quinacrine. Et ce qui était intéressant, c’est que quand on refait l’histoire de la quinacrine, c’était initialement le premier médicament utilisé contre la giardiase et aussi le premier médicament développé contre le paludisme ; c’était d'ailleurs le premier antipaludien développé. Les militaires français, il y a plus d’un siècle, prenaient de la quinacrine qui, avec l’apparition de la chloroquine, est un peu tombée dans l’oubli parce qu’elle avait quelques effets secondaires, notamment neuropsychologiques. Ce médicament était à l’époque bon marché, mais comme plus personne ne l’utilise, il n’est maintenant plus bon marché du tout et surtout difficile à trouver. Mais dans quelques petites études sur des petites séries, il semblait être le plus efficace sur les giardiases récidivantes.

Un autre traitement alternatif était l’association albendazole-quinacrine, y compris chez des giradiases résistantes à l’albendazole. Les chercheurs ont fait une étude où ils ont pris deux groupes : un groupe traité par quinacrine et un groupe traité, non pas par albendazole-quinacrine parce qu’ils se disaient que ce n’est pas le plus intéressant, mais par albendazole-chloroquine car il y a des données qui indiquent que cela pourrait marcher.

Premier résultat : l’albendazole-chloroquine ne marche pas du tout, très clairement ; par contre, la quinacrine marche très bien. Et se pose la question – ils avaient une centaine de patients – des effets secondaires neuropsychologiques. C’est un traitement de cinq jours, donc relativement gérable. C’est un effet cumulatif, donc sur des grosses doses on peut avoir ce problème, mais on l’a rarement et quand on prévient les gens pour dire « attention vous pourriez avoir des effets secondaires ― un type d’irritabilité, de troubles du sommeil, de cauchemars, » ils le vivent bien. Les gens disaient que soit ils n’avaient pas eu d’effets secondaires, soit « c’est vrai que je n’ai pas très bien dormi, j’ai eu des effets secondaires, mais vous me l’aviez dit docteur, donc cela n’a pas posé de problème. » Et sur tous ceux qui ont été traités, il y a 1 patient qui n’a pas fait ses cinq jours de traitement – tous les autres les ont complétés et à partir du moment où ils étaient prévenus, cela ne posait pas de soucis.

Il y a eu un autre résultat, qui n’était pas un résultat d’étude mais plutôt une discussion qui a eu lieu dans la salle, car il y avait des gens vraiment très experts en giardiase (ce qui n’est pas mon cas) : est-ce qu’il faut continuer ? Faut-il retraiter si jamais on a une PCR positive ? Etc. Il y a une experte de la salle qui s’est levée et a dit « nous, on a fait l’étude – au bout d’une semaine, la PCR est négative. » Donc une PCR positive au bout d’une semaine, ce n’est pas normal. Néanmoins, avoir une PCR positive et des gens asymptomatiques, il n’y a sans doute pas d’indication à traiter.

Benjamin Davido – Oui, c’est du bon sens. Mais as-tu une idée, toi, du pourcentage de giardiases résistantes ? Parce que je n’ai pas notion que c’était particulièrement résistant.

Guillaume Béraud – Ce n’est pas très fréquent, mais il y en a. Cela m’est arrivé de temps en temps. Le problème est que quand cela arrive, on a un patient qui revient tous les mois en disant « mais j’ai toujours des diarrhées cataclysmiques » et à chaque fois, on se gratte la tête en se disant « mais qu’est-ce qu’il faut faire dans ce cas-là ? » Et, effectivement, ce n’est pas très fréquent, mais j’ai trouvé cela intéressant qu’il y ait des gens qui s’intéressent à des choses. Car le problème est que quand on les voit, on ne sait pas quoi faire.

Benjamin Davido – Et finalement c’est peut-être ça aussi, la vertu du COVID : j’ai l’impression que cela a mis en exergue le repositionnement des molécules, notament quand tu parlais de la chloroquine.

Propagation zoonotique de C. Difficile

Benjamin Davido – Dans le digestif, j’ai vu également des données qui m’ont intéressé. Il y a eu un travail fait par les collègues de Copenhague qui ont mis en évidence du Clostridium difficile chez les cochons et qui portait le même gène de résistance que chez des patients hospitalisés au sein d’une cohorte. [4] Cela soulève la question de cette maladie qui est probablement une zoonose ― c’est une bactérie relativement récente, puisque la première description documentée clinique du Clostridium date des années 70 sur des cas de colites aux États-Unis ; c’est un germe, pour ceux qui nous écoutent et qui ne sont pas forcément infectiologues, qui est difficile à mettre en culture.

Autant on savait – et j’ai relu un peu la littérature et des papiers qui datent des années 2010 justement, sur ces cas de séquençage de Clostridium chez les animaux ― qu’on pouvait avoir des portages. Mais ce qui est intéressant et ce qui est assez original et inédit ― et ce qui m’a fait penser d’ailleurs au COVID et je pense que c’est probablement là-dessus qu’ils ont résonné ― c’est cette idée qu’on a maintenant de tout séquencer avec la PCR, de tout vouloir relier, phylogénie et zoonoses. Sans forcément faire le lien et dire qu’on se contamine par la nourriture en mangeant du cochon contaminé et qu’on peut ensuite être porteur, mais cela soulève la question où la boucle est bouclée. Cela m’y a fait penser quand tu parlais des anti-infectieux – on le sait, 90 % de la consommation d’antibiotiques vient du bétail et cette sélection de germes résistants, y compris dans le monde animal... on en parle beaucoup. Et je trouvais cela assez amusant qu’en fin de compte – et je crois qu’on ne le dit pas assez souvent – que le COVID nous amène à une certaine curiosité. Les chercheurs vont ensuite essayer de voir dans quel sens se font ces contaminations. C’était intéressant d’autant qu’on sait que la première cause, aujourd’hui, de diarrhée infectieuse à l’hôpital aux États-Unis est le Clostridium.

Guillaume Béraud – Donc cela remet en perspective pas mal de choses.

Benjamin Davido – Oui, je trouve que c’est assez curieux et malin.

Le point ECCMID sur les hépatites infantiles

Benjamin Davido – L’autre chose dont on en a beaucoup parlé, mais je pense que c’est l’occasion d’en reparler rapidement, ce sont les collègues d’Angleterre, notamment le Dr Meera Chand, qui ont refait le point sur ces cas d’hépatites mystérieuses infantiles [5]. Si ma mémoire est bonne, au 25 avril le chiffre retenu était 169 cas sur 11 pays, dont tout de même 17 greffés, ce qui est énorme parce que cela représente 10 %, avec des cas essentiellement concentrés au Royaume-Uni pour des raisons, à ma connaissance, qu’on ne connaît pas bien. Ce qui est certain et ce qui ressortait de cette communication, est qu’encore une fois un peu comme le COVID, l’hypothèse principale est que c’est viral, probablement dû à un adénovirus dans une souche de type F 41 qui a un tropisme « inhabituel » pour les hépatites – pour ceux qui qui nous écoutent, l’adénovirus est un virus assez classique et donne des infections de la sphère ORL chez les enfants, y compris des gastro-entérites, mais peu d’hépatites en réalité, et donc c’est inhabituel.

L’hypothèse principale de nos collègues est qu’on ne voit que la partie visible de l’iceberg et cela prend beaucoup de formes paucisymptomatiques ou extrêmement bénignes. Et la question, derrière, qui est intéressante, est de lier cela au COVID – tu as dû en entendre parler, comme moi. Les jours derniers, il y avait un questionnement sur le lien avec la vaccination, qui a été complètement écarté, puisque, justement, dans tous les cas au Royaume-Uni, chez des enfants de moins de 10 ans, aucun de ces enfants n’avait été vacciné, donc le problème est réglé, c’était une des questions qui avaient été soulevées.

Ce qu’on ne peut pas écarter, en revanche, c’est que il y ait un lien entre cet adénovirus particulier et la circulation et/ou des coinfections avec Omicron, puisqu’il y a eu des cas décrits. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais la vraie question était : est-ce que tout cela n’est pas le corollaire du relâchement de ces mesures barrières – tout à l’heure on parlait de la transmission – avec peut-être une partie qui est liée à ce qui avait été à un moment donné évoqué pour la grippe, d’un manque d’exposition l’année passée dû aux mesures de confinement, ce qui rejoint un peu ton travail.

Je trouve qu'il est spectaculaire qu’on soit capable à deux ans d’une pandémie d’avoir un système de réaction extrêmement rapide face à une alerte infectieuse, quelle qu’en soit l’ampleur. Il est remarquable qu’on soit toujours dans cette rapidité et que ce qu’on a appris du COVID soit mis en outils pour essayer de mieux comprendre une autre maladie qu’on connaissait, mais peut-être pas assez.

Guillaume Béraud – Je suis d’accord avec ce que tu dis. Je n’ai pas de preuve, mais pour moi, la meilleure hypothèse est sans doute la troisième, c’est-à-dire qu’il y ait un lien avec la circulation du COVID, pourquoi pas ? La virologie est encore assez mystérieuse pour beaucoup de gens. Néanmoins, je pense qu’effectivement le plus simple est que c’est un nouveau virus qui émerge et on le tolérait jusqu’à présent parce qu'on l’échangeait régulièrement et suite à ces confinements, il a beaucoup moins circulé, et il réapparaît de manière un peu plus brutale, comme cela arrive souvent.

« Menaces futures des coronavirus »

Guillaume Béraud – Pour faire le parallèle avec ce que tu dis, j’ai vu mardi la keynote lecture [Future threats from coronaviruses] [6] de Malik Peiris, de Hong Kong, qui est la référence mondiale des coronavirus à qui on a posé des questions, naturellement de type : « Les prochains coronavirus, c’est pour quand ? ». Il a répondu « bientôt, les gars. » Il a refait le parallèle, parce que c’est lui qui avait notifié le premier coronavirus, et posé tout un tas de questions : les coronavirus, c’est bizarre, on en voit assez peu en Afrique – enfin il y en a en Afrique par la circulation de celui qu’on connaît, mais des coronavirus, il y en a dans les chameaux, chez des animaux comme ça etc. Son hypothèse est qu’ils circulaient avant, c’est juste qu’on ne les voyait pas parce qu’on n’était pas capable de les détecter…

Benjamin Davido – Mais j’en suis persuadé et je pense que c’est pareil pour ces histoires d’hépatites.

Guillaume Béraud – Ils sont allés voir les chameliers qui vivaient très proches des chameaux et en remettant leurs techniques au point, ils se sont rendus compte que ce n’étaient pas les bons anticorps et que simplement cela circulait avant. Donc il y a tout un tas de choses qui sont sous le niveau de détection, qu’on ne voit pas et qui de temps en temps émergent…

Benjamin Davido – Je tiens à préciser, pour ceux qui nous écoutent, que le MERS-CoV était transmis, justement, par ces chameaux et ces animaux au Moyen-Orient.

Guillaume Béraud – Tout à fait. Mais aujourd’hui l’histoire n’est pas finie. On aura encore besoin de virologues et d’infectiologues...

Intérêt de l’IA dans le COVID

Guillaume Béraud – Pour rebondir sur ce que tu as fait remarquer sur l’intérêt du COVID, cela met en perspective des vieux médicaments, des choses qu’on avait un peu oubliées... J’ai fait une communication orale mardi avec Carolina Garcia-Vidal sur les avantages de l’intelligence artificielle en temps de COVID. [7] Je me suis intéressé à l’intérêt de l’intelligence artificielle dans la découverte des vaccins – comment on s’en sert pour mettre au point des vaccins ou des traitements plus rapidement. Et un exemple connu, maintenant, c’est Moderna qui a été développé grâce une technique d’intelligence artificielle. Le principe est simple : une fois qu’on a compris quelles sont les molécules cibles, on demande à un algorithme de tester tous les composés qui existent in silico, donc dans l’ordinateur, pour voir lesquels pourraient matcher avec les protéines qui nous intéressent. Et une fois qu’on a screené 6 000 composés différents, qu’il y en a 10 qui sortent comme pouvant être intéressants. À ce moment-là on les sort de la boîte et on les teste pour de vrai. On a ainsi une vitesse de développement accélérée, ce qui permet de comprendre comment on a eu des vaccins aussi rapidement disponibles.

Carolina Garcia-Vidal et al. utilisaient déjà des algorithmes de machine learning – c’est le terme approprié pour parler d’intelligence artificielle, parce qu’on parle d’intelligence, mais qui n’a rien d’intelligent, c’est « con comme un balai » un ordinateur. Mais dans le machine learning, on demande simplement à l’ordinateur de trouver les associations sans a priori, sans que cela soit l’humain qui lui dise quelles sont les règles à trouver. Ils avaient donc déjà des systèmes en place lorsqu'est arrivé le COVID. L’Hospital Clinic, à Barcelone, est gigantesque (j’y étais étudiant quand j’étais Erasmus). Et ils se sont retrouvés avec cet hôpital rempli de patients atteints de COVID, c’est-à-dire à peu près 2 000. Ils sont 10 infectiologues. Donc ils se sont dit : « on ne va pas pouvoir tous les voir, ce n’est juste pas possible. » Comme tous les fichiers des patients sont informatisés, ils ont demandé à l’algorithme d’identifier les patients qui, potentiellement, étaient à risque de sévérité ou de formes sévères – typiquement les gens dont l’oxygène montait, mais ça ce n’est pas trop compliqué à voir, ou des gens chez qui il y avait un profil inflammatoire qui commençait à émerger, c’est-à-dire dire potentiellement quelqu’un qui risquait de faire une forme sévère et qu’il était temps d’appeler l’infectiologue pour que, essentiellement, il aille prescrire la dexaméthasone etc.

Non seulement ils ont fait cela, mais en plus ils ont demandé à l’algorithme de machine learning d’identifier les groupes de patients homogènes. Et l’algorithme a identifié sept groupes de patients homogènes avec des caractéristiques. Et ce que je trouve intéressant, c’est qu’au sein de ces sept groupes, c’est sûrement un très bon moyen – et ils l’ont fait, notamment, pour le remdésivir, mais leur papier n’est pas encore sorti – d’identifier quels seront les patients chez qui le remdésivir pourrait être utile. Et j’ai presque envie de pousser le raisonnement de manière un peu provocatrice : si ça se trouve, pour l’hydroxychloroquine, il y a peut-être un petit nombre de patients, un petit sous-groupe chez qui cela pourrait être utile – je n’en sais rien.

Benjamin Davido – Oui.

Guillaume Béraud – Le problème est qu’en France, la discussion est devenue tellement polarisé que, de toute façon, personne ne fera jamais d’études sérieuses sur l’hydroxychloroquine – en tout cas, certainement pas moi, parce qu’on sait qu’on va s’exposer à se faire démolir. Mais si on avait un discours un peu plus serein sur la manière de tester les médicaments, peut-être qu’il y a un petit sous-groupe de patients – qui n’est sûrement pas énorme, rien de miraculeux, mais pour lequel il pourrait y avoir un petit bénéfice. Et je trouve que c’est intéressant d’utiliser cet algorithme pour identifier des patients sans a priori, qui nous dirait « chez tel groupe de patients, telle molécule pourrait être intéressante et chez tel autre groupe, laissez tomber, c’est sans intérêt. »

Benjamin Davido – Mais c’est vrai que dans ce que tu dis, la plupart de toutes les molécules à des moments donnés ont été contestées dans leur efficacité et, parfois, on s’est rendu compte que c’était le moment où elles étaient mises en association chez des patients particuliers que cela changeait la donne – et cela a été le cas récemment avec l’étude sur le tocilizumab et la dexaméthasone.

Guillaume Béraud – Bien sûr. Et même le remdésivir. Enfin, à vrai dire, en France c’est un peu particulier puisque je crois qu’il y a 7 000 000 de traitements qui ont été livrés dans le monde, 200 en France, mais quand on regarde les dernières études, on a l’impression que si on le met suffisamment tôt…

Benjamin Davido – Ce qui est le principe des antiviraux.

Guillaume Béraud – … cela peut être intéressant. Après, ce n’est sûrement pas miraculeux, mais de toute façon il n’y a rien de miraculeux – il ne faut pas se faire d’illusions. Donc je me disais, finalement, il serait peut-être intéressant de commencer à…

Benjamin Davido – … résonner différemment parce que le médicament, c’est la loi du tout ou rien, souvent. Et c’est, d’ailleurs, ce qui aussi fait que certains ont accusé le vaccin d’être inefficace à tort.

Guillaume Béraud – En fait, je pense que cela remonte à l’histoire de la médecine. C’est-à-dire qu’on est un peu trop attaché à des médicaments qui marchent à 80-90 %. Et je pense qu’il faut qu’on sorte du paradigme de la pénicilline… quand c’est sorti, c’était on/off, cela guérissait quasiment tout le monde. Les antiprotéases, quand elles sont arrivées, on avait des patients VIH qui arrêtaient de mourir et qui se sont mis à vivre. C’est super, c’est magnifique, mais il faut arrêter de rêver. Je pense que pour la plupart des médicaments anti-infectieux, ce n’est plus ça. C’est fini. Les prochains anti-infectieux qu’on développera, c’est « on va gagner un petit quelque chose… »

Benjamin Davido – C’est le tailor-cut medicine, le fameux concept.

Guillaume Béraud – Exactement. Donc si on veut une médecine personnalisée, il faut commencer à réfléchir un peu différemment, ne pas attendre l’équivalent d’une pénicilline qui va avoir 90 % d’efficacité, mais plutôt identifier les groupes de patients chez qui tel médicament pourrait avoir un effet ou chez qui cela n’aura aucun intérêt, et je pense qu’il y a des leçons à en tirer.

Intérêt du PH urinaire chez les patients greffés rénaux avec bactériurie asymptomatique

Benjamin Davido – Enfin, j’ai vu nos collègues qui ont présenté un sujet [8] très intéressant sur l’intérêt du PH urinaire chez les patients greffés rénaux qui ont une bactériurie asymptomatique et qui, en fonction du caractère acide ou non, étaient capable de prédire si lors d’un épisode infectieux ultérieur, indépendamment de l’utilisation d’antibiotiques fosfomycine ou ciprofloxacine, ils étaient plus à risque de faire un épisode infectieux récidivant sévère. Ils montrent en réalité, au-delà de la simplicité et du questionnement de l’acidité de l’alcalinisation des urines, qu’il y a plein de petites choses simples que l’on peut penser qui sont parfois au-delà des anti-infectieux et je trouvais que c’était un peu cela la thématique ambiante de cet ECCMID. Et c’est ce que je voulais qu’on partage aujourd’hui avec tous les auditeurs.

Je te remercie beaucoup, Guillaume, c’était très enrichissant et très clair et je vous dis à bientôt pour un autre numéro de Medscape.

Guillaume Béraud – Avec grand plaisir! Ciao, les amis!

 

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