POINT DE VUE

Minute de silence pour l’hôpital public : reportage à la Pitié-Salpêtrière

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

3 février 2022

Paris, France — Depuis le début de l'année, les soignants de La Pitié Salpêtrière sont invités, tous les vendredis en début d'après-midi, à observer une minute de silence pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Medscape édition française est allé à leur rencontre. 

Vendredi, 13h. Le Parc de la hauteur, au cœur de la Pitié Salpêtrière, est presque désert. Quelques blouses blanches parcourent les chemins et se rendent d'un bâtiment de l'hôpital à un autre. D’autres y font une courte pause pour boire un café ou fumer une cigarette. 

Difficile d'imaginer qu'à 14h30, comme dans une soixantaine d’autres établissements de France, des soignants se réuniront sur cet espace vert pour observer une minute de silence et alerter sur la mort programmée de l'hôpital public.

Un rendez-vous désormais hebdomadaire

« On n’est que des pions »

Masque sur le nez, buée sur les lunettes, Mathilde* traverse rapidement le parc. La secrétaire médicale ne pourra pas participer à cet événement symbolique. Le 4e organisé dans l’établissement. Elle s'arrête toutefois quelques instants pour exprimer son soutien aux organisateurs de l'événement. La dégradation des conditions de travail, elle en est témoin depuis plusieurs années. « Je vois les infirmières et les aides-soignants crouler sous le boulot. On leur demande de changer de planning du jour au lendemain car on ne trouve personne pour remplacer un absent. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus fuient l’hôpital et quittent Paris pour travailler ailleurs. » Comment en est-on arrivé là ? « On leur en demande toujours plus mais en contrepartie, il n’y a aucune reconnaissance. On n’est que des pions », lâche la quadragénaire, amère.

C’est au tour de Lucie et Marie, étudiantes en 3e année de manip’ radio, de passer par le parc de La Pitié-Salpêtrière, le plus grand hôpital d’Europe, une ville dans la ville. Elles ne sont pas au courant qu’un rassemblement aura lieu ici-même. De toute façon, même si elles le voulaient, elles ne pourraient pas s’y rendre. Trop de boulot. « Nous subissons le manque de personnels et faisons plein d'heures sup. On nous demande parfois de réaliser le boulot d'un senior quand il manque du monde alors qu'on n'en a pas le droit », glisse la première. « Et pourtant, on n'est pas payés des masses et si on fait une connerie, on se fera allumer... », ajoute la seconde.

Pas de perspective de carrière

Un peu plus loin, Antoine, rééducateur, à peine 30 ans. Depuis qu’il a commencé à exercer à la Pitié, il y a 4 ans, il a déjà constaté, lui aussi, une dégradation des conditions de travail. « On sent une vraie tension en ce moment, l'hôpital peine à combler ses effectifs. Il y a un gros turn-over. » La situation n’a pas toujours été celle-ci. « Je connais des infirmiers qui ont fait 40 ans dans le même hôpital. Là, ils partent au bout de deux ou trois ans. Les budgets sont de plus en plus serrés pour renouveler le matériel, mais aussi pour recruter et renforcer les équipes. » 

L’hôpital public n’a plus les moyens de ses ambitions. Le jeune homme montre le bâtiment face à lui. « Ce self avait été transformé en salle d'anesthésie-réanimation au début de l’épidémie de Covid, relate-t-il. Comme ils n’ont pas trouvé d’effectifs, la salle n’a jamais tourné… et ils l’ont retransformée en self. »

28 ans d’ancienneté, 2 000 euros net

Antoine s’interroge sérieusement sur son avenir à l’hôpital. « Dans nos métiers, les perspectives d’évolution sont très faibles, observe-t-il. Le Ségur de la Santé nous a un peu revalorisés mais ça reste insuffisant. Une collègue qui a 15 ans d’ancienneté arrive à peine à 2 100 euros net par mois. Alors forcément, je me pose la question d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte car je sais que faire carrière ici va être compliqué. »

 
Il y a de moins en moins de moyens, alors les soignants partent. Ça concerne tous les services, toutes les spécialités et toutes les professions. C’est encore pire depuis le Covid
 

Un peu plus loin, Thierry prend quelques minutes pour manger son sandwich devant le self. Avec 28 ans d’ancienneté, le laborantin, qui s’occupe de pharmacologie et de dosage de médicaments, touche lui 2 000 euros net, « primes comprises ». « Mon salaire augmente de 40 euros tous les 3 ans, quand je monte d’échelon », précise-t-il. Payé par la fac, il n’a pas été concerné par le Ségur de la Santé.

Quelques minutes avant 14h30, une chirurgienne attend assise sur un banc. Cela fait 10 ans qu’elle travaille à la Pitié-Salpêtrière, et elle aussi est désabusée. « Il y a de moins en moins de moyens, alors les soignants partent. Ça concerne tous les services, toutes les spécialités et toutes les professions. C’est encore pire depuis le Covid. Les gens n’ont plus envie de se sacrifier, je suis fataliste. »

Silence assourdissant

14h30. Soudainement, des grappes de blouses blanches arrivent des quatre coins de l’hôpital. Très rapidement, plus de 200 personnes sont réunies autour de Marina Foïs, qui a accepté ce vendredi de prononcer un discours de soutien. Après avoir joué dans le film de Catherine Corsini « La Fracture », comédie dramatique avec en toile de fond les difficultés de l’hôpital, l’actrice a tenu à apporter son soutien à l’hôpital public, « une richesse nationale dont on devrait être fier comme des châteaux de la Loire ». « Vous êtes là aujourd’hui car vous voulez continuer à soigner vos patients, malgré l’épuisement, malgré les fermetures de lits, malgré les restrictions budgétaires, lit Marina Foïs. Vous êtes là pour informer la population que l’hôpital se meurt. »

 
l’hôpital public, « une richesse nationale dont on devrait être fier comme des châteaux de la Loire
 

Lecture de Marina Foïs

A ce rassemblement comme dans celui organisé partout en France, aucun brassard, aucune banderole. Quelques mots des organisateurs, un discours de soutien et surtout une minute de silence. Le rassemblement aura duré 5 minutes. Ils étaient un peu plus de 200 soignants réunis au Parc de la hauteur. Beaucoup sont restés auprès des malades. Mais tous partagent la même inquiétude pour l’avenir de l‘hôpital public. 

Une minute de silence

* tous les prénoms ont été modifiés 

Lire notre dossier « SAUVER L’HÔPITAL PUBLIC »

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