Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue
TRANSCRIPTION
Gabriel Steg – Bonjour. Nous approchons de la fin de l’année et c’est l’époque de vous présenter le « best of » de 2021. Quels sont les résultats scientifiques ou les grandes études qui auront le plus d’impact à la fois scientifique et sur la pratique clinique ? Quelles sont celles que j’ai retenues comme les plus importantes de l’année.
L’année a été assez riche, malgré le COVID et la difficulté d’avoir des congrès présentiels. J’ai retenu sept études qui m’ont paru particulièrement importantes.
AVATAR : une étude importante
La première, la plus récente, est l’étude AVATAR , qui est une étude de petite taille, mais qui est importante parce qu’il s’agit d’une des toutes premières études à s’intéresser de façon randomisée au remplacement valvulaire aortique précoce comparé à une stratégie conservatrice de traitement médical chez les patients qui ont un rétrécissement aortique serré asymptomatique – et les patients étaient vraiment asymptomatiques.
La comparaison est entre chirurgie de remplacement valvulaire aortique et traitement médical et les patients étaient relativement bien explorés. Ce qu’il ressort de cette étude, c’est qu’il y a un bénéfice tout à fait franc d’une stratégie de remplacement valvulaire précoce chirurgical. Il y a une réduction de la combinaison des décès, des infarctus du myocarde, des AVC, des hospitalisations pour insuffisance cardiaque pratiquement de moitié dans le bras remplacement valvulaire précoce, par rapport au bras conservateur. Ce n’est pas la dernière étude, ce n’est pas la seule étude et ce n’est pas l’étude définitive, et, bien entendu, se pose la question de : « est-ce que le remplacement valvulaire aortique percutané par TAVI pourrait faire aussi bien, voire mieux, encore, que la chirurgie ? ». C’est le sujet de plusieurs études qui sont en cours, mais c’est déjà un changement d’ère qui inaugure, probablement, une ère où on va ne pas forcément attendre les symptômes pour changer la valve aortique.
Avantage du clopidogrel vs aspirine à distance d’un SCA
Deuxième étude – c’est une étude de traitement antiagrégant plaquettaire chez les patients qui sont à distance d’un syndrome coronarien aigu. L’étude compare, tout simplement, une monothérapie par aspirine à une monothérapie par clopidogrel – une étude sur plus de 5 000 patients réalisée en Corée du Sud – qui revisite un petit peu l’étude CAPRI réalisée il y a 25 ans, mais a l’air du post-stenting.
Un peu à la surprise générale, cette étude a montré une supériorité assez nette du clopidogrel par rapport à l’aspirine, tant en termes de réduction des évènements ischémiques, avec une réduction de 35 %, qu’également en termes de réduction des hémorragies, avec une réduction des saignements de 30 %. Cette étude mérite d’être répliquée, d’être réalisée dans d’autres populations. Vous savez qu’en Asie, il y a beaucoup de patients qui sont des mauvais répondeurs au clopidogrel – peut être que ça a abouti à minimiser le risque hémorragique du clopidogrel –, mais sur l’efficacité, ça ne peut pas rendre compte des résultats qui ont été obtenus, qui suggèrent qu’il pourrait y avoir un vrai avantage chez les patients qui ont eu un syndrome coronarien aigu, qui sont stabilisés, qui ont eu des stents, à préférer le clopidogrel.
Vacciner contre la grippe
Troisième étude – c’est l’étude IAMI , qui se pose la question qui traîne depuis longtemps dans la littérature scientifique de : « y a-t-il un bénéfice à utiliser la vaccination antigrippale chez les patients cardiaques et en particulier chez les patients coronariens ? » Des petits essais randomisés et beaucoup de séries observationnelles suggéraient que les gens qui avaient reçu une vaccination antigrippale étaient mieux protégés contre les évènements cardiaques graves et le décès cardiovasculaire que ceux qui ne l’avaient pas eue. IAMI a le grand mérite de réaliser une étude randomisée à grande échelle dans 8 pays et les résultats sont à nouveau très clairs, puisque le groupe vacciné à une réduction de la combinaison décès, infarctus du myocarde ou thrombose de stent de 28 %. Et quand on s’intéresse au critère mortalité toute cause, la réduction est encore plus grande. Donc il est probable que ceci va amener à véritablement changer les pratiques.
Deux études dans l’hypertension
Deux études chinoises sur l’hypertension artérielle ont retenu mon attention. L’étude STEP s’est intéressée à un traitement intensif versus un traitement plus conservateur de l’hypertension artérielle chez les sujets hypertendus âgés à haut risque d’accident vasculaire cérébral. Elle montre un bénéfice tout à fait considérable de l’attitude invasive intensive, avec une réduction de 25 % de l’ensemble des évènements cardiovasculaires par rapport à un traitement plus conservateur, ce qui vient confirmer et conforter les résultats de l’essai nord-américain SPRINT qui avait déjà retrouvé des bénéfices. SPRINT a beaucoup été discuté, il y a des limites à tous les essais, y compris à SPRINT. Là, on a maintenant deux essais dans des contextes complètement différents qui donnent des résultats très convergents.
Autre essai chinois qui m’a intéressé : l’étude SSASS , qui a proposé de remplacer le sel – NaCl – par un sel de substitution qui contient plus de KCl et moins de NaCl. Cette simple substitution, dans un pays et dans des régions rurales de Chine où la consommation de sel repose largement sur le sel rajouté à l’alimentation, a permis de réduire les évènements cardiovasculaires de façon tout à fait notable, avec une réduction des évènements cardiovasculaires et de la mortalité.
EMPEROR Preserved : bénéfice de l’empagliflozine dans l’IC à FEp
Autre essai – changeons de domaine – c’est l’étude EMPEROR Preserved , qui a montré le bénéfice de l’empagliflozine dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée.
C’est la première fois qu’on a véritablement un résultat clair dans cette pathologie, puisque jusqu’ici, aucune classe thérapeutique n’avait véritablement réussi à démontrer de façon indiscutable un bénéfice. Là, on a une réduction de l’ordre de 21 % de la combinaison décès ou hospitalisation pour une insuffisance cardiaque, qui est le critère de jugement classique dans l’insuffisance cardiaque. Il y a encore beaucoup de discussion pour savoir si le bénéfice est surtout drivé par les patients qui ont une réduction modérée de leur fraction d’éjection et s’il y a véritablement un bénéfice chez les gens qui ont une fraction d’éjection complètement normale, mais, en tout cas, dans ce qu’on appelait traditionnellement l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée, globalement il y a un bénéfice assez net et qui s’étend au moins jusqu’à une fraction d’éjection de 50 % ou plus, jusqu’à 60 % de fraction d’éjection en termes de bénéfice clinique.
LAAOS III dans la FA permanente
Avant-dernière étude dont je voudrais parler, c’est l’étude LAAOS III, qui est une étude chirurgicale qui s’est intéressée au bénéfice éventuel de l’exclusion chirurgicale de l’auricule gauche en fin de chirurgie cardiaque chez les patients qui ont une fibrillation auriculaire permanente.
Ce que montre cette étude, là aussi de façon un peu inattendue, c’est une réduction très claire – d’un tiers – des accidents vasculaires cérébraux ou des embolies systémiques dans le bras « exclusion chirurgicale » par rapport au bras « contrôle », sans effets secondaires notables, ni sur les biomarqueurs, ni sur les effets cliniques, ni sur l’insuffisance cardiaque, ni sur la durée de la CEC, ni sur les complications péri-opératoires de cette procédure chirurgicale brève en fin de CEC.
Il est probable que cela va et doit changer les pratiques chirurgicales chez les patients qui sont en FA permanente et amener à discuter de – en routine – exclure chirurgicalement l’auricule gauche chez ces patients.
Amylose à transthyrétine : 1ère utilisation de CRISPR-Cas9 en cardiologie
Et puis le dernier résultat dont je voudrais parler, qui n’est pas à proprement parler un grand essai randomisé, ce qu’on peut considérer comme une percée scientifique, c’est la première application clinique de la technique des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 en cardiologie, avec le traitement de patients qui souffrent d’amylose à transthyrétine par la technique CRISPR-Cas9 pour empêcher la synthèse d’une protéine anormale, protéine qui, vous le savez, se replie de façon pathologique dans l’amylose à transthyrétine.
Cette technique CRISPR-Cas9 a été utilisée chez six patients, en tout cas, les six premiers patients ont fait l’objet d’une publication dans le New England Journal of Medicine montrant qu’on obtient une réduction dose-dépendante et tout à fait durable de la production de la synthèse de la protéine chez les patients traités et, apparemment, avec une innocuité qui, jusqu’ici, semble intéressante.
Cela ouvre, évidemment, beaucoup de perspectives, cela pose aussi beaucoup de questions scientifiques, médicales et même éthiques, dans la mesure où il existe d’autres traitements.
Il va y avoir des arbitrages à faire en termes de bénéfice-risque et de coût-bénéfice, mais c’est en tout cas certainement un élément tout à fait décisif que de voir que cette invention d’une technique de biologie moléculaire à laquelle a contribué une chercheuse française – Emmanuelle Charpentier, qui a été récompensée par le prix Nobel avec ses collègues Jennifer Doudna et un troisième chercheur dont le nom m’échappe – que cette technique, a d’ores et déjà une application clinique en cardiologie.
Elle a, d’ailleurs, d’autres applications cliniques, comme vous le savez certainement, mais là, c’est vraiment tout à fait frappant et je pense que c’est le début d’une nouvelle ère pour un certain nombre de pathologies graves et parfois incurables, pour lesquelles il y avait peu de traitements, comme l’amylose à transthyrétine.
Dans le cas de l’amylose à transthyrétine, il y a maintenant des traitements émergents, qui sont même plus qu’émergents, mais la possibilité d’obtenir une correction définitive est évidemment quelque chose d’extrêmement intéressant.
Voilà, donc, vous voyez – une année très riche dans des domaines très variés et il nous reste à espérer que 2022 sera une année sans COVID et encore plus riche sur le plan scientifique.
Bonne fin d’année, bonne année 2022. À bientôt!
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Citer cet article: 2021 : une année riche en avancées malgré le COVID - Medscape - 16 déc 2021.
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