POINT DE VUE

Philippe Charlier : quand un cartésien s’intéresse au surnaturel

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

3 décembre 2021

Paris, France – Il a lâché son dernier poste hospitalier il y a trois ans. Les têtes Jivaro, crânes surmodelés et autres momies sont désormais ses patients. Philippe Charlier est depuis 2018 directeur du département de la recherche et de l'enseignement au Musée du quai Branly - Jacques-Chirac. Porté sous les projecteurs grâce aux personnages historiques dont il a étudié les causes de décès, le paléopathologiste transmet sa fascination pour les rituels de mort autour des fantômes, spectres et autres zombies dans les nombreux ouvrages qu’il écrit chaque année. Rencontre avec un homme passionnant à dimension multiple.

Faire parler les morts

Tout a commencé par des petits trous dans le jardin à la recherche de tessons de poterie. Un crâne trouvé au cours de ses recherches enfantines. Après des études de médecine, quelques centaines d’autopsies, des fouilles archéologiques aux quatre coins du globe, l’étude des décès de personnages historiques et une vingtaine d’ouvrages, dont le dernier en librairie « Comment faire l’amour avec un fantôme ? » (éd du Cerf, 248 pages, 20 euros), il faut se rendre à l’évidence : Philippe Charlier, 44 ans, a définitivement fait son trou.

Fils d’un médecin et d’une pharmacienne, avec une sœur et un beau-frère médecin, le jeune homme était prédestiné à porter lui aussi une blouse blanche. Mais pas que. « Dès le départ, je souhaitais faire médecine et archéologie », confie-t-il à Medscape France, qu’il reçoit au musée du Quai-Branly. Son bureau ressemble lui-même à un mini-musée avec de multiples statuettes qu’un initié croirait sorties de L’oreille cassée de Tintin – « elles m’appartiennent et ne sont bien sûr pas des œuvres du musée », croit bon d’indiquer leur propriétaire.

Son bac en poche à 16 ans et demi, le jeune homme entre en PCEM1 à Lariboisière et suit en parallèle des cours d'histoire de l'art à l'institut Michelet. A Herculanum et à Pompéi où il fait des fouilles, il a un déclic : « En voyant ces corps recouverts par du plâtre, j’ai compris que je voulais utiliser la médecine et l’archéologie pour faire parler les morts. Reconstituer leur vie quotidienne, leurs gestes, la cause de leur décès. Ils ne peuvent plus parler mais sont encore très loquaces, leur corps parle à travers eux» Pour cela, le jeune chercheur ne craint pas de jouer les « fouille-merdes », se remémorant avec délectation ses investigations dans les latrines de Délos.

 
En voyant ces corps recouverts par du plâtre, j’ai compris que je voulais utiliser la médecine et l’archéologie pour faire parler les morts  Philippe Charlier
 

Plus de 2 000 autopsies au compteur

Gros bosseur et plutôt du genre à squatter la bibliothèque qu’à « sortir boire des bières avec les copains », il poursuit son « ambition d’avoir un pied dans les sciences fondamentales et un autre dans les sciences humaines ».

Jeune médecin, Philippe Charlier se forme à l’anatomie pathologique. Il devient expert de la microscopie électronique à transmission et à balayage pour réaliser des « diagnostics rétrospectifs ». Il se surspécialise en médecine légale pour être « plus à l’aise avec les morts violentes » - il faut dire qu’elles furent nombreuses dans les périodes anciennes avec la guerre, les épidémies, les catastrophes naturelles, les assassinats ou les suicides. « J’ai dû faire plus de 2000 autopsies. Forcément, cela me permet d’être plus à l’aise face à un cadavre ancien. »

Quelques patients célèbres

Il se fait connaître du grand public par ses études sur les restes d’Agnès Sorel, de Diane de Poitiers, Richard Cœur de lion, ou encore la tête d’Henri IV dont il atteste l’authenticité. Ces patients célèbres n’ont pas manqué d’agacer certains contempteurs. « Ce n’est pas l’aspect VIP qui m’intéresse mais le côté bien documenté, assure le médecin. Au lieu de travailler sur un cadavre anonyme, plancher sur un personnage historique permet de savoir si l’histoire dit la vérité ou non. » Il se défend de tout narcissisme mégalomaniaque et renvoie la responsabilité de son exposition aux médias. « Il y a plus d’écho quand on se penche sur un personnage historique que quand on fait des recherches sur des squelettes anonymes d’une nécropole burgonde », argumente-t-il, avec un brin de mauvaise foi.

Preuve qu’il n’est pas égocentré, le Pr Charlier met en avant le travail en équipe avec des historiens, des historiens de l’art, des philologues, des spécialistes en épistémologie pour vérifier l’authenticité des dépouilles. « Parfois, on a des surprises, affirme-t-il. Les restes présumés de Jeanne d’Arc étaient probablement ceux d’une momie égyptienne. Le masque mortuaire de Robespierre n’était pas le sien tandis que celui de Mirabeau, lui, est authentique. »

Chassez le surnaturel, il revient au galop

S’il a passé une grande partie de sa vie à côtoyer des cadavres, le paléopathologiste réfute avoir une quelconque fascination pour la mort. Les rituels de mort, en revanche, l’intéressent au point d’être l’objet d’un grand nombre de ses ouvrages. « Cette façon qu’ont les humains de passer outre la mort, de l’esthétiser parfois de façon éclatante avec les revenants, les fantômes, les spectres, les vampires, les zombies… toutes ces déclinaisons de la mort à travers les civilisations me fascinent. Comme le dit Bernard Werber dans Les thanatonautes, la mort est probablement le dernier territoire à explorer. »

 
Comme le dit Bernard Werber dans Les thanatonautes, la mort est probablement le dernier territoire à explorer. Philippe Charlier
 

Mais qu’on ne s’y trompe pas, Philippe Charlier se revendique cartésien. « Ce que je fais, c’est de l’anthropologie médicale, qu’il s’agisse des personnages historiques ou de comprendre les rituels autour de la vie et de la mort. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir si les vampires ou les fantômes existent : j’essaie de comprendre pourquoi les gens y croient. »

Une histoire de famille

Le Pr Charlier partage l’amour de son métier avec sa famille. Ses trois enfants de 12, 9 et 6 ans réclament de se rendre tous les week-ends au Quai-Branly. Sa femme Isabelle, radiologue à la Pitié-Salpétrière, réalise très fréquemment les scanners et radiographies d’objets du musée mais aussi de personnages historiques. Les patients du Dr Charlier sont désormais les objets du musée, qu’il s’agisse de têtes réduites jivaros, de crânes surmodelés ou de fétiches vaudous d’Haïti dont regorge le Quai-Branly. « Les objets de musée sont des patients pas comme les autres mais ce sont des patients quand même », commente le paléopathologiste.

 
Les objets de musée sont des patients pas comme les autres mais ce sont des patients quand même. Philippe Charlier
 

Quand il ne travaille pas au musée, le soir et le week-end, le médecin légiste continue de se pencher sur des cas médico-historiques. A son programme, les cœurs embaumés de Louis XIII et Louis XIV. Mais surtout l’étude de la peau de « Marie-Madeleine » conservée à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var) pour laquelle il doit présenter une communication à l’Académie pontificale des sciences au Vatican. L’homme est patient. Ce travail sur les reliques dites de Marie-Madeleine disséminées à Vézelay, Paris, au Vatican et dans le Var, il l’a entamé depuis 3 ou 4 ans. « Il s’agit de savoir si toutes ces reliques appartiennent à un seul corps et à qui. »

Thé et écriture

Philippe Charlier ne dort pas la nuit ou très peu, il écrit. « Donnez-moi une théière bien fumante avec du Lapsang souchong ou du thé matcha et c’est parti pour la nuit. J’étale tous les livres devant moi et ensuite ça vient ». S’il n’avait pas eu le concours de médecine, il se serait bien vu prof de français. « J’ai une envie absolue de faire aimer la lecture. L’écriture est la plus belle invention de l’humanité. » Le médecin a dû boire beaucoup de thé. Auteur prolifique, il a déjà 20 ouvrages à son compteur sans compter les publications scientifiques

Son amour des lettres, il le partage avec un autre médecin ouvert au monde Jean-Christophe Rufin qui est de son propre aveu son « mentor ». Un homme « de bon conseil et inspirant ». Avant d’écrire un nouveau livre, il dit relire « Un léopard sur le garrot », recueil de nouvelles qui retrace le parcours de Rufin lorsqu’il était ambassadeur de France au Sénégal et Mauritanie. « C’est devenu un rituel, j’en ai besoin pour me guider ou pour le style »

Un illustre mentor

Le destin des deux hommes semblait voué à être lié. Depuis février 2021, Philippe Charlier dirige la collection Terre Humaine précédemment dirigée par l'académicien. Le courant est rapidement passé entre les deux médecins écrivains. « C’est un homme ouvert à autre chose que la médecine, résume à Medscape France Jean-Christophe Rufin. La médecine n’est pas qu’un métier technique, c’est un humanisme ! » L’ancien diplomate salue l’originalité de son confrère. « Il n’est pas un universitaire au sens étroit du terme, observe-t-il. Il est tel un homme du 18e siècle, ces savants qui avaient une curiosité universelle. » Il balaie les critiques de ceux qui reprochent à trop prendre la lumière, estimant que « l’ambition n’est pas un défaut ». Et il imagine que la curiosité de Philippe Charlier le portera vers d’autres horizons. « Si j’apprenais demain qu’il devenait spationaute, je ne serais pas surpris », lâche amusé Jean-Christophe Rufin.

Philippe Charlier en dix dates

  • Né le 25 juin 1977 à Meaux

  • 2003 Thèse de médecine sur les malformations humaines dans l’antiquité gréco-romaine soutenue à la Faculté de Médecine Lille 2. Mention « Très honorable à l'unanimité du Jury »

  • 2006 : publication de « Qui a tué la Dame de Beauté ? Étude scientifique des restes d'Agnès Sorel (1422-1450) »,

  • Janvier 2010 : réfute les restes présumés de Jeanne d’Arc

  • 15 décembre 2010 Parution d’un article du BMJ dont il est cosignataire authentifiant à 99,99 % la tête présumée d’Henri IV. Début d’une longue polémique scientifique

  • Jusqu’à l’été 2013 : Exerce dans le service de médecine légale de l’Hôpital universitaire Raymond-Poincaré de Garches

  • 2013-2015 Coécrit et anime « Enquête d’ailleurs » sur Arte, série documentaire portant sur « la découverte des grands mythes de l'humanité », des cultes ancestraux et des rites funéraires

  • Nommé, en octobre 2018, directeur du département de la recherche et de l'enseignement au Musée du quai Branly - Jacques-Chirac

  • 12 mai 2021 : Chevalier dans l'Ordre des Arts et Lettres

  • Octobre 2021 : sortie de « Comment faire l'amour avec un fantôme ? Anthropologie de l'invisible », Editions du Cerf, 2021

 

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