« L'hôpital public est devenu un enfer pour tout le monde »

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

2 décembre 2021

Actualisation--06/12 : Les professionnels de santé ont manifesté dans toute la France samedi 4 décembre pour "défendre le système de santé". Ils étaient 6 000 à Paris selon une source syndicale, et 2 100 selon la préfecture de police, pour réclamer de meilleures conditions de travail à l'hôpital public.

 

Paris, France — Le syndicat Jeunes médecins a décidé de rejoindre le mouvement de grève de la fonction hospitalière du 4 décembre prochain. Le Dr Emmanuel Loeb, psychiatre et président de Jeunes médecins – composé à la fois de libéraux et d'hospitaliers –, nous explique en quoi l'hôpital public est en pleine déperdition.

Medscape édition française : L'hôpital public est-il devenu un enfer pour les jeunes médecins ?

Dr Emmanuel Loeb : L'hôpital public est devenu un enfer pour tout le monde et pas seulement pour les jeunes médecins. Les conditions de travail, notamment en matière de management interne, sont devenues quasi insupportables.

Quels sont les problèmes de management interne que vous évoquez ?

Dr Loeb : Il y aurait un travail intéressant à faire pour déterminer de manière sociologique qui sont les responsables de pôle, en termes d'âge, de genre, etc. Je pense que l'une des vocations initiales de la loi HPST était de mettre à mal le mandarinat, en renforçant le pouvoir des directeurs. Selon mon interprétation, les directeurs ont eu pour mission, également, de restructurer l'hôpital public, via des regroupements mais aussi une diminution des ressources humaines. Fort de ces projets de restructuration, je pense qu'ils n'ont pas voulu se mettre à dos le pouvoir médical. Les mandarins –  qu'il s'agisse des PUPH dans les centres hospitalo-universitaires ou des chefs de service dans les hôpitaux de périphérie – pouvaient représenter un danger pour ces directeurs en leur bloquant leur carrière alors que ces mandarins n'ont aucune formation au management, à l'économie, etc. Résultat : les personnes mises en situation de gouverner, qu'il s'agisse des directions administratives ou des chefferies de pôle intrinsèquement liées aux directions, ne sont peut-être pas les plus à même d'apaiser les praticiens de manière plus favorable.

Donc la loi HPST a été à l'origine de nouveaux préjudices managériaux ?

Dr Loeb : Je ne sais pas... Disons que les directions administratives n'ont pas osé se saisir de la loi HPST jusqu'au bout. Les directions administratives avaient la possibilité de démissionner des chefs de pôle dont les errements managériaux étaient dénoncés notamment par les syndicats. Ils ne l'ont jamais fait. S'il y avait eu des directeurs courageux investis de l'intérêt général, la loi HPST aurait pu porter ses fruits. Mais là, malheureusement, on a conservé le pire en matière de mandarinat.

 
Malheureusement, on a conservé le pire en matière de mandarinat.
 

Vous réclamez pour les jeunes médecins un salaire de départ de 5000 euros. Vous pensez que la création de trois nouveaux échelons pour les médecins, tel que le stipule les accords dits de Ségur de la santé, ne sont pas suffisants pour attirer les jeunes médecins à l'hôpital ?

Dr Loeb : Jeunes médecins n'a pas signé les accords de la santé. Ceux parmi les syndicats de médecins qui ont signé cet accord ont été mis en difficulté par leurs troupes, qui ont pensé que ces accords allaient plafonner leur carrière. Résultat, ces syndicats ont réussi à décrocher une enveloppe supplémentaire pour satisfaire les médecins en fin de carrière. Nous avions de notre côté proposé une revalorisation des grilles salariales de l'ensemble des praticiens hospitaliers. Nous demandions notamment la suppression des quatre premiers échelons pour obtenir un début de carrière à 5000 euros bruts. Les accords du Ségur de la santé était un exercice de communication politique. Je rappelle que les praticiens contractuels ne bénéficient pas de la prime d’engagement de service public, pas plus que de la nouvelle grille salariale des PH. Les syndicats signataires de ces accords portent la responsabilité de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons. Nous avions dit au gouvernement que ces mesures, notamment les primes Covid, n'étaient pas de nature à apaiser les hospitaliers, mais ils ne nous ont pas écoutés. Résultat, nous voyons apparaître des mouvements sociaux spontanés, tandis que le dialogue social, en raison de la surdité du gouvernement, a été dévalorisé.

 
Les syndicats signataires de ces accords portent la responsabilité de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons.
 

La pandémie de Covid n'explique-t-elle pas tout ou partie de la colère et de la lassitude des personnels hospitaliers ?

Dr Loeb :  Non, invoquer la pandémie pour expliquer la colère hospitalière, c'est se cacher derrière son petit doigt. Je rappelle que la grogne sociale avait débuté avant la pandémie, des manifestations importantes ont eu lieu en novembre 2019, par exemple. Au contraire, l'épidémie de Covid aurait pu être une façon de redynamiser les personnels hospitaliers. Ça n'a pas été le cas. Nous, jeunes médecins, nous avons proposé au cabinet, à la DGOS, au Premier ministre, de communiquer en direction des jeunes médecins mais nous n'avons pas été écoutés. La communication a toujours été le domaine réservé du directeur et des fameux chefs de pôle.

 
Invoquer la pandémie pour expliquer la colère hospitalière, c'est se cacher derrière son petit doigt.
 

L'intérim médical, autrefois conspué, semble encensé par la communauté médicale. Pourquoi ?

Dr Loeb : Nous, syndicat Jeunes médecins, avions soutenu le syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH) lorsqu'il avait édicté une liste noire des hôpitaux à éviter, et qu'il avait été attaqué par le Conseil de l'Ordre. Tout cela participe de la même stratégie de communication politique du gouvernement. Sous Marisol Touraine, déjà, on ciblait les dépassements d'honoraire. Comme l'hôpital, en remous, représente une menace, on désigne un bouc émissaire, qui est le médecin intérimaire. Mais que représente l'intérim médical ? C'est l'expression d'une incapacité à faire en sorte que les carrières hospitalières soient attractives. C'est aussi le maintien dans certains territoires d'une offre hospitalière dans des conditions catastrophiques, notamment en termes de sécurité des soins, parce que les maires en collaboration avec des directeurs ne veulent pas transformer ces établissements hospitaliers en offre ambulatoire, du fait de la réaction de leurs administrés. Le vrai courage politique aurait été de fermer ces établissements. Aux urgences, les médecins intérimaires sont pléthores, alors que les patients qui fréquentent ces services, pour la plupart, auraient pu être pris en charge par la médecine ambulatoire. Autre problème : dans les hôpitaux locaux, le forfait urgence est calculé en fonction de la fréquentation des SAU, donc les maires et les directeurs n'ont aucun intérêt à restructurer l'offre.

 
L'intérim médical ? C'est l'expression d'une incapacité à faire en sorte que les carrières hospitalières soient attractives.
 

S'il y avait une mesure urgente à prendre pour attirer de nouveaux les médecins dans les carrières hospitalo-universitaires, laquelle serait-elle ?

Dr Loeb : Il faut donner la possibilité à l'université et non pas au CHRU, de contractualiser avec n'importe quel praticien afin de faire de l'enseignement et/ou de la recherche. Ces contrats d'enseignement et de recherche doivent être évalués. Il faut aussi mettre fin à ces contrats à vie de PUPH, qui constituent une caste, dont on connait les méfaits permanents.

 
Il faut aussi mettre fin à ces contrats à vie de PUPH, qui constituent une caste, dont on connait les méfaits permanents.
 

Le quinquennat d'Emmanuel Macron est largement entamé. Quel bilan tirez-vous de son action dans le domaine de la réforme de l'hôpital public ?

Dr Loeb : C'est un constat d'échec et de déception. Nous attendions beaucoup du quinquennat Macron en termes de réformes, mais nous nous apercevons que tout ce qui a été mis en œuvre sous son quinquennat est la suite logique de tout ce qui avait été auparavant initié. Avoir placé Jean Castex à Matignon, lui qui a été préfigurateur de la T2A, de la loi HPST, et ancien DHOS, montre bien que l'on n'est pas du tout dans une logique de réformes et de modernité.

Grève du 4 décembre : les revendications de Jeunes médecins

  • « Une revalorisation des tarifs opposables afin d’encourager l’installation de médecins en secteur 1, et favoriser l’accès de tous aux soins de ville ;

  • Une réforme profonde des Ordonnances Debré pour décloisonner la recherche et l’enseignement médical, et ainsi créer de vrais pôles d’excellence sous la bannière universitaire ;

  • Une refonte de la carte hospitalière tant publique que privée afin que tous les acteurs agissent en complémentarité et non plus en concurrence ;

  • Une rémunération plancher des médecins à l’hôpital public permettant aux internes de démarrer leur cursus à 2000 euros par mois au lieu de 1500 euros bruts mensuels ;

  • Un début de carrière de TOUS LES praticiens hospitaliers à 5000 euros mensuels bruts pour les temps plein, tout en revenant sur l’iniquité des grilles créée par le Ségur ;

  • L’alignement de la grille de rémunération des praticiens contractuels sur celle des praticiens hospitaliers ;

  • L’accès à l’indemnité d’engagement de service public exclusif (IESPE) pour les futurs nouveaux praticiens contractuels. »

 

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