Montpellier, France - Quelles perspectives dans le traitement médicamenteux de la douleur chronique? Lors du 21ème congrès de la Société française d’étude et du traitement de la douleur (SFETD), le PrSerge Perrot (Centre d’étude et de traitement de la douleur, groupe hospitalier Cochin-Hôtel Dieu, AP-HP, Paris) a fait le point sur les recherches dans ce domaine [1]. Pas de révolution majeure et de nombreux échecs, mais quelques pistes séduisantes qu’il reste à explorer.
Le rhumatologue, également président de la SFETD, a évoqué la récente mise à l’écart des biothérapies anti-NGF, qui avaient suscité beaucoup d’espoir dans le traitement de la douleur chronique, mais aussi les perspectives plus réjouissantes de la thérapie génique, de la modification du microbiote intestinal ou des traitements à base de composés naturels issus du radis, du piment ou encore du citron.
Echecs à répétition
« La prise en charge de la douleur reste un domaine dans lequel peu de nouveautés thérapeutiques ont émergé » et ce, malgré les milliards d’euros investis depuis plus de 20 ans par l’industrie pharmaceutique, a souligné le Pr Perrot. « Si la recherche fondamentale et animale est très active et fructueuse, peu de traitements s’avèrent efficaces et bien tolérés chez l’homme. »
Dans le traitement médicamenteux de la douleur chronique, l’arsenal thérapeutique reste encore aujourd’hui essentiellement limité aux opioïdes, à ses dérivés et aux anti-inflammatoires, auxquels s’ajoutent certains antiépileptiques et antidépresseurs.
La liste des essais cliniques infructueux est effectivement très longue. Antagonistes des récepteurs vallinoïdes (TRPV1), N-méthyl-D-aspartate (NMDA) ou de la neurokinine (NK1), agoniste de cannabinoïde, inhibiteurs de canaux ioniques, modulateurs de cellules gliales… de nombreuses pistes thérapeutiques ont ainsi été abandonnées.
« Si la plupart de ces traitements se sont montrés efficaces dans la prise en charge de la douleur aiguë, leur effet sur la douleur chronique s’est avéré très limité », voire inexistant, a indiqué le praticien. Pour les nouvelles voies d’action, « c’est souvent en passant de l’animal à l’homme que survient l’échec », mais aussi des situations dramatiques.
Rappelons, en effet, que c’est l’un de ces essais cliniques, mené au centre Biotrial, à Rennes, qui avait conduit, en 2016, au décès d’un volontaire sain, lors d’un test de phase 1. Il s’agissait alors d’évaluer un inhibiteur de la FAAH (Fatty Acid Amid Hydrolase), une enzyme impliquée dans la dégradation des endocannabinoïdes, dont le rôle est notamment de réguler la réponse à la douleur.
Déception avec l’immunothérapie
L’immunothérapie, qui a suscité beaucoup d’espoir, s’est également avérée décevante. Les anticorps monoclonaux anti-R-CGRP (Calcitonine-Gene Related Peptide) restent assez peu efficaces contre la migraine, tandis que le développement des anti-NGF (Nerve Growth factor) dans l’arthrose, un temps perçu comme très prometteur dans la douleur chronique, a dû être interrompu, a rappelé le Pr Perrot.
Un essai randomisé de phase III a notamment mis en évidence l’efficacité d’une injection en sous-cutané de deux doses de l’anticorps anti-NGF ténézumab sur une période de quatre mois pour réduire de manière significative la douleur de l’arthrose du genou [2]. Cependant, le traitement a été associé à des nécroses et à des cas de destruction rapide des articulations, mettant un terme aux essais cliniques.
L’approche préventive a aussi été explorée, pour éviter notamment l’apparition des douleurs chroniques en post-opératoire, en utilisant de la prégabaline, un analgésique indiqué dans le traitement des douleurs neuropathiques, de la mémantine, qui bloque les récepteurs de glutamate, ou encore de la kétamine. Là encore, les résultats ne sont pas concluants.
Les chercheurs se sont également orientés vers un traitement personnalisé adapté au patient, contre les douleurs neuropathiques notamment, en fonction du type de douleur ressentie. A nouveau, sans succès.
Injection de capsaïcine
De nouvelles pistes ont toutefois donné des résultats suffisamment intéressants pour relancer à nouveau l’espoir de trouver de nouveaux traitements. C’est le cas notamment avec des substances d’origine naturelle, comme la capsaïcine, extraite du piment, de la puérarine du radis ou de la D-limonene, provenant de l’orange et du citron.
Habituellement utilisée en traitement topique, par application de crème ou de patch à forte dose, la capsaïcine s’est également montrée efficace en injection intra-articulaire dans le traitement de la douleur de l’arthrose [3]. « Le traitement apparait efficace sur la douleur, mais aussi sur la fonction articulaire », a précisé le rhumatologue.
Plusieurs travaux sont actuellement menés pour évaluer l’efficacité à long terme des injections en intra-articulaire de capsaïcine synthétique (transcapsaïcine). « La molécule agit en inhibant les phénomènes d’inflammation neurogène survenant au cours de l’arthrose. »
La puérarine du radis, connue depuis longtemps pour ses priorités antioxydantes et anti-inflammatoires, « aurait également un effet sur les récepteurs impliqués dans les douleurs neuropathiques (TRPV1 et TRPA1) ». Des études chez l’animal ont montré une diminution des douleurs de contact (allodynie mécanique) [4].
Un effet similaire a également été observé chez l’animal après administration de D-limonene, qui agirait sur le système GABAergique, à l’origine de mécanismes inhibant l’influx nerveux [5].
Modification du microbiote
Autre piste depuis peu explorée : la modification du microbiote. « Beaucoup d’études ont montré l’importance du microbiote dans l’apparition de la douleur chronique ». Le microbiote intestinal pourrait être à l’origine d’un état inflammatoire au niveau du système nerveux central, observé notamment chez des patients atteints de fibromyalgie.
« Une dysbiose peut favoriser une neuroinflammation et participer à la sensibilisation à la douleur au niveau central. » Néanmoins, pour le moment, aucune étude n’a démontré qu’une modification du microbiote peut avoir un effet sur la douleur chronique.
La modulation des cellules de la microglie est également une voie d’action toujours à l’étude. Il a été démontré que la microglie, impliquée dans la défense immunitaire du système nerveux central, est davantage activée et de manière généralisée dans le cerveau des patients atteints de fibromyalgie. Cet état inflammatoire persistant, potentiellement lié au microbiote, serait à l’origine des douleurs chroniques ressenties.
« La régulation de la microglie est une approche très intéressante. L’activation et l'inflammation de ce tissu de soutien ont probablement un rôle très important dans l’apparition des douleurs chroniques », note le Pr Perrot. De récents essais ont montré l’intérêt de cibler certains récepteurs purinergiques de la microglie pour réduire les douleurs neuropathiques [6].
Les promesses de la thérapie génique
La thérapie génique a également été testée dans le traitement de la douleur chronique en utilisant la technique des ciseaux CRISPR. Des résultats prometteurs ont été obtenus chez l’animal avec une lignée de neurones sensoriels génétiquement modifiés in vitro afin de leur retirer la capacité à synthétiser certains canaux ioniques, puis injectés dans les articulations douloureuses [7].
« Avec ces thérapies génétiques, nous sommes au début d’une nouvelle ère », estime le Pr Perrot. « Les canaux ioniques impliqués dans les douleurs sont bien connus. En modifiant ces canaux par thérapie génique, on peut espérer avoir un effet bénéfique, en particulier sur les douleurs neuropathiques. »
Le recours aux ciseaux CRISPR pour modifier aisément l’expression des gènes, « me semble être une voie d’avenir », ajoute le spécialiste. Avec cette nouvelle approche, « nous avons peut-être la clé des traitements biologiques contre la douleur que nous recherchons depuis si longtemps ».
Crédit de photo de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Thérapie génique, microbiote, microglie… les nouvelles pistes thérapeutiques contre la douleur chronique - Medscape - 2 déc 2021.
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