France – Ils sont médecin, infirmier et aide-soignante, passionnés par leur métier, mais ont décidé de quitter, ces derniers mois, l’hôpital public. La crise sanitaire a parfois été l’élément déclencheur mais le vrai malaise est plus profond. Dégradation des conditions de travail, manque de moyens, perte de sens du métier, salaire peu attractif et manque de reconnaissance sont le plus souvent les maux invoqués par les démissionnaires. Témoignages.
«Une fois parti, on se demande comment on a fait pour rester toutes ces années», Dr Eugénie Taillardat, anesthésiste-réanimatrice à Lyon, 35 ans
« Je suis partie [de l’hôpital public] en novembre 2020 entre deux vagues de l’épidémie.
Après un post-internat à Necker (2016-2018) et un tour du monde, j‘ai pris un poste d’anesthésie-réanimation pédiatrique aux Hospices Civils de Lyon en juin 2019 que j’ai quitté en novembre 2020. J’avais passé le concours de PH en mars 2020 et je devais être titularisée en juillet 2020 mais j’ai finalement refusé le poste.

Dr Eugénie Taillardat
En discutant avec un PH contractuel, je me suis aperçue qu’en devenant PH, j’allais retomber au premier échelon et que j’allais perdre 600 euros par mois malgré mes trois ans d’ancienneté (Depuis le Ségur de la Santé, les 3 premiers échelons ont été supprimés pour limiter la perte de revenus en début d’activité, ndlr).
Je n’ai pas eu à me plaindre des conditions de travail aux HCL, qui est un des seuls hôpitaux pédiatriques avec une équipe complète. Mais je ne me voyais pas d’avenir. Je voulais travailler à mi-temps pour avoir du temps libre et pouvoir faire d’autres choses à côté.
Aujourd’hui, je travaille deux jours par semaine, j’effectue des remplacements dans des cliniques privées et dans une maternité publique à Lyon. Et je gagne autant que si j’étais à temps plein à l’hôpital public.
Une fois parti, on se demande comment on a fait pour rester toutes ces années. Je ne fais pas partie d’une équipe mais ça se passe très bien. La seule chose qui m’inquiète est que je n’ai pas de visibilité à long terme ni la sécurité de l’emploi.

Valérie Troadec
Pendant la crise Covid, je n’ai plus eu de remplacements à effectuer en clinique et pour ne pas me retrouver sans boulot, je suis partie trois mois faire des remplacements en Martinique. Forcément, je m’interroge sur mon avenir car l’activité salariée présente l’avantage d’être moins précaire.
« Après 19 ans de carrière, je gagnais 1500 euros brut par mois », Valérie Troadec, ex aide-soignante au CH de Cherbourg reconvertie dans l’aide à domicile, 53 ans
« J’ai travaillé pendant 19 ans en tant qu’aide-soignante à l’hôpital public dont 18 ans en réanimation. J’adorais mon métier mais depuis cinq ans environ, le contexte s’est dégradé à tous points de vue. Nous souffrons d’un manque de considération. Non seulement j’étais mal payée, mais j’avais du mal, comme mes collègues, à prendre mes congés. On nous rappelait à tout bout de champ sur les jours de repos pour remplacer les absents. Il y a beaucoup d’absentéisme car la situation est devenue très difficile.
On n’a plus le temps de s’occuper des patients, le système est maltraitant. On n’avait pas toujours le temps de déjeuner, ou alors je mangeais dans le service car on était susceptibles d’être appelés à tout moment par un médecin ou la famille d’un patient.
Après 19 ans de carrière, je gagnais 1500 euros brut par mois sans les primes (70 euros le dimanche). J’ai dû être augmentée de 100 euros en 19 ans. Et à 80 centimes de l’heure la nuit, on ne se précipitait pas pour travailler une nuit en plus. J’en ai eu ras-le-bol. J’ai réfléchi pendant deux ans avant de quitter l’hôpital. J’ai eu un pépin physique, une tendinite à l’épaule, et j’ai dû être arrêtée 9 mois. J’ai repris en mi-temps thérapeutique, enfin, on me faisait travailler pendant 12 heures par jour deux jours par semaine au lieu de 4…
Et puis, on m’a remise à temps plein et l’autre épaule a lâché. Pendant l’épidémie Covid, j’ai proposé d’aider dans un centre de vaccination mais on m’a répondu que c’était trop compliqué.
J’ai négocié une rupture conventionnelle début 2021 et suis partie en juillet dernier. C’était un soulagement. Bien sûr, ça fait peur de quitter l’hôpital mais je ne regrette rien.
Je me suis lancée dès juillet dans l’aide à domicile. Je ne voulais pas quitter le soin. J’aide les gens à prendre les repas, à s’habiller, à faire leurs courses ou tout simplement je les accompagne en sortie. Je fais aussi de l’art-thérapie, des ateliers-mémoires avec les patients souffrant d’Alzheimer. Les gens me paient en chèque Cesu (18 euros de l’heure) et je gagne autant qu’avant en débutant simplement mon activité. Résultat, je me sens mieux, j’arrive à retrouver de la sérénité avec les personnes que je prends en charge. »
« Pour tout l’or du monde, je ne reviendrai pas à l’AP-HP, ils m’ont dégoûté », I.T., cadre-infirmier de l’AP-HP en disponibilité, 43 ans
« J’ai travaillé pendant 20 ans en tant qu’infirmier puis ces 3 dernières années en tant que cadre infirmier à l’AP-HP. Je me suis mis en disponibilité il y a un peu plus d’un an car j’ai ressenti un ras-le-bol, n’étant absolument pas soutenu par ma hiérarchie. En tant que cadre au forfait, je devais bosser 7h48 par jour, j’étais théoriquement libre de m’organiser mais je faisais régulièrement des journées de 12 heures, entre les réunions et les coups de fil pour trouver du personnel. Interface entre la direction et les équipes, je devais gérer continuellement les absences et face à un fort absentéisme, appeler des collègues pour leur demander de faire des heures sup pendant leurs jours de repos pour boucher les trous.
On est allé jusqu’à payer des taxis pour faire venir des confrères qui habitent en grande banlieue car on n’avait personne ces jours-là. J’ai vu des infirmières gérer 60 lits seules car il n’y avait pas assez de personnel. En quelques mois, sur 12 infirmiers que comptait un service, 10 ont démissionné car ils étaient en souffrance. On travaillait seulement avec des intérimaires. Le climat est devenu délétère. Le métier était devenu tellement dur que j’allais au boulot avec la boule au ventre, je faisais des cauchemars.
J’ai demandé à pouvoir suivre une formation d’un an pour me réorienter. La direction m’a d’abord dit « oui » puis elle n’a plus soutenu mon projet au prétexte qu’elle manquait de cadres. Ils m’ont demandé de repousser mon projet de deux ans en menaçant de ne pas assurer mon salaire si je n’obtempérais pas. Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je me suis mis en disponibilité, j’ai suivi ce cursus tout en bossant comme IDE libéral pour pouvoir le financer et pour vivre.
J’ai fini ma formation et j’ai déjà reçu plusieurs propositions pour intégrer des structures d’encadrement mais je ne me presse pas. J’ai besoin de temps pour me remettre. J’ai déjà pensé à aller dans le privé ou à changer de métier mais j’ai toujours eu peur de ne pas faire le bon choix. Je me pose des questions sur la suite mais une chose est sûre. Pour tout l’or du monde, je ne reviendrai pas à l’AP-HP. Ils m’ont dégoûté.
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Citer cet article: Pourquoi ils ont quitté l’hôpital public : 3 soignants témoignent - Medscape - 1er déc 2021.
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