James Bond... L’espion qui ne tombe pas malade

Carlos Sierra

Auteurs et déclarations

29 novembre 2021

L'agent secret le plus célèbre de la planète a sauvé l’humanité de multiples calamités depuis 1962. Dans 25 films, James Bond a affronté des ennemis en tout genre… mais quid de la multitude d’agents pathogènes, dont certains très dangereux, qu’il a (ou aurait dû) rencontrer au cours de ses 86 voyages à l’étranger ? Quels sont ces ennemis que l'on ne voit pas à l'écran ?

Pour répondre à cette question, des chercheurs de la Radboud University et de la London School of Hygiene & Tropical Medicine ont analysé en détails l'ensemble des risques sanitaires existant dans les 47 pays que Bond a visités depuis près de 60 ans. Les résultats ont été publiés dans la revue Travel Medicine and Infectious Disease.[1]

Pour identifier ces menaces invisibles à l'œil du spectateur lambda, chaque chercheur impliqué dans cette analyse rétrospective a passé en moyenne près de 52 heures à visionner les 25 films de l'agent 007 sortis entre 1962 et 2021. L'espion britannique y effectue 86 voyages internationaux, visitant 47 pays géographiquement identifiables. Pour évaluer les risques sanitaires de chacun de ces pays, les auteurs se sont appuyés sur les recommandations actuelles des CDC (Centres américains de contrôle et de prévention des maladies), lesquelles ont été interprétées dans le contexte historique dans lequel chacun des voyages a eu lieu.

Une fois identifiés, ces risques ont été regroupés en six catégories : santé sexuelle, sécurité alimentaire et infections, affections transmises par l'air et les aérosols, infections transmises par des arthropodes, infections transmises par d'autres vecteurs et maladies tropicales négligées, et risques liés à une mauvaise préparation du voyage.

Maladies sexuellement transmissibles

Pour quiconque a suivi régulièrement la filmographie de James Bond, ce n'est pas une surprise :  l'agent secret a eu, au cours des 60 dernières années, une activité sexuelle bien supérieure à la moyenne. Au total, 59 relations sexuelles ont été enregistrées dans ses 25 longs métrages (2,4 par film en moyenne). Parmi toutes ces relations, il n'y a eu qu'à trois reprises (5,1 %) la preuve d'une relation à long terme, un mariage et une relation présente dans deux films consécutifs. En outre, la majorité des rapports sexuels ont eu lieu spontanément et sans préliminaires, ce qui rend extrêmement difficile l'échange d'antécédents et présente clairement un risque au niveau sanitaire. De plus, on retrouve, au moins pour un de ces cas, des preuves irréfutables qu'il n'a pas utilisé de préservatif.

Le plus inquiétant dans ce comportement est qu'il ne peut pas être attribué au fait qu'il ne s'agit que de films et que les actes qui y sont montrés ne sont pas réels. L'agent 007 appartient au groupe de personnes qui ont des rapports sexuels occasionnels pendant leurs voyages internationaux, soit 20 à 34% des voyageurs. La moitié de celles-ci, selon les données de 2019, n'utilisent pas de préservatifs.

Sécurité alimentaire et infections

La diarrhée est la cause la plus fréquente de maladies liées aux voyages. Pour en réduire le risque, le moyen le plus efficace est de veiller à son hygiène personnelle et à la sécurité alimentaire, aspects que le protagoniste de la saga ne prend généralement pas en compte. Dans ses 25 films, on ne le voit se laver les mains que deux fois, dont l'une après avoir tué un ennemi dans un bain de boue ; et il ne prête pas non plus attention à la sécurité alimentaire, puisqu'il mange régulièrement des fruits non lavés ou non épluchés.

En outre, l'agent secret consomme régulièrement de l'alcool, produit néfaste pour la santé comme l'ont montré de nombreuses études. Mais ce n'est pas le seul danger lié à l'alcool qui apparaît dans ses films. Dans l'un d'eux, en Turquie, James Bond tente de désinfecter la blessure d'un collègue avec du raki local. Ceci n'a aucun fondement scientifique, aucune étude n'ayant démontré l'efficacité des distillats à base de raisin pour nettoyer une plaie.

Les maladies transmises par l'air et les aérosols

L'espion britannique ne prend pas non plus en considération les mesures de précaution pour minimiser le risque de contagion de ces maladies, tellement d'actualité en période de Covid-19. En 1967 par exemple, il se rend au Japon en pleine épidémie de grippe aviaire et, à aucun moment du voyage, il ne respecte les règles de distanciation sociale : il emprunte les transports publics et se mêle à la foule sans aucune protection, et utilise même le masque d'une autre personne pour passer inaperçu, ce qui présente un risque évident de contagion.

Infections transmises par des arthropodes

Au cours de ses voyages autour du monde, 007 se rend dans plusieurs destinations à forte incidence de maladies telles que la malaria (Bahamas), la dengue (Jamaïque) et le chikungunya (Inde), sans prendre les précautions les plus élémentaires contre les piqûres d'insectes, vecteurs de transmission de ces maladies. Au Japon par exemple, où l'encéphalite japonaise causée par des flavivirus est répandue, l'agent secret ignore le bourdonnement d'un moustique ; tandis que dans d'autres pays où le paludisme est endémique, il dort fenêtres ouvertes et sans moustiquaire.

Infections transmises par d'autres vecteurs et maladies tropicales négligées

Les infections que le célèbre agent secret risque de contracter ne sont pas seulement transmises par des arthropodes. Il en existe d'autres, dont deux exemples sont détaillés. En Turquie, James Bond voyage avec des rats dans un bateau sans prendre de précautions, risquant de contracter une Leptospira, une bactérie zoonotique présente dans l'urine de rongeurs infectés et qui peut être mortelle. En Inde, il est attaqué par une sangsue qu'il élimine en la brûlant avec son briquet, augmentant la probabilité qu'elle régurgite son contenu intestinal dans son sang, ce qui peut provoquer une bactériémie et une septicémie.

En ce qui concerne les maladies tropicales négligées, 007 est exposé à plusieurs d'entre elles de manière répétée dans les Caraïbes, où elles sont endémiques, lorsqu'il marche pieds nus sur les plages et court le risque de contracter une larva migrans cutanée, parasite cutané acquis par l'exposition de la peau aux larves filiformes d'ankylostomes ; mais aussi la tungiasis, maladie parasitaire provoquée par la pénétration de puces de sable femelles dans la peau, où elles pondent leurs œufs. Figurent également sur cette liste la rage, en ignorant un chien errant agressif - et potentiellement enragé - au Vietnam où cette maladie est endémique, ou encore le danger d'être mordu par des serpents en divers endroits comme l'Inde ou les îles Caraïbes.

Risques liés à une mauvaise préparation du voyage

On observe souvent que James Bond n'accorde que peu d'attention aux conseils techniques qui permettent d'éviter les effets secondaires potentiellement mortels de la plongée, comme le mal de décompression, causé par une remontée rapide des eaux profondes, qui se produit lorsqu'on est éjecté d'un sous-marin tel une torpille, comme c'est le cas dans deux de ses films. Un autre problème de santé que Bond néglige est son niveau d'hydratation. La grande quantité de boissons alcoolisées qu'il consomme n'empêche pas la déshydratation, un risque que l'espion court à de nombreuses reprises lorsqu'il effectue des activités physiques extrêmes sous des climats très chauds. En outre, Bond n'applique jamais de crème solaire et ses vêtements sont souvent inadaptés aux fortes chaleurs.

Conclusions

Après avoir passé en revue tous les films, la conclusion logique est que l'agent 007 est une personne très chanceuse, car en plus d'avoir survécu à d'innombrables ennemis utilisant toutes sortes de stratagèmes, il est sorti indemne de nombreuses situations dans lesquelles sa santé est mise en danger de multiples façons. « Cette insouciance manifeste de l'agent Bond nous fait penser qu'il souffre peut-être de toxoplasmose, maladie qui, chez la souris, a été associée à une diminution du sentiment de risque, » ont déclaré ironiquement les chercheurs de cette étude à Univadis.

Ce travail peut sembler frivole, puisqu'il s'agit d'un personnage fictif et que presque aucun de ses adeptes ne chercherait à reproduire son comportement. Mais une seconde lecture plus paisible peut aider à transmettre un message très important, car « les risques de James Bond peuvent être un outil utile pour attirer l'attention sur l'importante question du risque de maladies infectieuses au travail et en voyage, un problème qu'une part importante de la société ne prend pas pleinement en compte », ont conclu les chercheurs.

Ce travail n'a bénéficié d'aucun financement spécifique. Aucun des auteurs n'a déclaré avoir de conflits d'intérêts.

Cet article a été publié originalement sur Univadis.es, le 9 novembre 2021. Traduit par MediQuality.

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