Actualisation du 06/12 – Les professionnels de santé ont manifesté dans toute la France samedi 4 décembre pour "défendre le système de santé". Ils étaient 6 000 à Paris selon une source syndicale, et 2 100 selon la préfecture de police, pour réclamer de meilleures conditions de travail à l'hôpital public.
Paris, France – Manque de moyens, démissions de personnels en cascade, vacances de plus en plus longues de postes médicaux et paramédicaux, fermeture de lits et désormais de blocs opératoires, urgences débordées…Comment mettre fin à la longue litanie des maux de l’hôpital public et éviter un « craquage » pur et simple, alors que, paradoxalement, les 1300 établissements publics ont réussi l’exploit d’accueillir 84% des hospitalisations de patients Covid-19 avec une grande réactivité et beaucoup d’inventivité début 2020 lors du démarrage fulgurant de l’épidémie de Covid-19 ?
Pourquoi et comment cette belle énergie déployée en début de pandémie s’est-elle évaporée ? Peut-on panser l’hôpital sans repenser le soin dans sa globalité ? Des médecins impliqués dans la défense de l’hôpital et dans la crise du Covid ont apporté des éléments de réponse lors des Rencontres Capitales organisées à l’Institut de France du 19 au 21 novembre[1].
Les premières vagues Covid : entre peur et exaltation
La Pr Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses de l’Hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris) a bien traduit ce hiatus entre une prise en charge à bras-le-corps de la crise de la Covid au printemps 2020 et la morosité des équipes soignantes en cet automne 2021 en évoquant une « grande ambivalence ». « En mars-avril 2020, s’est produit un événement traumatisant mais fondateur pour la communauté des soignants : l’irruption d’une épidémie de Covid au niveau mondial, a-t-elle résumé. Se développe alors une solidarité, une capacité d’adaptation de l’hôpital public, beaucoup d’empathie et une capacité d’innovation qui nous a porté pendant plusieurs mois et nous a permis de faire face à la première vague, puis à la deuxième vague, ensuite s’est installé la fatigue, physique mais aussi psychologique ».
Ce qui revient constamment dans la bouche des soignants au début de l’épisode Covid, c’est véritablement la solidarité, l’écoute de leurs besoins et la confiance des administratifs et des gestionnaires que les médecins ont expérimenté ces quelques mois – une bulle d’autonomie et d’innovation extrêmement appréciable – face à l’inconnu que représentait ce virus.
Agnès Hartemann, cheffe du service de diabétologie de l’hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP, Paris), évoque de son côté, « à la fois la peur mais aussi l’exaltation » ressenties par les soignants pendant la première vague et cite un exemple concret de cette autonomie retrouvée : « on nous a demandé, il vous faut une infirmière et un aide-soignant pour combien de malades ? On a répondu : idéalement 6 et on nous a dit OK ! » – une réponse inespérée et totalement inenvisageable encore quelques semaines auparavant.
« La crise a vu se résoudre extrêmement rapidement des problèmes matériels pour lesquels on se battait depuis des années », résume la Pr Lacombe.
Le problème, c’est que cette prodigalité en matière de moyens matériels et humains, de même qu’une certaine liberté d’organisation, ont fait long feu. Passé les deux premières vagues, « on est vite retombé dans la situation d’avant où aucun des problèmes de l’hôpital qui précédaient la pandémie n’avait été réglé », tranche la Pr Lacombe.
Stupéfaction devant les départs massifs de personnels
Car les dysfonctionnements – qui préexistaient à la pandémie – ont non seulement perduré après les premières vagues mais ils sont amplifiés puisqu’il faut désormais faire face, en plus, à d’énormes problèmes de ressources humaines.
La Pr Lacombe a parlé un taux d’absentéisme important du personnel médical y compris dans son service – « essentiellement dû à des accidents de la vie courante mais qui ne survenaient pas à cette fréquence auparavant et qui peuvent s’expliquer par la fatigue des personnels » et, nouveauté, des difficultés à remplacer ces personnels absents – car « même le recours à l’intérim est devenu très compliqué », tant il est difficile de trouver des soignants volontaires pour travailler à l’hôpital.
Même propos désabusés de la part du Pr Hartemann : « Moi-même et le collectif [collectif inter-hôpitaux (CIH), dont fait partie la diabétologue], on est abattu par la situation, on ne s’attendait pas à ce que les départs de l’hôpital soient aussi massifs. On parle de fermeture des lits, mais aujourd’hui les services se ferment tout seuls car il n’y a plus personne pour les faire tourner ».
On savait certaines spécialités comme les urgences ou la pédiatrie en souffrance, mais ce ne sont désormais plus les seuls, « il y a aussi des blocs opératoires fermés, car les infirmières de blocs opératoires, les infirmières anesthésistes sont parties ». Et même si elle était consciente de l’ « extrême lassitude des personnels », le Pr Hartemann semble sous le choc : « on est nous-mêmes stupéfait par la situation de l’hôpital ».
Concernant cette mauvaise répartition des ressources en soignants sur le territoire, le Pr Eric Caumes, spécialiste pathologies infectieuses et tropicales (hôpital Hôtel-Dieu) considère que « les déserts médicaux – qui commencent aux portes de Paris – sont un vrai scandale » et évoqué de grandes disparités de moyens suivant les types d’hôpitaux (généraux, universitaires, soins de suite, parisiens ou en région).

Dessin Héloïse Chochois : l'hôpital en plein effondrement
Revoir tout le système de santé
Cette épidémie a clairement établi, aux yeux de tous, la place capitale de l’hôpital au sein de la société, « c’est un bien commun, qui nous appartient à tous, ce qui veut aussi dire que l’on doit se battre pour que cela aille mieux », a déclaré Karine Lacombe.
Une fois le diagnostic posé, et face à un pronostic assez sombre, les intervenants ont fait part de leurs pistes pour sortir l’hôpital public de l’ornière. Ré-inventer l’hôpital public, oui mais comment ? Qu’est-ce que sera le soin dans les années à venir ?
Tous se sont accordés sur la nécessité de ne pas voir l’hôpital par le petit bout de la lorgnette mais de le repenser de façon globale, ce qui signifie, en clair : revoir tout le système de santé. Selon le principe que « tout est inter-dépendant, et qu’un dysfonctionnement dans un secteur en entraine un autre dans un autre secteur » – comme le montre la gestion actuelle des urgences, par exemple – « on a besoin que le système de soin fonctionne de façon globale », a affirmé Karine Lacombe, ce qui inclus de fait tout le secteur médico-social.
Pour faire face aux défis de demain que sont la très grande précarité, la vieillesse, les migrants, il importe qu’il y ait une bonne « articulation du médical, du social, du soin ambulatoire et des soins hospitaliers », ce qui revient à « ré-inventer le système de santé tout entier », a conclu l’infectiologue.
Nécessaire amélioration de la qualité de vie au travail des soignants
Plus pragmatique, la Pr Hartemann a, quant à elle, évoqué la nécessité d’un choc d’attractivité pour faire revenir les personnels soignants dans les hôpitaux. « Avec le CIH, on a évalué qu’il faudrait que les effectifs augmentent de 100 000 sur 3 / 4 ans mais on en est loin, surtout en région », a-t-elle chiffré.
L’attractivité passe par de meilleurs salaires pour les paramédicaux – tout en reconnaissant l’effort de revalorisation, « le Ségur a accouché d’une souris », selon elle –, mais aussi une amélioration de la qualité de vie au travail des soignants.
Très concrètement, cela signifie « des horaires qui ne changent pas de manière intempestive, du temps pour s’occuper des patients et intégrer les infirmières à des équipes » – plutôt que les mutualiser au sein de « pôles » sans affectation régulière.
« Cela devrait faire partie du programme de la présidentielle », a considéré la diabétologue, se réjouissant que les problèmes de l’hôpital commencent à être médiatisés.
Même nécessité de « tout remettre à plat » pour le Pr Eric Caumes « à commencer par la formation des médecins », précise-t-il. Son credo : « ré-introduire de l’humanité dans les métiers médicaux » en sélectionnant les futurs médecins sur des critères autres que leur niveau en math et en physique. Il prône aussi la revalorisation du métier de médecin, et met la relation médecin-patient au centre du soin, en ajoutant que l’avenir de la médecine ne passera pas par l’intelligence artificielle à tout va.
Prévoir de nouveaux états généraux de la santé ?
Au-delà des questions d’organisation, de personnels, de formation, le Dr Nicolas Foureur, a considéré que l’avenir de l’hôpital passait par plus de réflexion sur l’éthique du soin. « Beaucoup de questionnements éthiques sur le droit des patients au sens large ont émergé pendant la pandémie – notamment sur l’obstination déraisonnable chez les personnes âgées – et les cellules chargées des questions éthiques créées à la faveur du Covid ont fait la preuve de leur utilité », a-t-il affirmé de son point de vue de directeur du centre d'éthique clinique de l'AP-HP. Selon lui, « le dialogue avec les patients et les représentants des usagers constitue une voie pour faire évoluer l’hôpital ».
Autre piste avancée par le Pr Daniel Couturier, membre académie de médecine, pendant ce débat pour préparer l’avenir de l’hôpital : « prévoir de nouveaux états généraux de la santé », l’occasion peut-être de mettre en débat tous les sujets évoqués ci-dessus, en mettant « en œuvre une large concertation, en prenant son temps, en écoutant patiemment tous les acteurs, les patients et les usagers » à l’image des « états généraux de la santé initiés en 1998 et conclus par la loi de 2002 ». Peut-être ne ré-inventerons nous pas l’hôpital – un projet trop ambitieux – mais au moins reverrons-nous toute l’organisation de la santé, a-t-il suggéré.
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Crédit photo : John A. Beatty via Getty
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Citer cet article: Comment ré-inventer l’hôpital public ? - Medscape - 1er déc 2021.
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