POINT DE VUE

Pointe-à-Pître : « L'hôpital ne doit pas être pris en otage comme c'est actuellement le cas »

Jean Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

25 novembre 2021

 

Actualisation  – Le gouvernement a repoussé du 15 novembre au 31 décembre l’obligation vaccinale pour les personnels soignants en Martinique et Guadeloupe. Des « groupes d’écoute et de dialogue » seront mis en place cette semaine pour recevoir « individuellement chaque professionnel concerné par une suspension pour non-conformité à l’obligation vaccinale », indique le  communiqué commun des ministères des outre-mer et de la santé. Pour les professionnels qui accepteront cet échange individuel, la suspension de leur rémunération sera levée pendant toute la durée de cet échange. Ceux qui refuseront cet échange poursuivront leur suspension ou seront suspendus. AL

 

 

France/25 novembre 2021 – Depuis le 15 novembre, des émeutes ont éclaté en Guadeloupe, provoquées par l'obligation de vaccination pour les soignants et les pompiers. Alors que la situation s’envenime aussi en Martinique, elle s'enlise en Guadeloupe et les revendications dépassent désormais le simple cadre sanitaire. L'hôpital de Pointe-à-Pître, regrette le Dr Patrick Portecop, responsable du Samu de Guadeloupe avec qui nous nous sommes entretenus, est pris en otage. Il appelle au calme pour que les prises en charge reprennent sans que les patients ne subissent de perte de chance.

Medscape édition française : Qu'en est-il actuellement de la situation sociale en Guadeloupe ?

Dr Patrick Portecop : S'il y a eu en Martinique des levées de barrages demandées par les syndicats, ce n'est pas encore le cas en Guadeloupe. Nous sommes inquiets de savoir jusqu'à quand les barrages vont être maintenus.

 
Nous sommes inquiets de savoir jusqu'à quand les barrages vont être maintenus
 

La vaccination obligatoire des soignants semble être le déclencheur de la mobilisation sociale en Guadeloupe. Est-ce la seule raison ?

Dr Patrick Portecop : Mon sentiment personnel est que, actuellement, la mobilisation dépasse la simple question de l'obligation vaccinale. Il y a beaucoup plus de revendications politico-syndicales anciennes qui sont mises en avant. Un amalgame est fait avec l'obligation vaccinale et le pass sanitaire. Résultat, la mobilisation qui a débuté la semaine dernière ressemble sur beaucoup d'aspects à la mobilisation de 2009. Les jeunes des quartiers ont retrouvé leur savoir-faire en termes de fabrication de barricades, avec succès puisqu'ils ont réussi à cadenasser tous les axes de circulation importants.

L'opposition à la vaccination obligatoire est-elle importante actuellement chez les soignants en Guadeloupe ? Est-ce une opposition à la vaccination obligatoire ou une opposition au vaccin à ARN messager ?

Dr Patrick Portecop : En Guadeloupe nous rencontrons les deux cas de figure. La vaccination pose problème car le taux de vaccination complète de la population ne dépasse pas les 40%, environ. L'explication à cela est certainement historique, politique... Les organisations syndicales et patriotiques arguent du peu de confiance qu'elles ont dans l'État pour répondre favorablement à l'injonction de la vaccination obligatoire et du pass sanitaire, contrairement à ce que l'on peut observer en métropole. D'autant qu'il n'y a eu pour le moment aucune prise en compte du scandale du chlordécone par les autorités du pays. Donc les professionnels de santé sont à l'écoute de leurs syndicats qui jugent défavorablement la vaccination obligatoire. Mais après un énorme travail d'explications dans les services, de nombreux professionnels de santé se sont mis en conformité avec la loi. Actuellement, 85% des soignants environ sont vaccinés en Guadeloupe. Pour autant, nous observons des taux d'absentéisme importants, qui nous empêchent de profiter de cette manne, puisqu'avec 85% de soignants vaccinés, nous devrions proposer une offre de soins correct. Mais nous sommes obligés de procéder à des réductions d'activité, voire des fermetures, car nous n'avons pas de personnel suffisant pour faire fonctionner tous les services.

Quel est le taux d'absentéisme actuellement chez les soignants ?

Dr Patrick Portecop : Au bas mot, le taux d'absentéisme doit être de 40%. Mais cet absentéisme ne touche pas que les soignants. Dans un hôpital, si vous n'avez pas de draps propres, de restauration, de nettoyage, de logistique, vous ne pouvez pas faire grand-chose. Aussi, un mouvement social a démarré qui se traduit par un filtrage des entrées, qui oblige les salariés de l'hôpital à laisser leurs voitures garées à l'extérieur. C'est une méthode ancienne propre à notre centrale syndicale majoritaire. Cette technique épuise les médecins qui ont beaucoup de mal à accepter ce diktat, et en ont assez de devoir parcourir à pied le trajet jusqu'à l'entrée de l'hôpital, en laissant leur voiture hors de l'enceinte, en proie, très souvent, à des dégradations.

 
Au bas mot, le taux d'absentéisme doit être de 40%.
 

Quelles sont les conséquences pour les soins ?

Dr Patrick Portecop : À partir du moment où l'on est obligé de déprogrammer des activités programmées pour ne faire que des urgences, force est de constater qu'il y a des pertes de chances pour les patients qui vont se mesurer beaucoup plus tard. Nous avons du mal à avoir en nombre suffisant des préparateurs pour des chimiothérapies, on a du mal à avoir du personnel pour le laboratoire, la pharmacie... C'est très compliqué, il faut énormément d'engagement des personnels en place pour continuer à faire tourner l'hôpital. Autre difficulté : il est difficile de savoir si les personnels pourront se présenter à l'hôpital du fait de la mise en place des barricades. Nous sommes donc obligés parfois de reporter des activités au pied levé, que nous avions programmé la veille.

 
Nous avons du mal à avoir en nombre suffisant des préparateurs pour des chimiothérapies, on a du mal à avoir du personnel pour le laboratoire, la pharmacie...
 

Quel est le taux d'occupation des réanimations avec les patients Covid ?

Dr Patrick Portecop : Nous avons une dizaine de patients Covid pour 26 lits donc ça va. En revanche, nous avons du mal à faire sortir les patients de réanimation car les services d’hospitalisation classique ont des difficultés pour les recevoir. Aux urgences également nous avons du mal à évacuer nos patients, car il y a un phénomène d'engorgement qui est préjudiciable, c'est pour cela qu'il est plus que nécessaire qu'il y ait un retour au calme. Il faut que les revendications des uns et des autres puissent être abordés sereinement au cours de rencontres avec les autorités, mais l'hôpital ne doit pas être pris en otage comme c'est actuellement le cas. C'est d'autant plus injuste que les revendications actuelles ne sont pas forcément liées au pass sanitaire ou à la vaccination obligatoire.

 
l'hôpital ne doit pas être pris en otage comme c'est actuellement le cas.
 

Quelles sont ces autres revendications ?

Dr Patrick Portecop : Elles sont de tout ordre. Sur un territoire qui affiche plus de 30% de chômage, la question de la jeunesse est abordée, tout comme la question de l'autonomie politique... Chaque catégorie professionnelle veut faire remonter des revendications. Certaines catégories professionnelles ne se sentent peut-être pas représentées par les élus.

Donc la solution c'est la négociation ?

Dr Patrick Portecop : Il y a certaines choses que l'on peut négocier, dans le domaine social, statutaire, politique, etc. Cela fait des années que c'est en débat. En revanche, concernant l'application de la loi sur le pass sanitaire, il n'y a pas de sujet à négocier. Soit l'on propose un amendement, soit la loi s'applique, comme cela risque d'être le cas, et nous aurons juste perdu du temps. Les hôpitaux ont besoin de fonctionner. Dans certains endroits il n'y a eu aucune difficulté à faire comprendre l'intérêt de cette vaccination. Sur notre territoire nous avions suffisamment de vaccins pour mettre à l'abri l'ensemble de la population mais ce n'est pas ce qui s'est déroulé, peut-être par manque de pédagogie. Mais nous devions aussi gérer une crise sanitaire inédite, nous sommes tous un peu responsables. Il faut arriver à dissocier la crise sanitaire mondiale et la nécessité de se vacciner, méthode qui a fait ses preuves, d’avec les autres problèmes du territoire, lesquels doivent être négocier avec les élus.

La situation de la Guadeloupe reflète-t-elle la situation antillaise ou est-elle particulière ?

Dr Patrick Portecop : La situation guadeloupéenne reflète la défiance antillaise, vis-à-vis de l'autorité et de l'État. La vaccination n'a pas été acceptée par les populations aux Antilles et en Guyane. À la Réunion, la situation est différente, tout comme en Nouvelle Calédonie, où ils ont fait le choix de l'obligation vaccinale pour rattraper leur retard très rapidement. Mais dans l'arc caribéen, nous avons une difficulté qu'il faut analyser.
 

Crédit photo de Une : CARLA BERNHARDT / Contributeur via Getty

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