Virtuel – Chez les sujets diabétiques à haut risque cardiovasculaire, la prise quotidienne d’aspirine à faible dose n’a pas permis de réduire de manière significative le risque de démence ou de troubles cognitifs à long terme. C’est ce que révèle une nouvelle analyse de l’essai randomisé ASCEND, dont les résultats ont été présentés lors du congrès virtuel de l’American Heart Association (AHA 2021) [1].
Les résultats de cet essai portant sur plus de 15 000 diabétiques suivis en moyenne pendant plus de neuf ans laissent toutefois entrevoir un bénéfice suffisant pour justifier des travaux plus approfondis, estiment les chercheurs.
« La question reste ouverte », a commenté lors de la présentation, le Pr Jane Armitage (Nuffield Department of Population Health, University of Oxford, Royaume-Uni), auteure principale de l’étude. « Les différences de taux [en comparaison avec le bras placebo] suggèrent des bénéfices. C’est assez encourageant. »
Avec cette analyse, l’essai ASCEND apporte à nouveau des résultats peu concluants sur l’intérêt de l’aspirine en traitement préventif. En 2018, il avait révélé, après plus de sept ans de suivi, que l’aspirine à 100 mg/jour réduit les risques cardiovasculaires chez ces patients diabétiques, mais au prix d'une augmentation des saignements sévères, principalement au niveau gastro-intestinal.
Approche préventive sur mesure
Initialement, l’objectif principal de cet essai était d’évaluer l’efficacité et la sécurité d’une prise quotidienne d’aspirine à faible dose en prévention des événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, AVC…) chez des diabétiques âgés d’au moins 40 ans lors de l’inclusion et sans antécédent cardiovasculaire. Au total, l’essai a inclus 15 480 patients diabétiques.
Après un suivi moyen de 7,4 ans, il a révélé une baisse du risque relatif d’événements cardiovasculaires de 12% chez les patients prenant de l’aspirine, mais une hausse du risque relatif de saignements majeurs de 29%, en comparaison avec le groupe placebo. Des résultats assez similaires à ceux rapportés dans les essais ASPREE et ARRIVE.
Les résultats de ces travaux ont conduit le groupe de travail américain spécialisé dans les questions de prévention (USPSTF), mais aussi l’American College of Cardiology (ACC) et l’American Heart Association (AHA) à mettre en garde sur une utilisation systématique et généralisée de l’aspirine en prévention primaire des événements cardiovasculaires chez l’adulte.
Cette approche n’est pas pour autant rejetée. Les sociétés savantes recommandent plutôt une prévention sur mesure, adaptée au risque individuel. C’est ce qui apparait dans les dernières recommandations européennes de l’ESC sur la prévention cardiovasculaire, qui ne préconisent pas l'aspirine en prévention primaire, sauf en cas de risque CV élevé ou très élevé.
Pour sa part, l’USPSTF estime qu’il n’y a pas d’intérêt à initier un traitement par aspirine en prévention primaire au-delà de 60 ans.
Les dossiers médicaux analysés
Dans cette nouvelle analyse, le Pr Armitage et son équipe ont recherché un éventuel impact du traitement préventif sur le développement de troubles cognitifs ou de maladies neurodégénératives.
« Des interrogations persistent sur l’effet global de l’aspirine sur la démence et les troubles cognitifs. D’un côté, le traitement peut avoir un effet protecteur en réduisant le risque d’AVC ou d’accident ischémique transitoire, mais de l’autre il peut augmenter le risque de saignement au niveau cérébral », a commenté la spécialiste.
« C’est un sujet potentiellement extrêmement important, compte tenu à la fois du fait que nous sommes très démunis pour prévenir les démences et que nous savons que la part vasculaire joue un rôle important dans l’initiation et la progression des troubles cognitifs chez une grande partie des sujets âgés », a récemment commenté dans nos colonnes, le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat-Claude Bernard, AP-HP, Paris), en évoquant cette analyse de l’essai ASCEND.
Pour mener cette nouvelle étude, les chercheurs ont repris les dossiers médicaux des patients inclus dans l’essai pour analyser les données accumulées pendant le suivi, mais aussi dans les deux années qui ont suivi la fin de l’essai ASCEND. Ils ont également mené un test en fin d’étude pour évaluer la fonction cognitive des participants.
Dans les dossiers médicaux, ils ont recherché les diagnostics utilisant des termes en lien avec la démence, mais aussi avec les troubles cognitifs. Ils ont recherché les prescriptions de médicaments utilisés dans le traitement des maladies neurodégénératives ou tout ce qui est relatif à une orientation vers une consultation pour la mémoire ou en psychiatrie.
Concernant l’évaluation des fonctions cognitifs réalisée en fin d’étude, seuls 58% des sujets inclus ont pu effectuer le test. Ce faible taux de participation représente une limite trop importante pour avoir une interprétation pertinente des résultats obtenus avec ces tests, a souligné le Pr Armitage, lors de sa présentation.
Pas d’aggravation des troubles cognitifs
En considérant les données des dossiers médicaux, l’analyse montre une baisse non significative de 9% du risque de démence et de troubles cognitifs avec le traitement par aspirine (RR=0,91, IC à 95%, [0,81-1,02]), en comparaison avec le groupe placebo. Pour le risque de démence seule, la baisse est de 11% (RR=0,89, IC à 95%, [0,75-1,06], là encore non significative.
Le Pr Armitage note que ces résultats semblent exclure un potentiel sur-risque de démence ou de troubles cognitifs avec l’aspirine puisque les valeurs hautes de l’intervalle de confiance sont de 1,02 et 1,06.
A l’inverse, les valeurs basses à 0,81 et 0,75 suggèrent un bénéfice qui se traduirait alors par une baisse de 19% du risque de démence et de troubles cognitifs et une baisse de 25% du risque de démence seule, a souligné la praticienne.
Concernant les tests de fonction cognitive, l’analyse montre également une légère diminution du risque de développer des troubles cognitifs avec l’aspirine, mais de manière non significative.
« Il est probable que la baisse du risque [de démence ou de troubles cognitifs] soit de 15 à 18% avec l’aspirine, mais il faudrait d’autres études pour le vérifier », a souligné le Pr Armitage, lors d’une conférence de presse. Avec un essai « deux fois plus large » que l’essai ASCEND, « il serait possible de démontrer le bénéfice à long terme de l’aspirine ».
Compte tenu de ces résultats, « un bénéfice modeste de l’aspirine à faible dose est tout à fait possible. Même si la baisse du risque relatif serait de 15% seulement, ce serait un résultat important », en considérant l’incidence élevée de la démence dans le monde et son impact majeur en termes de santé publique.
Des travaux à poursuivre
Cette interprétation des résultats a été assez bien reçue au cours de cette session en late-breaking de l’AHA2021. Invitée à commenter l’étude, le Dr Amytis Towfighi (University of Southern California, Los Angeles, Etats-Unis) a également souligné la nécessité de poursuivre les recherches avec des études plus longues portant sur des sujets mieux sélectionnés et potentiellement plus à risque de démence.
« Je suis assez surprise par les résultats. C’est encourageant », a commenté, pour sa part, le Dr Chrystie Ballantyne (Center for cardiometabolic Disease Prevention, Baylor College of médecine, Houston, Etats-Unis).
« Avec ces résultats, on ne peut pas affirmer que personne ne tire d’avantage de l’aspirine. Peut-être que certains sujets plus à risque pourraient en bénéficier. La question reste ouverte », a ajouté le Dr Erin Michos (Women’s Cardiovascular Health at Johns Hopkins Medicine, Baltimore, Etats-Unis).
D’autres spécialistes présents sur le plateau se sont toutefois montrés moins optimistes. « L’étude nous apporte une réponse de façon préliminaire: l’aspirine ne semble pas améliorer le risque de démence », a notamment souligné le Dr Ahmit Khera, cardiologue spécialiste de la prévention (Southwestern Medical Center, Dallas, Etats-Unis).
L’essai ASCEND a été en financé par les laboratoires Abbott, Bayer, Mylan et Solvay, ainsi que par Research UK, British Heart Foundation et UK Medical Research Council.
Les Drs Armitage, Towfighi, Khera et Michos n’ont pas déclaré de conflits d’intérêt en lien avec le sujet had no disclosures.
Le Dr Ballantyne a des liens d’intérêt avec de nombreuses compagnies.
Cet article a été publié sur Medscape.com sous le titre ASCEND: Hint of Dementia Protection With Aspirin in T2D. Traduit et adapté par Vincent Richeux.
Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Diabète et risque de démence : l’aspirine peu concluante en traitement préventif - Medscape - 23 nov 2021.
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