COVID-19 : « l’outre-mer n’est pas prêt à affronter une 5ème vague »

Stéphanie Lavaud

22 novembre 2021

France – Les mesures gouvernementales liées à l’épidémie de Covid-19 ont fait basculer la Guadeloupe dans l’insurrection et les pillages ces derniers jours. Une réaction qui montre à quel point les solutions et la communication utilisées en métropole pour lutter contre la pandémie nécessitent d’être adaptées aux populations locales, en tenant compte de leurs spécificités. Avant même les récentes échauffourées aux Antilles, c’était déjà la conclusion que tirait la mission sénatoriale qui s’est rendue en outre-mer pour évaluer la situation et les améliorations à apporter du point de vue sanitaire et économique dans ces différents territoires.

Inquiets en cas de reprise épidémique

Avec un temps de retard par rapport à la métropole, les territoires d’outre-mer ont été frappés de plein fouet par l’épidémie de Covid cet été. Comment faire pour que le choc subi – tant humain qu’économique – ne se reproduise pas à la faveur d’une nouvelle vague épidémique ? Une mission d’information du Sénat, placée sous la houlette de Bernard Jomier, sénateur de Paris et, par ailleurs, médecin, s’est rendue sur place. Elle rappelle dans un rapport le tribut extrêmement lourd payé par ces populations – beaucoup moins vaccinées qu’en Métropole – et le niveau de saturation qu’ont connu les hôpitaux, obligeant à l’envoi de renfort et à des transferts aériens de malades. Très inquiets de ce faible taux de vaccination qui fait redouter le pire en cas de forte reprise épidémique, en particulier aux Antilles et en Guyane, les sénateurs font des propositions pour amplifier et mieux adapter le soutien à apporter à la population face à la crise Covid [1].

Une quatrième vague meurtrière

La quatrième vague épidémique liée au variant delta a particulièrement affecté les outre-mer, avec un bilan extrêmement lourd car si les outre-mer représentent 4 % de la population française, ils comptent pour plus de 30 % des décès liés au Covid et survenus en milieu hospitalier de début juillet à fin octobre.

On se souvient que le variant delta, plus contagieux et plus virulent, a touché en outre-mer, des populations moins affectées par les vagues précédentes, et donc moins immunisées, beaucoup moins vaccinées qu’en métropole. Début juillet, en Martinique, 15,7 % de la population seulement avait reçu une première dose, soit pratiquement 35 points de moins qu’en métropole. Lorsque la Guadeloupe et la Guyane ont été à leur tour concernées, de l’ordre de 21 % de la population ayant reçu une première dose tandis qu’à La Réunion comme en Polynésie française, le taux de vaccination pour une première dose était d’environ 31 %. A cette moindre immunisation de la population, est venue s’ajouter le fait que, malgré une population jeune, plusieurs comorbidités (surpoids et obésité, diabète, hypertension …) associées à un risque grave de covid-19 sont beaucoup plus présentes outre-mer qu’en moyenne nationale. De quoi expliquer la surmortalité excessivement importante aux Antilles et en Polynésie française et très élevée en Nouvelle-Calédonie et en Guyane.

Aux Antilles, le nombre de décès hospitaliers liés au covid-19 pour 100 000 habitants a rejoint et très nettement dépassé celui de l’hexagone en l’espace de quelques semaines. Du 1er juillet au 31 octobre 2021, environ 580 décès hospitaliers liés au Covid ont été enregistrés en Guadeloupe et 620 en Martinique. « Des chiffres considérables par rapport à la population dans ces deux îles », a commenté Bernard Jomier lors de la présentation du rapport. « Pour donner la mesure du choc subi par ces deux départements, il faut souligner qu’une mortalité de même ampleur dans l’hexagone aurait entraîné plus de 100 000 décès hospitaliers alors que moins de 5 000 ont été enregistrés sur la même période » ; précisent les auteurs du rapport. Et encore ne sont ici comptabilisés que les décès en milieu hospitalier, et non ceux survenus à domicile.

Trois territoires ont été relativement épargnés au cours des 2e et 3e trimestres 2021. C’est le cas de Mayotte où la situation épidémique est restée relativement stable après une forte poussée au cours des 3 premiers mois, marquée par 80 décès en milieu hospitalier. Aucun cas n’a été répertorié à Wallis-et-Futuna depuis la fin avril et seuls 5 cas ont été signalés et Saint-Pierre et Miquelon.

Une mortalité de même ampleur dans l’hexagone aurait entraîné plus de 100 000 décès hospitaliers alors que moins de 5 000 ont été enregistrés sur la même période.

« Tsunami » épidémique aux Antilles

Conséquence de cette poussée épidémique, que ce soit en Polynésie ou dans les Antilles, la crise a largement excédé les capacités sanitaires des territoires ultramarins et a nécessité une multiplication des capacités de réanimation et l’envoi massif de renforts : 4 600 médecins et soignants venant de l’hexagone du 1er août au 31 octobre ont été nécessaires afin d’épauler les équipes locales et notamment augmenter les capacités de réanimation des établissements hospitaliers. Lesquels ont néanmoins été débordés et plus de 150 évacuations sanitaires ont dues être organisées vers l’hexagone.

Après avoir recueilli les témoignages des professionnels de santé confronté à cette crise, les sénateurs n’hésitent pas à employer le terme de « tsunami » épidémique pour décrire ce qu’ont connu les Antilles et évoquent « une situation relevant de la médecine de catastrophe ». Bernard Jomier a évoqué une situation « inédite » qui a nécessité « la priorisation » des patients. « Il a fallu trier des patients selon des critères très violents », a-t-il témoigné.

Alors que cette poussée épidémique a pris de court les équipes soignantes hospitalières et libérales – aux Antilles, plus d’un millier de patients ont été pris en charge à domicile par des médecins et des infirmier.es –, les sénateurs se disent très inquiets sur la capacité à faire face en cas de nouvelle vague de Covid au vu des conditions très tendues en termes de ressources humaines en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française, où les équipes soignantes sont épuisées.

Il a fallu trier des patients selon des critères très violents Bernard Jomier

De fortes vulnérabilités face au risque d’une probable reprise épidémique 

Si des mesures de freinage, différenciées selon les territoires (état d’urgence, confinement, couvre-feu…), ont permis de revenir à une situation globalement sous contrôle, les sénateurs considèrent qu’il existe des « vulnérabilités trop importantes dans ces territoires face au risque d’une probable reprise épidémique ».

L’une d’elle – la principale – tient à des taux de vaccination partout inférieurs à celui de l’hexagone, excepté à Saint-Pierre-et-Miquelon qui possède une couverture vaccinale équivalente à la moyenne nationale. « Saint-Barthélemy, la Nouvelle Calédonie et, dans une moindre mesure, La Réunion, s’en approchent et la campagne de vaccination a touché plus de 80 % de la population éligible à Mayotte. La vaccination a également bien progressé en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, tout en restant insuffisante », note le rapport.

En revanche, la Guyane et les collectivités antillaises, à l’exception de Saint-Barthélemy, demeurent à des niveaux très faibles. Et là où le bât blesse, c’est que « la vague particulièrement meurtrière de l’été dernier n’a provoqué aucune accélération de la vaccination », contrairement à d’autres territoires comme la Polynésie française.

La vague particulièrement meurtrière de l’été dernier n’a provoqué aucune accélération de la vaccination.

Des freins puissants à la vaccination aux Antilles

En déplacement aux Antilles, la mission d’information a constaté que la vaccination faisait face à une résistance puissante. La consultation citoyenne mise en place par l’ARS de Martinique a ainsi montré que la moitié des 6000 répondants ne souhaitait pas se faire vacciner. Si les réticences et les doutes exprimées vis-à-vis de la vaccination rejoignent celles entendues en métropole, en revanche elles trouvent un écho bien plus fort aux Antilles où la population a plus recours à la pharmacopée locale et aux traitements alternatifs. Les sénateurs citent aussi la « place démesurée » qu’occupent les réseaux sociaux, vecteurs de fausses informations et la défiance d’une partie de la population vis-à-vis de l’État et de la parole officielle. L’un des rapporteurs, le sénateur des Hautes-Alpes, Jean-Michel Arnaud, a évoqué « une relation complexe à la parole de l’Etat suite à l’affaire de la chlordécone », et a parlé de tensions palpables autour de la vaccination où la peur de se singulariser en se faisant vacciner dans un contexte où la norme est à la non-vaccination conduit « à ne pas dire » que l’on s’est fait vacciné de peur d’être stigmatisé ou déjugé.

Il existe une relation complexe à la parole de l’Etat suite à l’affaire de la chlordécone Jean-Michel Arnaud

Du mieux en termes de vaccination des personnels de santé

Entré en vigueur le 16 octobre en métropole, l’obligation vaccinale des personnels des établissements de santé et des professionnels médicaux et paramédicaux libéraux a fait l’objet d’un aménagement du calendrier en outre-mer. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, l’obligation prendra effet fin décembre. Très contestée aux Antilles où elle a entrainé de nombreux conflits sociaux dans les établissements de santé, l’échéance pour un schéma complet de vaccination a été fixée au 31 décembre 2021 en Martinique.

Néanmoins, dès à présent, nombre de personnels de santé se sont mis en règle avec la loi. En Guadeloupe, le taux de vaccination du personnel du CHU de Pointe-à-Pitre est de 84%, de 95% au CHU de Basse-Terre. A La Réunion, 94% des personnels des établissements de santé sont en conformité avec l’obligation vaccinale et 85% au centre hospitalier de Mayotte. Reste la Martinique où les taux de vaccination du personnel du CHU n’avoisineraient que le 50% et la Guyane où il n’est que de 64% pour l’ensemble des établissements de santé.

Parmi les propositions émises par la mission, la vaccination reste la priorité absolue. Les sénateurs reconnaissent que la « façon dont circule l’information et dont est menée la campagne n’est pas assez adaptée aux populations » et formulent des préconisations pour conduire des « actions adaptées au contexte de chaque collectivité », avec une communication spécifique à destination des jeunes, et l’appui de relais locaux dans les opérations de vaccination de proximité.

Outre des infrastructures hospitalières à rehausser, en particulier dans les Antilles, c’est surtout le manque de ressources en personnel médical qui inquiète tout particulièrement la mission. Bernard Jomier a dit redouter un risque « d’effondrement de l’hôpital public » suite à une vague de départ de personnels médicaux et administratifs, surtout en milieu hospitalier, à l’instar de Benjamin Garel qui a annoncé vouloir quitter son poste de directeur général du CHUM au 31 novembre. Un nombre important de souhaits de départ ont été exprimés : « des soignants disent vouloir quitter l’île » a témoigné le sénateur, évoquant « une situation préoccupante ».

A ce titre, les sénateurs proposent d’élaborer une stratégie et des mesures spécifiques pour renforcer l’attractivité de l’offre médicale en outre-mer et d’assurer une transition « en douceur » en ce qui concerne les évolutions à venir de l’intérim médical et le statut unique de praticien contractuel.

Des soignants disent vouloir quitter l’île Bernard Jomier

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