POINT DE VUE

COVID : « Nous sommes tous épuisés. Mais, j’ai envie de me battre pour sauver l’hôpital public » 

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

18 novembre 2021

Benjamin Rossi

France – Jeune médecin brillant – il figurait parmi les premiers de sa promotion – ayant choisi d'exercer la médecine interne en hôpital public par conviction, Benjamin Rossi est aujourd’hui infectiologue à l'hôpital Robert Ballanger d'Aulnay sous-Bois (93). Il fait partie des 1 000 premiers cas contaminés par le Covid-19. Lorsqu'il reprend son poste 3 semaines plus tard, il découvre son l'hôpital, submergé par la première vague épidémique, et c’est désormais à lui qu’il appartient de soigner l’afflux de patients Covid. Dans « En première ligne » sorti ce mois-ci (voir encadré), le Dr Rossi témoigne de son expérience des deux côtés de la barrière, pointe les failles du système et relate comment l’hôpital public est ressorti exsangue des trois premières vagues de l’épidémie de Covid-19. Le médecin appelle à une prise de conscience collective pour sauver cette « pierre angulaire indispensable à la société », confronté à des départs massifs de personnels et à des fermetures de lits et dit même être prêt à entrer en politique si nécessaire. Medscape l’a interwievé.

Comme des milliers de confrères, vous avez été infecté au début de l’épidémie. Comment avez-vous vécu ce moment ? Pourquoi avez-vous décidé de tenir un journal de bord de l’épidémie, qui est le point de départ de votre livre ?

Dr Rossi : Quand je suis tombé malade, je me suis demandé ce qui m’arrivait. Au départ, je n’étais pas inquiet mais au bout d’une semaine, j’ai commencé à être essoufflé et pendant 48 heures, j’ai eu l’impression que j’allais mourir.

J’ai décidé de tenir un journal de bord à ma sortie de confinement en avril 2020 pour garder une trace de cet épisode. J’avais l‘impression de vivre une fiction. J’ai rédigé pendant toute la durée de la première vague, soit près huit semaines. J’avais envie depuis longtemps d’écrire mais je n‘avais pas envisagé au départ que ce texte pourrait donner lieu à un livre. Ce qui m’a poussé à le finaliser et à le publier, c’était mon envie de montrer la situation de l’hôpital. En partant de mon histoire personnelle, je voulais raconter cette histoire collective.

Au début de l’épidémie, vous relatez le manque de masques et de tests. Avez-vous eu le sentiment d’être trahi par tous ceux qui édictent des doctrines ?

Dr Rossi : Oui, on a eu l’impression d’avoir été abandonnés. Le travail administratif devrait favoriser la prise en charge des patients. Or, les rôles se sont inversés, les administratifs décident de la prise en charge du patient en fonction du budget. Et les médecins doivent mettre en application ces recommandations et en porter la responsabilité.

Vous avez dû sélectionner les patients que vous tentiez de sauver.  « À force de prioriser ceux qui ont le plus de chance de s’en tirer, j’ai l’impression d’insulter l’espoir », écrivez-vous. Comment un médecin gère-t-il cela ?

Dr Rossi : Ce n’est pas facile. Nous nous sommes retrouvés à faire de la médecine de guerre, de la médecine de catastrophe. Dans cette situation extrême, on essaie d’être rationnels et de sauver les personnes qui ont le plus de chances de s’en sortir vivants, en tenant compte de tous les facteurs de risque, de tous les facteurs pronostiques. C’est un changement de paradigme avec la médecine que l’on exerce habituellement. Nous n’y étions pas préparés.

Face à ce virus peu connu, les médecins ont testé de nouveaux traitements. Vous critiquez le Pr Didier Raoult pour avoir vanté sans preuve les mérites de l’hydroxychloroquine et l’avoir utilisé à grande échelle. Vous-même avez expérimenté les anti‑IL-6 hors AMM contre les formes graves de Covid sans avoir toutes les assurances de succès. Que faut-il retenir de cet épisode ?

Dr Rossi : La médecine repose habituellement sur des traitements ou des protocoles de recherches validés par un conseil scientifique. Mais dans un contexte de crise sanitaire, quand aucun traitement n’est validé et que le patient est en train de mourir, on peut lui proposer, s’il est consentant, des traitements compassionnels. C’est une démarche entre le patient et le médecin et cela n’a pas à être exposé dans les médias. De mon côté, j’ai échangé avec les patients en leur expliquant en toute franchise que je n’étais pas certain que le traitement que je proposais fonctionnait, je leur ai dit qu’il pouvait être prometteur pour telle ou telle raison et les patients étaient libres d’accepter ou non. J’ai proposé le tocilizumab à partir du 23 mars 2020 mais dans aucune de mes déclarations dans les médias, je n’en ai parlé. Et le tocilizumab n’a été validé officiellement qu’il n’y a que quelques mois. (Le tocilizumab a été recommandé par l’OMS en juillet 2021 pour les formes les plus graves de Covid et est en cours d’évaluation par l’EMA, ndlr).

Avez-vous eu peur de vous tromper ?

Dr Rossi : Bien sûr. Quand j‘ai commencé à traiter les premiers patients, je surveillais tous les jours que des phénomènes secondaires n’apparaissaient pas. Mais nous n’avons pas testé un traitement inconnu (l’intérêt potentiel du tocilizumab, déjà indiqué en France dans le traitement la polyarthrite rhumatoïde, a été évoqué dès le début de la pandémie, ndlr).

Aujourd’hui l’hôpital public sort exsangue de la crise qui a accéléré les départs massifs de soignants et les fermetures de lits. Le Ségur n’a-t-il pas suffi à inverser la tendance ?

Dr Rossi : J’ai été marqué par une phrase qu’a prononcée une infirmière avant de quitter mon hôpital : « Je ne suis pas suffisamment bien payée pour être maltraitante ». Des gens ont envie de bien faire et de s’occuper correctement des autres, mais si la structure hospitalière ne leur en donne pas les moyens, si elle leur demande de faire de l’abattage sans avoir le temps de parler aux patients, alors le métier perd complètement son sens. Les augmenter de 180 euros par mois (dans le cadre du Ségur de la Santé, ndlr) ne suffit pas. Le mal est plus profond. Trois promotions d’étudiantes infirmières sont venues nous aider pour faire face pendant la crise Covid. Elles ont toutes été dégoûtées et ne viendront pas à l’hôpital.

Que faut-il changer pour sauver l’hôpital ?

Dr Rossi : C’est un sujet complexe. L’hôpital est une innovation qui a vieilli et ne fonctionne plus. Il faudrait modifier son système de gouvernance, son financement, les conditions de travail et les contrats, intéresser les soignants par des primes. L’hôpital est une pierre angulaire indispensable à la société. Nous devons tout faire pour le mettre à nouveau au service de la société et que la société lui donne les moyens de le faire. Pendant cette crise, on a donné plusieurs milliards d’euros à des laboratoires pour qu’ils fassent des PCR et on a payé plus cher les PCR faites dans le privé que celles faites à l’hôpital pour qu’ils délivrent des résultats plus rapidement. Ce n’est pas normal. Et puis, aujourd’hui, on ne met en avant dans notre société que ce qui fait du profit. Les gens qui ont d’autres valeurs, on ne les considère pas. Les soignants ne s’y retrouvent plus.

 
L’hôpital est une innovation qui a vieilli et ne fonctionne plus.
 

Malgré les sollicitations dont vous avez été l’objet (de la part d’une clinique privée et d’un ESPIC…), vous n’avez pas quitté le navire. Pourquoi êtes-vous si viscéralement attaché à l’hôpital public ?

Dr Rossi : J’y suis attaché pour des raisons personnelles et la vision qu’avait mon père de l’hôpital public (décédé il y a quelques années d’un cancer du pancréas, ndlr). L’hôpital est un bien commun et je ferai tout pour essayer de le sauver. Je n’imagine pas partir maintenant, j’aurais l’impression de déserter. Mais si personne ne s’y intéresse et ne veut le sauver, alors je partirai sans regret.

Cette épidémie vous a absorbé, vous a confronté à la mort, vous a exposé médiatiquement, a compliqué votre vie de couple et familiale. A-t-elle fait de vous un médecin différent ?

Dr Rossi : Oui, c’est certain. Je ne sais pas si c’est forcément en mieux. Des collègues autour de moi ont été psychologiquement touchés, rencontrent des problèmes de concentration. Nous sommes tous très marqués par ce qui s’est passé, avec pour beaucoup un stress post-traumatique. Il est difficile de repartir dans la normalité après une telle épreuve. Nous sommes tous épuisés. Moi, je ne sais pas trop où j’en suis. Mais une chose est sûre, j’ai envie de me battre pour sauver l’hôpital public, et je suis prêt à me lancer dans ce combat politique.

 
Une chose est sûre, j’ai envie de me battre pour sauver l’hôpital public, et je suis prêt à me lancer dans ce combat politique.
 

Le témoignage du Dr Benjamin Rossi – son expérience d'infectiologue, la crise Covid vue de l'intérieur, des propositions sur l'avenir des hôpitaux – est à lire dans En première ligne, une plongée captivante au cœur de la médecine, Editions Prisma, 208 p, 16,95 euros, ebook : 9,99 euros.

 

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