Comment résoudre le problème de l’intérim médical ?

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

17 novembre 2021

Paris, France — Le ministre de la Santé Olivier Véran a repoussé à 2022 la mise en œuvre d’un article contraignant de la loi Rist, qui donne la possibilité de suspendre la rémunération d’un médecin intérimaire, si celle-ci est jugée excessive. Réactions.

Pas de plafonnement des rémunérations des médecins intérimaires

Las ! La loi Rist ne s'appliquera pas, en tous les cas, pas maintenant, en ce qui concerne des médecins intérimaires. Ainsi en a décidé le ministre de la Santé Olivier Véran, après avoir entendu les protestations des directions hospitalières. De quoi s'agissait-il ? De plafonner, une fois de plus, les rémunérations des médecins intérimaires, et de sanctionner tous ceux qui enfreindrait ce plafonnement. Cette loi devait rentrer en application le 27 octobre 2021, comme il est stipulé en son article 33. Il s’agissait de faire appliquer le plafonnement des rémunérations des médecins intérimaire définie par la loi Touraine de transformation du système de santé datant de 2016, à savoir « le montant journalier des dépenses susceptibles d'être engagées par praticien par un établissement public de santé au titre d'une mission de travail temporaire prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder un plafond dont les conditions de détermination sont fixées par voie réglementaire », tel qu’édicté par le Code de santé publique, modifié par la loi de 2016.

La loi Rist reprend pourtant les préconisations du député Véran de 2013

Ce plafonnement avait été inspiré, en 2013, par la remise d’un rapport sur la question à la ministre de la santé Marisol Touraine . Le député socialiste en question auteur de ce rapport n’était autre qu’Olivier Véran. Dans cette étude, le député préconisait déjà de réguler le marché de l'emploi médical intérimaire, en limitant la rémunération des « mercenaires » (dont le nombre était estimé à 6000 en 2013) à celle d'un praticien hospitalier au dernier échelon, majoré de 21%. Afin de contrôler ces rémunérations, Olivier Véran, dès 2013, proposait de « renforcer le rôle du comptable dans l'établissement, et systématiser les contrôles externes », mais aussi de demander à l'Agence régionale de santé (ARS) de « contrôler les tableaux de service dans le cadre des recrutements de médecins contractuels, pour vérifier qu'un praticien contractuel effectue bien la totalité des journées de travail pour lesquelles il est rémunéré ». La loi Rist met en application les préconisations du député Véran de 2013. Ainsi, son article 33 stipule que « le directeur général de l'agence régionale de santé, lorsqu'il est informé par le comptable public de l'irrégularité d'actes juridiques conclus par un établissement public de santé avec une entreprise de travail temporaire, [...] ou avec un praticien pour la réalisation de vacations, [...], défère ces actes au tribunal administratif compétent ». Par ailleurs, « lorsque le comptable public constate, lors du contrôle qu'il exerce sur la rémunération du praticien ou sur la rémunération facturée par l'entreprise de travail temporaire, que leur montant excède les plafonds réglementaires, il procède au rejet du paiement des rémunérations irrégulières ».

Statu quo autour de la rémunération des intérimaires

En somme, l'article 33 de la loi Rist n'est rien d'autre qu'un coup de poing sur la table. Car ce plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires, fixé à 1170 euros par jour, n'a jamais été réellement appliqué. Depuis la promulgation du décret rendant effective cette limitation de rémunération, en janvier 2018, les directions hospitalières ne l'ont pas réellement mis en œuvre. Il est vrai que le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNPRH) avait décidé d'établir une liste noire des hôpitaux qui appliqueraient ce décret, ce qui avait incité la ministre de la Santé qui avait succédé à Marisol Touraine, Agnès Buzyn, à porter plainte contre le SNMRH. « Les plaintes n'ont été suivies par aucun des Ordres et le ministère a été condamné à nous verser des dommages et intérêts, qu'il n'a jamais payé », commente le Dr Christine Dautheribes, porte-parole du SNMRH. Le plafonnement n'a pas eu plus de succès que les plaintes déposées par la ministre. « Je n'ai pas l'impression que les directions hospitalières appliquent ce décret, qui n'est pas un plafonnement, mais une réduction de notre rémunération de l'ordre de 30%. Depuis plusieurs années, notre rémunération stagne », précise le Dr Dautheribes.

Pas d’application de la loi sous peine de fermetures de services

Mais si le plafonnement (ou la réduction) de la rémunération des intérimaires n'a pas fonctionné, ce n'est pas seulement du fait de l'action militante du SNMRH. Mais aussi parce que, sans intérimaires à l'hôpital, certains services risquaient de fermer. « J’ai écrit au ministère pour signaler que la mise en application de la loi allait entraîner des problèmes majeurs dans le recrutement d’intérimaires, et que si le ministre ne faisait pas quelque chose rapidement, des services allaient fermer », relate le sénateur Alain Milon , par ailleurs président de la FHF Paca. Partout sur les territoires de santé, les syndicats et directions hospitalières se sont inquiétés d'une fuite des médecins intérimaires vers le privé suite à l’application de la loi Rist, donc d'un fermeture de services médicaux, ce qui « implique une perte de chance et un manque d'accès au soin pour la population », dénonce la CGT de l'hôpital de Millau. Idem à l'hôpital d'Arles, dont le service des urgences fonctionne avec 40% d'intérimaires. « S'il n'y a pas de Service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), en urgence vitale c'est une catastrophe, d'autant plus que la médecine libérale à côté n'est plus présente la nuit, vous n'avez plus que l'hôpital », prévient un membre du collectif Inter Urgences et par ailleurs aide-soignant à l'hôpital d'Arles.

Revaloriser la rémunération des titulaires

Ce qui est vrai pour les centres hospitaliers l'est aussi pour les petits hôpitaux ruraux. À Pontivy, en Bretagne, le syndicat Sud a organisé, mi-octobre, une réunion publique pour s'inquiéter de la mise en œuvre de la loi Rist. « L'application de la loi, pourrait engendrer des fermetures de services » remarque Florence Even, secrétaire de la section Sud Santé. Mais pour le directeur de l'hôpital de Saint-Malo, François Cuesta, « l'idée est de moraliser les tarifs et c'est une bonne chose. Il y a une réelle pénibilité de la fonction des médecins titulaires, qui assurent beaucoup de gardes et la différence de traitement n'est pas normale du tout. L'effet de cette loi devrait être de revoir les rémunérations des titulaires pour qu'elles soient suffisamment décentes », rapporte France Info.

Burn-out et vampirisme des agences d’intérim

Comment en est-on arrivé Là ? La porte-parole du SNMRH pointe du doigt les mauvaises conditions de travail à l'hôpital : « Il y a un phénomène de burn-out qui est généralisé à l'hôpital, les gens en ont ras-le-bol du manque de considération. Ce n'est pas une guerre entre médecins en poste, et médecins intérimaires, les professionnels de santé travaillent à flux tendu, les lits continuent de fermer, à raison de 1500 à 3000 lits par an, il n'y a aucune politique intelligente de la gestion de la santé, nous arrivons au bout du rouleau, la corde casse. » La FHF, par la voix de son président Frédéric Valletoux, accuse pour sa part le manque de moralité des sociétés d'intérim, lesquelles vampirisent l'hôpital public : « Nous accusons les sociétés d’intérim de refuser de s’engager à appliquer la réglementation, voire de sciemment se préparer à contourner la loi, par exemple en majorant les frais de gestion des contrats », a-t-il dénoncé, dans une tribune publiée dans Libération . Faux, s'insurge le Dr Dautheribes : « Certains hôpitaux désespérés ont augmenté la rémunération des médecins intérimaires car ils étaient réellement coincés, mais d'une manière générale, la rémunération est restée constante. Nous ne cherchons pas à faire monter les enchères mais le travail a une valeur et un prix. Il faut tenir compte de notre niveau de formation, mais aussi de la précarité des intérimaires. »

 
Il n'y a aucune politique intelligente de la gestion de la santé, nous arrivons au bout du rouleau, la corde casse. Frédéric Valletoux
 

Quoi qu'il en soit, la FHF demande maintenant une application claire de la loi : « C’est pourquoi, aujourd’hui, nous lançons l’alerte, écrit Frédéric Valletoux. Nous disons oui à une application en deux temps, mais pour cela, un calendrier clair doit être annoncé, ainsi que des mesures fortes de moralisation de l’intérim. Il est plus que temps de rappeler à l’ordre les maîtres chanteurs de l’hôpital public. »

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