Paris, France— Depuis le 2 novembre dernier, à bas bruit, la profession IADE (infirmier.e anesthésiste) observe une grève dure, suivie à 80% par exemple à Paris, sans que les médias n'en fassent les gros titres.
Particulièrement sollicités pendant la pandémie, les infirmier.es anesthésistes n'ont obtenu aucune reconnaissance de leur statut et de leur responsabilité, a contrario d'autres professions paramédicales, comme les kinésithérapeutes, qui dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2022, se sont vu octroyer un accès direct aux patients.
Ils revendiquent, selon la CGT, plusieurs points :
« Une reconnaissance législative, réglementaire et financière de leur profession à hauteur de leur niveau de formation, d’autonomie de pratique et de responsabilité professionnelle,
Le respect du cadre réglementaire leur accordant des compétences exclusives et une priorisation pour la composition des équipages SMUR,
La refonte du corps des IADE de la FPH pour y intégrer son encadrement spécifique issu de la profession,
La reconnaissance dans tous les secteurs de la pénibilité de leur exercice professionnel,
Le respect strict des recommandations et de la réglementation assurant la sécurité des procédures anesthésiques et des patients. »
Les collectifs Iade ont également reçu le soutien de nombreux autres syndicats de spécialités, comme le collectif Inter-blocs (représentant les Ibode (infirmier.es de bloc opératoire)). Le collectif inter-blocs « s'inscrit dans leur combat, puisque les Iade recherchent une reconnaissance en pratique avancée, et nous aussi.
Actuellement nous ne sommes pas mobilisés car nous avons déjà subi des assignations abusives. Mais nous étudions la possibilité de nous associer aux Iade pour organiser un blocus de tous les blocs opératoires en France », explique Grégory Porte, porte-parole du CIB. Lancé par des collectifs sur les territoires, la grève des Iade a reçu le soutien de la CGT, qui a déposé les préavis de grève. Le syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia) est également partie prenante et nous avons pu nous entretenir avec François Véron, conseiller national au SNIA, pour qu'il nous détaille les origines de ce mouvement social.
Medscape édition française : Quand et pourquoi a commencé le mouvement de grève des Iade ?
François Véron : La grève a commencé le 2 novembre avec un préavis jusqu'au 11 novembre qui a été prolongé jusqu'au 18 novembre. Pour rappel, en 2019, le gouvernement a légiféré pour créer des professions médicales intermédiaires. Les critères qui définissaient ces professions correspondaient aux compétences et responsabilités des Iade. Nous avons alors entamé des négociations pour faire reconnaitre les anesthésistes comme auxiliaires médicaux en pratique avancée. Au cours de la discussion autour du PLFSS 2022, dernièrement, des amendements avaient été déposés pour faire reconnaitre notre pratique avancée mais tous les amendements ont été retoqués. C'est ce qui a provoqué la grève. Il faut aussi rappeler qu'il y a eu deux autres mouvements sociaux cette année. Aussi, lors des discussions au Sénat du PLFSS, Olivier Véran avait qualifié les Iade d'exécutants sans aucune autonomie, ce qui a vexé la profession. C’est la goutte qui a fait déborder le vase.
D'autres paramédicaux semblent mieux lotis, puisque les kinésithérapeutes et les orthoptistes auront la possibilité d'avoir un accès direct aux patients. Comment expliquer vous ce deux poids deux mesures ?
François Véron : Les avancées obtenues par une partie des paramédicaux sont sévèrement combattues par le lobby médical. La semaine dernière, les syndicats de médecins libéraux ont publié une série de communiqués pour s'insurger de ces avancées. Concernant les Iade, certains responsables gouvernementaux ont argué du fait que la revalorisation des Iade allait coûter cher : c'est un argument fallacieux puisque cette reconnaissance de notre profession permet aussi d'économiser du temps médical. Aussi je pense que les Iade ne sont pas reconnus car la profession est mal connue. Qui plus est, nous sommes trop peu nombreux, seulement 11 000. Le mouvement des sages-femmes a été plus médiatisé car tout le monde connait leur boulot.
Quel est le taux de mobilisation des Iade dans ce mouvement social ?
François Véron : Il y a des mouvements partout en France, dans tous les CHU. Les répercussions sur le terrain sont difficiles à évaluer car les ARS ont reçu pour instruction de ne pas faire remonter les informations sur la mobilisation. Qui plus est, les autorités sanitaires recourent aux assignations massives. Donc les collègues sont au travail même s'ils font grève. À Paris, la mobilisation est de 80%. Je tiens à ajouter que ce mouvement vient de province. Les collectifs de province ont contacté la CGT, car le SNIA n'est pas considéré comme représentatif. C'est la CGT qui a lancé le premier préavis de grève, et Paris a ensuite suivi.
Quelles sont vos autres revendications ?
François Véron : Nous recherchons des mesures de justice. Il faut sept ans pour former un Iade dont cinq ans de formation théorique. Nous avons le grade master, nous bénéficions d'une autonomie en salle, nous agissons selon la stratégie anesthésique et non selon le protocole anesthésique : une fois que la décision d'anesthésie générale a été prise par le médecin, nous sommes ensuite responsables de notre pratique. Nous revendiquons la reconnaissance de notre niveau d'autonomie réelle. Il y a chaque année 11 millions d'anesthésie en France et ce ne sont pas les médecins qui sont entièrement à la manœuvre. Les syndicats de l'hospitalisation privée se sont vigoureusement opposés à nos revendications alors que souvent, c'est dans les cliniques que nous avons le plus d'autonomie : il n'est pas rare, dans les cliniques, d'avoir un médecin anesthésiste pour 4 salles, avec un Iade dans chaque salle, en autonomie. Ce n'est pas choquant car nous avons été formés pour le faire, il faut maintenant que notre pratique soit reconnue à sa juste valeur.
En termes salariaux, quelles sont vos revendications ?
François Véron : Les collectifs Iade ont demandé une revalorisation de 100 points d'indice, soit 500 euros de revalorisation. Par cette mesure, les collectifs veulent surtout réintroduire une hiérarchie dans les métiers. Il faut savoir que les aides-soignants ont été revalorisés, si bien qu'en fin de carrière le différentiel est faible, entre un aide-soignant et un infirmier spécialisé à bac+5. Au sein des Iade, concernant les revalorisations, certains, comme le syndicat Sud, défendent avant tout de meilleurs salaires, alors que d'autres priorisent les avancées statutaires, comme le SNIA.
Avez-vous eu des échanges avec le ministère de la santé depuis le début du mouvement social ?
François Véron : Il y a des discussions en cours, notamment avec Bénédicte Roquette, chargée de l'organisation des soins, auprès d'Olivier Véran.
Vous avez bon espoir que la situation se débloque ?
François Véron : Cela fait un an et demi que nous négocions... Il faut maintenir le dialogue.
Crédit image de Une : BSIP
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Citer cet article: La grève des infirmier.es anesthésistes IADE s'enkyste - Medscape - 12 nov 2021.
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