Pression artérielle : faut-il des valeurs cibles différentes pour protéger le cœur et le cerveau ?

Silverspring, Etats-UnisUne nouvelle analyse de l'essai ALLHAT suggère que les cibles de pression artérielle pourraient nécessiter d’être individualisées en fonction du risque cardiovasculaire qui prédomine chez un patient donné. Elle a été publiée dans le numéro du 26 octobre du Journal of the American College of Cardiology[1].

Les résultats montrent que pour un patient présentant un risque particulièrement marqué d'accident vasculaire cérébral, une baisse de la pression artérielle plus agressive pourrait s’avérer plus justifiée que pour un patient présentant un risque particulier d'infarctus du myocarde (IDM).

Des valeurs de PA différentes selon les événements que l’on cherche à prévenir

Dans cette nouvelle analyse, les chercheurs ont utilisé les données de l'étude historique ALLHAT sur le traitement antihypertenseur pour évaluer des profils de risque d'événements cardiovasculaires et de mortalité toutes causes confondues associés à différentes valeurs de pression artérielle systolique et diastolique. Ils présentent leurs résultats sous la forme d'une "carte thermique" – une représentation visuelle de l'endroit où se trouvent les risques les plus faibles et les plus élevés en fonction de toutes les combinaisons systoliques/diastoliques données.

Au cours du suivi médian de 4,4 ans dans l'essai qui comprenait 33 357 participants, 2 636 IDM, 866 événements d'insuffisance cardiaque, 936 AVC et 3 700 décès ont été notifiés.

Les résultats ont montré que pour le résultat composite de la mortalité toutes causes confondues, de l'IDM et de l'insuffisance cardiaque, on observe une association en forme de U avec la pression artérielle systolique et diastolique, mais que les pressions artérielles associées aux risques les plus faibles différaient pour chaque pathologie que l’on cherche à éviter.

Par exemple, une pression systolique/diastolique de 140-155/70-80 mm Hg était associée au plus faible risque de mortalité toutes causes confondues, par comparaison, ces chiffres étaient de 110-120/85-90 mm Hg pour l'IDM et de 125-135/70- 75 mm Hg pour l'insuffisance cardiaque. En revanche, l'association de la pression systolique et diastolique et de l'AVC était linéaire, les valeurs plus faibles pour ces deux mesures étant systématiquement associées à un risque plus faible d'AVC.

« Notre article montre que la pression artérielle cible optimale peut également dépendre du résultat qui nous intéresse le plus – prévenir préférentiellement l’IDM, insuffisance cardiaque ou accident vasculaire cérébral. Autrement dit, l’agressivité avec laquelle nous cherchons à abaisser la pression artérielle pourrait être influencée par le fait qu'un patient soit plus à risque d'un futur accident vasculaire cérébral ou d'un événement cardiaque », a déclaré l'auteur principal, la Dre Tara Chang (Université de Stanford, Palo Alto, Californie) à theheart.org | Cardiologie Medscape.

Le « one fits for all» pas forcément approprié

« Lorsque nous regardons uniquement les événements cardiaques tels que l'IDM et l'insuffisance cardiaque, nous voyons la courbe traditionnelle en forme de J avec des risques plus élevés aux deux extrêmes. Mais nous n’observons pas cela pour l’AVC, pour lequel les valeurs de pressions systoliques et diastoliques les plus basses sont toujours les meilleures », a-t-elle ajouté.

« Nos données renforcent l'idée que le concept de " taille unique "pour les cibles de pression artérielle n'est probablement pas appropriée », a déclaré Tara Chang.

« En tant que cliniciens, nous le savons déjà », a-t-elle déclaré. « Nous voyons des patients tous les jours pour lesquels nous tenons compte de l’âge, de leurs comorbidités et de leurs médicaments lorsque nous essayons de trouver une cible optimale pour leur pression artérielle. Mais ce que nous suggérons aujourd’hui c’est que la pression artérielle optimale peut également dépendre du résultat que nous cherchons à atteindre et peut différer pour les patients qui seraient particulièrement à risque d'accident vasculaire cérébral par rapport à ceux particulièrement à risque d'événements cardiaques. »

Le Dr Chang reconnait néanmoins qu’identifier un patient plus à risque d'un type d'événement cardiovasculaire qu'un autre peut être très difficile.

« Il n'y a pas de calculateur simple pour déterminer si un patient est plus à risque d'accident vasculaire cérébral ou d'événement cardiaque, et de nombreux facteurs de risque sont les mêmes. Mais si quelqu'un présente des antécédents d'accident vasculaire cérébral, cela nous conduira à nous concentrer plus sur l'AVC et à chercher à prévenir un deuxième épisode », a-t-elle déclaré. « De même, les patients ayant des antécédents de maladie cardiaque courent probablement un risque plus élevé de nouvel événement cardiaque. C’est alors notre expérience clinique qui prime. »

« Dans l'ensemble, nous savons que la pression artérielle obtenue est sous-optimale — la moitié des patients n'atteignent même pas les cibles les plus basiques. Mais dès lors qu'il s'agit de cibles plus spécifiques, nous pouvons prendre en compte les facteurs de risque et ce que nous savons de l'histoire du patient. Tout est question d'individualisation. Les directives nous donnent une approximation, mais la cible spécifique doit être individualisée pour chaque patient. C'est l'art de la médecine ».

Elle ajoute : « Après avoir examiné nos données, certains peuvent dire qu'ils seraient un peu plus agressifs chez les patients à risque particulier d'AVC, mais j'ai tendance à commencer avec une cible agressive pour tout le monde, puis à faire machine arrière le cas échéant. »

Les auteurs notent que les données actuelles ne peuvent à elles seules déterminer les cibles optimales de pression artérielle pour les patients, étant donné qu'il s'agit d'une analyse observationnelle rétrospective. De plus, la pression artérielle atteinte associée au risque le plus faible dans l'étude ALLHAT peut différer des combinaisons de pression artérielle rapportées dans d'autres études, lesquelles peuvent avoir utilisé des méthodes de mesure différentes.

Ils concluent que la prise en compte simultanée des pressions systolique/diastolique et de la « carte thermique » associée du risque cardiovasculaire individualisé en fonction des facteurs de risque du patient pour guider la gestion clinique de la pression artérielle devra être évaluée dans de futurs essais prospectifs.

Un "choix inconfortable" pour les médecins

Dans un éditorial accompagnant l’article, le Dr Franz H. Messerli, cardiologue à Berne, en Suisse, le Dr Evgeniya Shalaeva, de la Tashkent Medical Academy en Ouzbékistan, et le Dr Emrush Rexhaj de l’Hôpital universitaire de Berne en Suisse, déclarent que le point le plus important dans cette l'analyse tient au fait qu'il n'y avait pas de courbe en forme de J entre le risque d'AVC et la pression artérielle systolique ou diastolique, l'association restant linéaire jusqu'à un niveau de pression artérielle de 110/55 mm Hg [2].

« Pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux, par conséquent, le vieil adage de la pression artérielle "le plus bas est le mieux (the lower the better)" se vérifie », déclarent-ils.

« Il s'agit d'un message essentiel à retenir pour les cardiologues en exercice – si cela n'était pas risqué pour le cœur, le cerveau préférerait une tension artérielle systolique cérébroprotectrice optimale de 110-120 mm Hg », commentent les éditorialistes.

Ils soulignent que cela correspond à l'observation selon laquelle, du fait de son autorégulation, le cerveau est capable de maintenir un flux sanguin relativement constant malgré de grandes fluctuations de la pression de perfusion. Alors que contrairement au cerveau, la perfusion du cœur se produit principalement pendant la diastole, de sorte qu'une pression artérielle diastolique anormalement basse est susceptible de compromettre la perfusion myocardique.

Messerli et ses collègues notent que ces résultats de l'essai ALLHAT sont cohérents avec les observations de l'étude INVEST de 2003, dans laquelle il a été observé une augmentation progressive de l'IDM par rapport aux accidents vasculaires cérébraux en lien avec une pression artérielle diastolique basse parmi les 22 576 participants souffrant d'hypertension et de maladie coronarienne de l’étude.

Ils rapportent que dans INVEST, le nadir de la pression artérielle diastolique pour l'IDM était de 82,7 mm Hg, proche de la valeur ALLHAT de 84 mm Hg.

Les éditorialistes affirment que le fait que deux grands essais prospectifs randomisés sur l'hypertension aient tous deux montré une hétérogénéité en fonction des organes ciblés (avec une pression artérielle protectrice optimale différente pour le risque d'accident vasculaire cérébral et le risque d'infarctus du myocarde) conduit les cliniciens à faire face au choix inconfortable de viser à prévenir les événements cardiaques au détriment des événements cérébrovasculaires ou vice versa.

Ils donnent l'exemple d'un patient stable de 76 ans atteint d'une maladie coronarienne victime d’un accident ischémique transitoire récent et qui présente une tension artérielle de 148/68 mm Hg. Pour obtenir une protection cérébrale optimale selon cette dernière analyse ALLHAT, la pression systolique devrait être abaissée de 28 mm Hg à moins de 120 mm Hg ; cependant, en raison d'une maladie coronarienne stable, la diastolique du patient doit rester dans la plage de 80 mm Hg, c'est-à-dire être augmentée de 16 mm Hg.

« C’est évidemment, une entreprise difficile, même pour le clinicien le plus habile ! » soulignent-ils.

L’article a été publié sur Medscape.com sous le titre Different Blood Pressure Targets for Heart and Brain?. Traduit par Stéphanie Lavaud.

 


Crédit image de Une : Getty Images

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