Paris, France — Lors du séminaire organisé par les associations étudiantes en médecine le 28 octobre, le ministre de la Santé Olivier Véran a rappelé que les études en soins infirmiers restaient les plus attractives des études en France avec plus de 6900 demandes dans Parcoursup, mais que le nombre d’abandon entre 2018 et 2021 s’élevaient à 1400. Un chiffre qui interpelle mais qui serait probablement sous-évalué, selon Mathilde Padilla, présidente de la fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). De la désaffection des études à la désillusion par rapport au métier, elle nous explique les difficultés que rencontrent les étudiants et les jeunes infirmier.res.
Medscape édition française : Aviez-vous les mêmes chiffres que le ministre de la Santé sur le taux d'abandon des études en soins infirmiers ?
Mathilde Padilla : Nous avons appris ce chiffre en même temps que tout le monde, car ce ne sont pas des données que les étudiants nous font remonter, et il est nous est difficile de le quantifier. Néanmoins nous pensons que ce taux est sous-estimé et qu'il est voué à augmenter, du fait de la pandémie de Covid. En 2020, nous avons lancé une étude chez les étudiants en sciences infirmières [qui comprend outre les ESI, des IPA (infirmiers en pratique avancée)] pendant les premières vagues de Covid, et nous nous sommes rendu compte que nous avions un taux de mobilisation des étudiants qui était de l'ordre de 85,2%, soit 80 000 étudiants mobilisés sur 97 000. Les étudiants mobilisés sont des étudiants qui ont été soit changés de stage pour pallier la demande, soit des promotions de professionnels à qui l'on a demandé de retourner en service, ou encore des étudiants que l'on a pris en renfort dans les services en tant qu'aide-soignant ou encore de faisant fonction d'infirmier, c'est quand même aberrant !! Cette mobilisation massive, les multiples confinements, les cours en distanciel qui sont assez compliqués dans notre formation, ont fait en sorte que les étudiants ont perdu foi dans l'hôpital public.
Le covid est-il seul responsable de ce taux d'abandon ?
Mathilde Padilla : Nous alertons sur les conditions d'étude depuis bien des années, et avons mené des enquêtes sur l'état de santé des ESI en 2017 et en 2020.
Qu’ont révélé ces enquêtes ?
Mathilde Padilla : En 2020, 38% des étudiants ont dit avoir un état de santé mauvais ou très mauvais, et 65% ont estimé que leur état de santé avait évolué défavorablement durant la crise. 50% d'entre eux se sont dit fatigués durant les stages. En 2017, le mal-être était déjà profond : 62% d'entre eux estimaient que leur santé mentale était dégradée, 52% en deuxième année, et 38% en première année. Les données entre 2017 et 2020 sont similaires mais l'on note une légère amélioration du fait d'une meilleure prise en charge de la santé mentale des étudiants. Par ailleurs, nous nous sommes aussi alarmés du fait que 31,8% des étudiants prennent des anxiolytiques. La moitié d'entre eux ont débuté le traitement à la faveur de la crise.
Les soins infirmiers sont pourtant considérés comme des études attractives.
Mathilde Padilla : Effectivement, c'est la première formation demandée par les étudiants sur Parcoursup. Cela fait trois ans de manière consécutive. Mais nous alertons sur le fossé entre les études infirmières et la réalité du métier. L’entrée dans la vie active et l'arrivée à l'hôpital sont un véritable choc. Nous pensons à la Fnesi que cela est dû à un manque de préparation pendant les études, mais aussi à un manque de moyens des centres hospitaliers. Aujourd'hui les professionnels sont fatigués. Ils n'ont parfois pas les moyens ou le temps d'encadrer les étudiants. L'hôpital public est aussi moins attractif qu'auparavant du fait de la précarisation des contrats de travail : il est beaucoup plus difficile aujourd'hui d'obtenir une reconnaissance du statut de stagiaire puis une titularisation. Actuellement il faut attendre trois ou quatre ans en moyenne alors qu'auparavant, en une année, les infirmiers avaient le statut de stagiaires et de fonctionnaires. Résultat, les étudiants se tournent de plus en plus souvent vers l'intérim : cela leur permet de choisir leur lieu d'exercice. Il y a aussi beaucoup d'étudiants poursuivent leurs études après leur diplôme.
Les directions hospitalières se plaignent de ne pas pourvoir tous leurs postes d'infirmiers et en même temps elles rendent plus difficiles la titularisation, cela semble paradoxal ?
Mathilde Padilla : Oui et, en plus, il n'y a pas suffisamment de professionnels formés pour pourvoir tous les postes dans les hôpitaux, avec un manque de professionnels dès les sorties de diplôme. Malheureusement aussi, l'image de l'hôpital public est mauvaise, il faut revaloriser les établissements publics. Sans compter que l'exercice libéral est considéré comme attractif.
Les études médicales ont été profondément réformées ces dernières années. Quid des études infirmières ?
Mathilde Padilla : Notre référentiel n'a pas été revu depuis 2009. Nous pensons qu’il est trop rigide et inadapté au système de santé. Par exemple, le numérique en santé, la recherche, ne sont pas pris en compte dans le référentiel. Nous insistons beaucoup sur le fait que les étudiants ont désormais le droit de faire de la recherche en soins infirmiers et cela, par exemple, n’est pas présent dans le référentiel. Ce n’est pris en compte dans quelques universités, comme celle d'Aix-Marseille, précurseur en la matière. Les étudiants peuvent poursuivre leurs études en pratique avancée, dans des spécialités (Iode, Iade...) mais il leur est très compliqué de faire de la recherche en soins infirmiers. Nos cours sont aussi un peu vieillissants. En pharmacologie, nous avons des cours de pharmacie, et nous en sommes contents, mais on pourrait penser avoir des cours plus adaptés à la pratique infirmière donnés par des professeurs en sciences infirmières, par exemple. Nous demandons une réouverture du référentiel infirmier.
Image de Une : Syda Productions/Dreamstime.com
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Citer cet article: Pourquoi les étudiants en soins infirmiers abandonnent-ils leurs études ? - Medscape - 4 nov 2021.
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