Dégradation de la santé mentale des étudiants : un nouveau dispositif de sanctions en 2022

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

3 novembre 2021

Paris, France — Les associations étudiantes ont fait état d'une nouvelle dégradation de la santé mentale des étudiants en l'espace de quatre ans. Olivier Véran leur promet un nouveau dispositif de "réponse graduée" début 2022. 

Le 28 octobre dernier, l'ensemble des associations étudiantes (Isni, Isnar-IMG et Anemf) ont présenté leur enquête sur la santé mentale des jeunes médecins en 2021. Sous-titré "Dépression, Burn-out, humiliation et harcèlement", cette étude fait état d'une nette dégradation de la santé mentale des étudiants depuis les dernières études, en particulier celle menée en 2017 par les mêmes associations étudiantes. Ainsi comme nous l'avait déjà annoncé Nicolas Lunel , président de l'Anemf, 75% des étudiants en médecine ont connu des symptômes anxieux en 2021, contre 62,2% dans la précédente enquête de 2017. « C'est un sujet de préoccupation majeure pour le gouvernement, pour vous, et pour les patients », leur a répondu Olivier Véran, ministre de la santé, invité par les associations étudiantes à la présentation de cette enquête, sous les ors de la République, dans la salle Colbert de l'Assemblée nationale.

Peu d’études françaises

Une préoccupation majeure, certes, mais très peu documentée, comme l'a rappelé le Dr Ariel Frajerman, psychiatre, qui a participé à l'élaboration du questionnaire, et à l'analyse statistique des résultats. « Dans une méta-analyse sur la question datant de 2016, 27% des étudiants en médecine de tous niveaux présentaient des symptômes dépressifs, et 11% des idées suicidaires. Dans cette méta-analyse qui comprend 193 études, il n'y avait qu'une seule étude française, ce qui montre qu'il y avait un manque de données en France sur ce phénomène », a-t-il expliqué en préambule. Et d'ajouter : « Nous nous sommes intéressés au burn-out chez les étudiants avant l'internat. Nous avons retrouvé une prévalence de 44% du burn-out. Dans cette méta-analyse comprenant 24 études, il n'y avait aucune étude française. »

Trois études

Au niveau français, il existe trois études dont une seule a fait l'objet d'une publication scientifique sur la santé mentale des étudiants en médecine. « L'observatoire de la vie étudiante (OVE) a publié une étude sur l'ensemble des étudiants français cette dernière année. Nous avons extrait les données des étudiants en médecine pour constater qu'il y a une prévalence de 15% d'épisodes dépressifs caractérisés, à ne pas confondre avec des symptômes dépressifs. L'autre enquête est celle faite par les étudiants en médecine en 2017, où ont été pris en compte les symptômes d'anxiété et de dépression : l'on retrouvait 66% de symptômes d'anxiété et 26% de symptômes de dépression. Plus récemment, une étude menée par le Dr Fond à Marseille où 2000 étudiants en médecine et jeunes médecins ont été interrogés, retrouvait 32% de symptômes d'anxiété et 9% de symptômes de dépression en 2019 », a listé le Dr Frajerman.

De la deuxième année jusqu'à la fin de l'internat 

Dans l'enquête 2021, les associations étudiantes ont tenu à inclure « tous les étudiants à partir de la deuxième année jusqu'à la fin de l'internat ». Les questionnaires ont été adressés par mail, et doublés d'une relance sur les réseaux sociaux. « Le questionnaire que nous avons utilisé s'inspire beaucoup du questionnaire de la vie étudiante de 2016 et 2020, notamment au sujet des difficultés financières. Nous avons introduit des items plus spécifiques sur le cursus médical et le vécu en stage. Nous avons utilisé la HAD pour les symptômes anxieux et dépressifs sur les sept derniers jours. L'échelle la plus utilisée pour le burn-out est le MBI. Pour les épisodes dépressifs caractérisés tels que définis par l'OMS nous avons utilisé le CIDI-SF, soit le questionnaire utilisé par l'observatoire de la vie étudiante en 2016, et par le baromètre santé des Français de 2017. Nous nous sommes aussi basés sur l'observatoire de la vie étudiante pour ce qui est des questions portant sur les humiliations, agressions et harcèlement pendant les études. Le dernier point était un commentaire libre », a détaillé le Dr Ariel Frajerman.

39 % de symptômes dépressifs

Si le nombre d'étudiants concernés par le questionnaire s'établissait à 67 500, « 15200 personnes ont commencé à répondre au questionnaire, et nous avons pris uniquement les questionnaire remplis sur la première échelle de HAD soit 11754 questionnaires, ce qui représente un taux de réponse de 15% ». Ont ainsi été mesurés :

  • la prévalence de symptômes anxieux et dépressifs sur les 7 derniers jours ;

  • la prévalence d'épisodes dépressifs majeur ou caractérisé sur les 12 derniers mois ;

  • le burn-out ;

  • les maltraitances et violences subies par les étudiants : humiliation, harcèlement, agression sexuelle.

Une partie commentaire libre a permis aux étudiants de s'exprimer en dehors des items imposés par le questionnaire. Les résultats sont sans appel : 39 % des répondants ont connu des symptômes dépressifs contre 27,7% dans l'enquête de 2017, 25% ont rencontré des épisodes dépressifs caractérisés, 19% ont été traversés par des idées suicidaires, 67% ont été victimes de burn-out, 23% ont eu à supporter des actes d'humiliation, 25% du harcèlement et 4% des agressions sexuelles. « Les troubles anxieux et dépressifs chez les étudiants en médecine sont supérieurs à la population en général », a commenté Olivier Véran, qui met sur le compte de la pandémie la dégradation constatés l'an dernier. « J'avais évoqué ce sujet en 2020 et on voit bien que les chiffres qui nous remontent font état d'une dégradation de la santé mentale des Français et tout particulièrement chez les jeunes du fait de l'impact de la crise sanitaire. »

Le temps de travail incrimé

Mais l'enquête des associations étudiantes semble pointer d'autres facteurs inhérents aux études de médecine, qui expliquent en grande partie la dégradation de la santé mentale des jeunes médecins et étudiants : le temps de travail hebdomadaire, les humiliations, harcèlements et agressions sexuelles, et enfin les difficultés financières ressenties. « Nous avons fait un focus sur le temps de travail des internes. La loi demande à ce que les internes ne travaillent pas plus de 48 heures par semaine et dans la moitié de notre échantillon les internes travaillent plus de 50 heures par semaine. 8% de l'échantillon travaille plus de 70 heures par semaine. Plus de la moitié des externes travaillent plus de 20 heures par semaine », a commenté pour sa part Franck Rolland, interne en psychiatrie, qui a participé à l'analyse de cette enquête. Qui ajoute : « Si on compare avec l'étude de l'observatoire de la vie étudiante (OVE) de 2016, que ce soit sur l'épisode dépressif caractérisé ou les idées suicidaires, il y a une augmentation évidente entre les données dans l'OVE et les données de notre enquête. Si l'on compare avec l'enquête santé mentale de 2017, on observe une augmentation de l’ordre de 10 points pour les symptômes anxieux ou les symptômes dépressifs. »

La culture carabine visée

Au sujet des violences sexistes et sexuelles, Olivier Véran a appelé à une révolution de la culture estudiantine : « Il y a un changement culturel qu'il faut mener en médecine, il peut y avoir une ambivalence à dire qu’il ne faut pas de violence sexistes et sexuelle et de l'autre côté une forme de tradition carabine qui sert d'exutoire mais qui peut s'accompagner de pratiques borderline, la ligne rouge peut être franchie, il faut changer les pratiques à tous les niveaux pour avoir une tolérance 0 à ce niveau-là et trouver d'autres manières de pratiquer un exutoire collectif. » Selon l'enquête des associations étudiantes, les auteurs de ces violences sont dans 60% des cas des médecins thésés : les internes et étudiants en médecine ne sont responsables que de 23% des violences sexistes et sexuelles, qui se déroulent dans 76% des cas à l'hôpital. 14% seulement de ces violences ont lieu lors de soirées étudiantes...

Autre souci : les étudiants ne confient être ou avoir été victimes de ces violences aux enseignants ou doyens que dans 3% des cas. 18% de ces victimes ne se confient à personne. « C'est dans cette direction que nous devons faire des progrès », a suggéré Franck Rolland.

 
Les étudiants ne confient être ou avoir été victimes de ces violences aux enseignants ou doyens que dans 3% des cas.
 

Propositions

Comment améliorer la santé mentale des étudiants en médecine ? Olivier Véran a tout d'abord rappelé que des dispositifs avaient été mis en place pour la population estudiantine en générale, mais aussi pour la population générale : « Nous avions mis en place des mesures d'urgence pour la santé mentale des étudiants, notamment le chèque Psy, avec Frédérique Vidal, qui a rencontré un succès conséquent, avec plus de 1000 séances de psychologie payés avec le chèque psy chaque semaine, dès les premières semaines de mise en place de ce dispositif. Nous devions l'étendre pour la population générale. Mais l'annonce fondamentale faite par le président de la république est le remboursement des séances de psychologues pour toute la population âgée de trois ans et plus, à raison de 8 consultations par an. »

 
Plus de 1000 séances de psychologie payés avec le chèque psy chaque semaine, dès les premières semaines de mise en place de ce dispositif.
 

En revanche sur la mise en place de dispositif propre aux études de médecine, le ministre de la Santé a demandé encore un peu de patience. Ainsi les résultats de l'étude « sur les conditions de travail et le temps de travail des étudiants et des internes seront présentés dans les quinze prochains jours, et j'aurais l'occasion, de vous proposer de nouveaux engagements pour 2022 ». Pour autant, Olivier Véran s'est enorgueilli d'avoir pris des mesures fermes dès cet été, pour que le repos de sécurité des étudiants et internes soit respecté  : « Sur le repos de sécurité il est inconcevable qu'il ne soit pas respecté, nous pratiquons la tolérance 0 : retrait  d'agréments, retrait de chefferie de service ont été prises dès cet été sur lesquels nous avons communiqué. » Le ministre de la Santé a aussi promis que « l'engagement que j'ai pris de sanction financière contre des établissements de santé qui ne respecteraient pas le temps de travail des étudiants et des internes » sera tenu. Question : les associations étudiantes pourront-elles encore se satisfaire longtemps de promesses ?

Les revendications des assos étudiantes

Les associations étudiantes demandent :

  • À l'échelle nationale :

    « Garantir des moyens humains et financiers : la nouvelle structure pour la qualité de vie des étudiants de la DGESIP (Direction Générale de l’Enseignement Supérieur et de l’Insertion Professionnel) a été récemment créée. Dotons-la d’un budget conséquent, de professionnels dédiés venant du terrain et d’une organisation précise assurant la place des étudiants dans la gouvernance.

    • Déstigmatiser les troubles psychiatriques parmi les médecins : par la généralisation des formations et de la prévention sur la santé mentale.

    • Infliger des sanctions aux établissements et aux services en cas de non-respect de la législation.

    • Sanctionner les auteurs de maltraitance ou de violences infligées aux étudiants.

    • Introduire systématiquement des représentants d’étudiants dans les instances universitaires et/ou hospitalières sanctionnant les établissements ou les auteurs de violences.

    • Labelliser régulièrement les structures (associatives, entreprises, réseaux…) qui cherchent à s’impliquer dans le soutien, l’accompagnement ou la prise en charge des étudiants et professionnels de santé.

    • Mettre en place une commission nationale pour les internes/étudiants en situation exceptionnelle, habilitée à résoudre des contextes locaux difficiles pour lesquels l’université, l’ARS ou l’hôpital ne peuvent trancher. 

  • A l’échelle locale

    • Renforcer les relais locaux de structures d’accompagnement des étudiants en santé dans chaque centre de formation/université.

    • Assurer la présence des cellules de d’accueil et d’écoute annoncées depuis 2018 dans chaque université.

    • Permettre différentes possibilités de relais (hospitalier, universitaire, associatif extérieur labellisé) en cas de maltraitance ou de souffrance psychique.

    • Agir dans les universités par la création ou le développement des «cellules bien-être» au sein de chaque université permettant prévention et actions de bien-être auprès des étudiants, fondés sur les preuves.

    • Développer la communication sur les dispositifs en place au niveau local.

    • Désigner un référent qualité de vie au sein de la faculté de médecine, appartenant au corps des personnels administratifs, et chargé de faire le lien entre l’étudiant et les structures locales.

    • Assurer la prise en charge des étudiants par l’augmentation de l’offre de consultations de professionnels (psychologues, assistants sociaux…) des services ou centre de santé universitaire sur les facultés de  médecine.

    • Améliorer la coordination avec les structures publiques de proximité permettant l’adressage en confidentialité des étudiants nécessitant et demandant un suivi médical, social ou psychologique.

  • A l’échelle individuelle

    • Assurer la confidentialité à l’étudiant qui sollicite de l’aide (dossier médical protégé avec un secret médical renforcé, limitation des interlocuteurs…).

    • Promouvoir la qualité de vie à travers des actions de formations aux risques psychosociaux à l’adresse des enseignants/référents de stage, des étudiants et des administratifs en lien avec ces derniers.

    • Assurer le financement d’une formation de premier secours en santé mentale pour les professeurs, personnels ou/et étudiants référents santé mentale dans chaque faculté.

    • Accompagner de manière personnalisée les stagiaires : entretien d’accueil, intermédiaire et final, avec présentation des objectifs, bilan d’étape, et information sur les structures et interlocuteurs disponibles en cas de difficulté.

    • Protéger l’étudiant ou l’interne qui rapporte une situation de maltraitance en stage : mise à l’abri, suspension de l’agrément de stage, protection contre d’éventuelles répercussions…

 

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