Lyon, France – Alors que le gouvernement doit légiférer de nouveau sur l’encadrement de l’isolement-contention avant la fin de l’année 2021, certains établissements n’ont pas attendu pour changer leurs pratiques. C’est le cas de l’unité Paul Sivadon au centre hospitalier psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu à Lyon, qui a transformé sa chambre d’isolement en espace d’apaisement en septembre 2018. Trois ans après la fermeture de la chambre d’isolement, l’expérience est un succès. Retour sur cette expérimentation réussie.
Diminution de la contention
« La psychiatrie, c'est le seul domaine ou un citoyen peut limiter la liberté d'un autre citoyen », pointe Ludovic Serna, cadre supérieur du pôle intersectoriel de soin et de réhabilitation psycho-sociale (PISR) au centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, à Lyon. Le recours à l’isolement et à la contention mécanique, particulièrement attentatoire aux libertés individuelles, est de plus en plus remis en question dans le milieu psychiatrique. Entre 2017 et 2020 en Auvergne-Rhône-Alpes, l’isolement dans les soins sous contrainte a reculé de 13,75 %. Soit 10 000 journées en chambre d’isolement de moins.
Cette diminution s’explique selon la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) par l’augmentation des contraintes administratives visant à « interdire la banalisation de l’isolement et de la contention en conduisant à une réflexion sur la nécessité ou l’utilité de ces actes »*. Pour la CGLPL, « le regard de tiers (juge des libertés et de la détention, procureur, proches du patient) sur les mesures d’isolement ou de contention conduit les équipes à s’interroger sur les effets et la pertinence de leurs pratiques ».
*https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2021/06/CGLPL_Rapport-annuel-2020_web.pdf
Une chambre d’isolement utilisée en « dépannage » d’autres services
Dans ce contexte, certains établissements cherchent des solutions pour changer leurs pratiques d’isolement-contention. Au centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, établissement psychiatrique lyonnais, l’Unité de réhabilitation psychosociale (UPRS) Paul Sivadon, a tenté dès septembre 2018 l’expérience de fermer sa chambre d’isolement (CI).
Le service comprenait deux sous-unités d’une capacité totale de 40 lits, avec chacune un infirmier et un aide-soignant pour 20 personnes. « Nous recevions des personnes hospitalisées, mais qui relevaient plus d’une prise en charge médico-sociale et avec lesquelles on travaillait sur le retour dans la communauté. Dans ce contexte, les enfermer n’était pas cohérent. Nous voulions plutôt les faire sortir », explique Ludovic Serna. Avant 2018, l’établissement comptait 14 chambres d’isolement. Mais celle de l’unité Paul Sivadon servait peu aux soignants de l’unité elle-même. « Elle était plutôt utilisée en dépannage d’autres services. Mais la nature ayant horreur du vide, elle était occupée constamment », se souvient le cadre de santé. Ainsi, en 2016, 398 journées ont été recensées pour 56 patients accueillis, dont 4 seulement issus du service**.
**Ce chiffre s’explique par le fait que la fin d’un séjour et le début d’un autre pouvait survenir dans la même journée et comptait alors pour deux journées.
Sans la chambre d’isolement, les soignants se sentaient en danger
Dès 2016, le projet d’unité a été revu afin de fusionner les deux sous-unités en une seule, de 28 lits. Au cœur de ce changement, la fermeture de la chambre d’isolement du service et une réorganisation architecturale sont prévues. Mais le chemin est plus long que prévu… « Nous avons commencé à penser à la fermeture de la chambre d’isolement en 2017 et il a fallu un an et demi pour la mener à bien. Nous avons dû faire un gros travail pour faire évoluer les mentalités, dans le service et dans l’institution », souligne Ludovic Serna.
La difficulté principale a été la résistance de l’équipe. « Les soignants se disaient : est-ce qu’on est vraiment un service de psychiatrie si on n’a pas de chambre d’isolement ? Ils se sentaient en danger sans elle. C’était une sorte de filet de sécurité pour les soignants », se rappelle-t-il.
Former aux techniques d’apaisement
Dans son bureau, il garde accroché comme un trophée sur son panneau d’affichage le document officialisant la fermeture de la chambre d’isolement de son service. « Pour y parvenir, il a fallu accompagner l’équipe sur un versant sécuritaire. Nous avons formé les soignants aux techniques d’apaisement des situations de tension, aux techniques de relaxation, mais aussi sur la question des biorythmes, afin d’éviter que des patients ne se retrouvent dans des états de fatigue intense pouvant amener à des moments de stress et à des crises. Nous avons également accompagné les équipes à la psychoéducation, pour qu’elles puissent apporter de l’information à la personne sur la maladie, les traitements, etc. »
La chambre d’isolement a été complètement transformée, pour en faire un espace d’apaisement. Avant, la CI comprenait un sas de sécurité, avec un bouton d’appel. Dans la chambre elle-même, lit et toilettes en inox étaient scellés au sol. Le sommier comportait des poignées où attacher des sangles pour la contention. Pour la transformer en salon d’apaisement, le sas a été supprimé, de même que le verrou, et l’espace a été aménagé avec matelas, coussins, poufs fauteuil, musique lumière tamisée et fragrances naturelles : « Nous avons transformé un lieu d’hypostimulation sensoriel en lieu d’apaisement par la sensorialité : odeurs, lumière, toucher, etc. Nous diffusons par exemple des essences naturelles de menthe et de lavande, détaille Ludovic Serna. Au départ, c’était un espace très peu utilisé par les soignants et par les patients, mais petit à petit nous y découvrons un intérêt », observe-t-il.
Un bureau infirmier toujours ouvert
Trois ans après la fermeture de la chambre d’isolement, l’expérience est un succès. « Nous ne reviendrions pas en arrière », assure Ludovic Serna. En 2019, seulement 2 patients ont dû être isolés dans un autre service, aucun en 2020 et 1 en 2021. « Ce qui a changé, c’est que le bureau infirmier est toujours ouvert, ce qui montre la disponibilité auprès des patients et la sécurité de l’équipe. Il y a aussi un effet non mesurable lié au fait qu’il n’y a plus de chambre d’isolement, donc il faut faire sans », estime-t-il. Ce n’est pas uniquement un outil qui a été changé, c’est aussi le regard des soignants. « Nous avons amené d’autres professions de santé autour de ce projet, éducateurs spécialisés, psychomotriciens, ergothérapeutes. La créativité des soignants est sollicitée et ils savent être inventifs », apprécie-t-il.
La nouvelle génération de soignants semble se détacher de la contention et de l’isolement. Les recherches en psychiatrie tendent à démontrer leur inutilité sur le processus de soin. Ces enseignements sont transmis aux universités, qui elles-mêmes transmettent ce savoir aux nouveaux psychiatres, moins enclins à appliquer des méthodes jugées inefficaces.
Une décennie de législation pour faire évoluer l’isolement-contention
Les mesures qui encadrent l’usage de la contention et de l’isolement ne sont pas toujours allées de soi. Elles sont le résultat d’une décennie d’avancées juridiques entamées par Nicolas Sarkozy. En 2008, un patient échappé d’un service psychiatrique poignarde un jeune homme à Grenoble. En réaction, l’ancien président de la République promet une « réforme en profondeur » de l'hospitalisation, dans l'objectif de sécuriser la psychiatrie. Menée par Roselyne Bachelot, cette promesse aboutit à la loi du 5 juillet 2011, qui impose un cadre plus strict autour des soins psychiatriques sans consentement : une entrée dans les soins facilitée grâce à la procédure de péril imminent (SPI) ; la mise en œuvre d'une période d'observation « légale » permettant de s'assurer que le patient bénéficie de soins adaptés à son état de santé ; le contrôle systématique du respect du processus par le juge des libertés et de la détention (JLD).
Borner le temps d’isolement
En 2016, le ministère de la Santé sous la direction de Marisol Touraine reprend les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), et réglemente la pratique de l'isolement. Elle doit désormais s’effectuer dans un lieu dédié, en dernier recours, sur décision d'un psychiatre, pour une durée limitée. L'obligation de tenir un registre des contentions et des isolements est instaurée.
Alerté sur la question de l'isolement, le parquet de Versailles pose en juin 2020 une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la position du juge vis-à-vis de l'isolement. Validée par le Conseil constitutionnel, elle force le gouvernement à introduire l'article 84 dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2021, qui spécifie que l'isolement ne peut se faire que dans les cas d’hospitalisation sous contrainte. Cette loi oblige aussi les hôpitaux psychiatriques à prévenir le juge des libertés et de la détention au bout de 24 heures en cas d’isolement ou de contention et demande au psychiatre de motiver sa décision. Elle borne également le temps d’isolement : celui-ci est décrété pour une durée maximale de 12 heures et peut être renouvelé jusqu'à 48 heures consécutives. La contention est décrétée pour une durée maximale de six heures, et renouvelée jusqu'à 24 heures maximum.
En 2021, le parquet de Versailles pose une nouvelle QPC, validée par le Conseil constitutionnel, qui porte sur le recours non systématique au JLD dès la décision de placement en chambre d’isolement. Le gouvernement devra de nouveau légiférer sur le sujet d'ici la fin de l'année 2021.
Crédit image de Une : Getty Images
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Citer cet article: Quand le soin psychiatrique se passe d’isolement-contention - Medscape - 3 nov 2021.
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