France – Au centre hospitalier de Cateau-Cambrésis, dans le Nord, le service des urgences a mis en place un protocole renforcé de prise en charge des victimes de violences conjugales, piloté par le Dr Benjamin Paule, urgentiste du CH et référent sur cette thématique. Cette prise en charge comprend un volet social, ainsi qu’une dimension santé mentale. Sur le volet judiciaire, le protocole inclut, depuis le printemps 2020, le déplacement des forces de l'ordre à l'hôpital pour permettre aux victimes de porter plainte plus facilement, en cas de violences avérées. Le Dr Benjamin Paule livre les détails d’une initiative qui pourrait se généraliser à l’échelle du territoire national.
Medscape édition française : Dans quel contexte socio-démographique évoluent les patients qui se rendent aux urgences de votre hôpital ?
Dr Benjamin Paule : Il faut savoir que le CH de Cateau-Cambrésis (59) est situé en secteur rural, avec un bassin de population très défavorisée qui connait beaucoup de difficultés, sur le plan économique notamment. La région a, par ailleurs, des problèmes de démographie médicale, avec une médecine de ville difficilement accessible, de fait, la population a assez facilement recours aux Urgences. On voit passer de 50 à 60 patients par jour dans le service, adultes comme enfants, dont 2 victimes de violences conjugales par semaine, soit 6 à 10 par mois, ce qui est beaucoup.
Comment est né l’idée de ce protocole de prise en charge que vous pilotez ?
Dr Benjamin Paule : Quand je suis arrivé il y a 3 ans comme interne dans le service, il n’existait aucun protocole de prise en charge. Globalement, les femmes venaient principalement pour faire soigner leurs blessures et les faire constater en vue d’un dépôt de plainte. On les voyait d’un point de vue médical, on faisait un certificat et elles repartaient. Au vu du nombre conséquent de victimes de violences que l’on voyait –surtout des femmes, exceptionnellement des hommes – j’ai commencé à m’intéresser à cette thématique, qui est, en parallèle, devenue un sujet d’actualité brûlant politiquement avec le Grenelle des violences conjugales et l’égalité hommes/femmes déclarée Grande cause nationale du quinquennat, mais aussi médiatiquement avec le hashtag Metoo. Dans le cadre de ma thèse, j’ai créé un parcours de soin au sein de l’hôpital de Cateau-Cambrésis pour y prendre en charge ces victimes de violences que l’on soignait aux urgences très fréquemment.
Quels sont les différents volets de ce protocole de prise en charge ?
Dr Paule : Nous en avons développé plusieurs. Face à quelqu’un qui a été blessé, frappé, la priorité reste bien sûr la prise en charge des soins somatiques, mais nous y avons ajouté un versant social. Systématiquement, les assistantes sociales de l’hôpital viennent échanger avec les patientes pour évaluer un éventuel besoin de relogement, la présence d’enfants, leurs ressources financières…Ce temps d’échange est assez propice car les assistantes sociales sont des femmes, contrairement à la plupart des médecins du service, et les femmes victimes se confient plus facilement à elle. Nous faisons aussi le lien avec un association d’aide et de soutien aux femmes victimes de violences sur notre secteur, SOLVEIG, ce qui permet d’assurer un suivi pour ces femmes et non de se contenter d’une prise en charge médicale à un instant t aux Urgences.
Quel(s) autre(s) type(s) d’aide apportez-vous ?
Dr Paule : Sur le versant de la santé mentale, nous apportons systématiquement un soutien psy aux femmes victimes de violences. Pour cela, nous avons dû trouver des ressources qui n’existaient pas forcément dans le service. Nous avons donc fait appel au service d’addictologie de l’hôpital, qui a accepté de se rendre disponible pour ces femmes et nous nous sommes mis en lien avec le centre médico-psychologique de la commune via les infirmières psychiatrie de liaison. Comme il y a souvent un impact désastreux des violences subies sur la santé mentale, nous effectuons systématiquement un dépistage du risque suicidaire et recherchons un problème d’ordre toxicologique, avec l’aide des infirmières du service d’addictologie. L’idée est de faire du repérage, du dépistage pour mettre en place, dans un second temps, un protocole de soins si besoin.
Qu’avez-vous mis en place sur le plan judiciaire ?
Dr Paule : Sur le plan médico-légal, j’ai retravaillé la rédaction des certificats pour coups et blessures – qui n’étaient pas tout-à-fait conformes. Par ailleurs, nous avons organisé des formations à la rédaction de ces certificats et déterminé un barème d’ITT à utiliser (celui établi par l’hôpital de Garches).
Vous avez été médiatisé pour avoir mis en place le dépôt de plainte à l’hôpital. De quoi s’agit-il ?
Dr Paule : Nous avons effectivement mis en place le dépôt de plainte simplifié à l’hôpital. Il s’agit d’une convention entre la préfecture et les tribunaux pour que les gendarmes viennent à l’hôpital au chevet de la victime pour recueillir la plainte et auditionner la patiente. Dans ce cas, c’est nous qui les appelons avec son accord – ou bien, sans son accord, quand il s’agit de certaines situations définies par le code pénal où il est autorisé de déroger au secret médical (victime mineure, victime enceinte mais aussi victime sous emprise avec notion de danger immédiat de la part d’un conjoint violent – article 226.14 du code pénal modifié en 2020).
Avez-vous déjà utilisé cette procédure ? Quel est le délai d’intervention des gendarmes?
Dr Paule : Nous la déclenchons régulièrement – environ une dizaine de fois dans l’année. Le reste du temps, les femmes ont souvent déjà déposé plainte et viennent à l’hôpital pour obtenir un certificat médical pour coups et blessures, ou alors elles ne veulent pas déposer plainte. C’est un groupement de gendarmes spécialisés du groupe de lutte contre les violences intra familiales ( GLVIF ) qui se déplace à l’hôpital pour recueillir la plainte. C’est une façon d’apporter une réponse rapide, d’être sûr qu’il y aura bien une enquête, mais aussi de s’assurer que les femmes ne changent pas d’avis sur le trajet de la gendarmerie, surtout quand elles doivent revenir un autre jour, et de s’affranchir de la présence du conjoint qui pourrait influer sur la décision.
Comment améliorer encore cette procédure ?
Dr Paule : A l’avenir, nous aimerions mettre en place le dépôt de plainte numérisé par e-mail, de façon à pouvoir établir une pré-plainte immédiatement depuis l’hôpital. La forme serait assez succincte et comporterait une description sommaire des faits en quelques phrases et le certificat médical de coup et blessure à envoyer en temps réel au tribunal à l’intention du magistrat de permanence. L’idée est de pouvoir déclencher une réponse pénale immédiate et d’engager des poursuites, même en cas de rétractation ultérieure. Ce système devrait voir le jour dans les prochaines semaines aux Urgences du CH de Cateau-Cambrésis.
Qu’est-ce que la mise en place de ce protocole a changé à votre façon de prendre en charge les victimes de violences conjugales ?
Dr Paule : On a amélioré notre dépistage et notre repérage. Depuis que je me suis intéressé à ce sujet, je ne prends plus du tout en charge les patientes de la même manière. Ma pratique et mon relationnel ont évolué, je pense davantage à aller rechercher l’existence de rapports sexuels forcés et de violences sexuelles chez des victimes de violences conjugales, ce que je ne faisais pas systématiquement avant. Comme c’est un petit bassin de population, il y a aussi les patientes que l’on revoit. Mieux formés, on repère désormais les violences conjugales même quand ce n’est pas exprimé par les femmes en posant des questions simples comme « Comment cela se passe à la maison ? ». Nos relations avec les magistrats des tribunaux ont aussi beaucoup changé. On se téléphone régulièrement, nous avons été invités à présenter notre travail. Globalement, il y a plus de fluidité et les échanges en sont facilités.
Qu’est-ce qui reste difficile dans la prise en charge des femmes victimes de violence ?
Dr Paule : Il est toujours très difficile de devoir faire un signalement et d’aller à l’encontre du secret médical [quand il est autorisé d’y déroger, voir plus haut] car on estime qu’une femme est sous emprise, que ses capacités de discernement sont altérées et qu’il y va de sa santé et de sa sécurité, et ce, alors même que la victime s’y oppose et nous demande de ne pas le faire. Et, il est très compliqué de devoir s’en tenir au secret quand une patiente ne veut pas déposer plainte, tout en sachant qu’il y a de forts risques pour qu’on la revoit aux Urgences pour les mêmes raisons…Cela me donne l’impression de cautionner, et c’est très compliqué à gérer.
Est-il prévu d’étendre ce type de protocole à l’ensemble du territoire national ?
Dr Paule : En visite l’an dernier dans le service, le ministre de la justice, Eric Dupont-Moretti, a salué la coopération renforcée entre soignants, magistrats et forces de l’ordre que nous avons mis en place et souhaité une homogénéisation de ces pratiques au niveau national. Nous espérons la voir mise en place rapidement.
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Citer cet article: A Cateau-Cambrésis, les femmes victimes de violences conjugales peuvent porter plainte à l’hôpital - Medscape - 2 nov 2021.
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