La Défense, France – La place centrale du médecin généraliste dans la santé de l'enfant a encore été soulignée dans un rapport de l'Igas du mois de juin dernier. On y apprend qu'un quart de la population française est âgée de moins de 19 ans et que son suivi médical est assuré pour moitié par le médecin généraliste, pour moitié par un binôme pédiatre-médecin généraliste.
A l'occasion des Journées nationales de médecine générale (JNMG 2021) , la Pr Christèle Gras-Le Guen (pédiatre, CHU de Nantes) a listé les principaux « signes d'alerte et feux rouges en pédiatrie » [1]. Ces derniers permettent de détecter les situations rares qui constituent des pièges risquant d'engendrer un retard diagnostique aux conséquences potentiellement graves.
Les signes de gravité à rechercher chez tout enfant
Un trouble de conscience qui se côte avec un score de Glasgow. Si celui-ci est inférieur à 15, c'est un trouble de conscience, c'est un signe de gravité.
Fréquences respiratoire et cardiaque doivent être chiffrées. « C'est important pour pouvoir évaluer précisément la gravité de votre patient, et c'est important aussi pour vous dans un second temps de pouvoir attester que vous n'êtes pas passé à côté de quelque chose de grave », explique-t-elle. Pour mémoire, les normes des fréquences changent selon l'âge et sont différentes de l'adulte.
Chez un enfant de moins d'un an, la fréquence cardiaque (FC) normale est comprise entre 80 -180 battements par minute.
Chez un enfant de plus d'un an, la fréquence cardiaque normale est comprise entre 80 -160 battements par minute.
« Au-delà des limites de FC, il faut évaluer la perfusion périphérique car chez l'enfant la tension artérielle est maintenue très longtemps en cas de choc contrairement à l'adulte », indique Christèle Gras-Le Guen. Avant de poursuivre : « Un enfant hypotendu est un enfant sur le point de faire un arrêt cardiorespiratoire. Ce sont la FC et les signes d'hypoperfusion périphérique qui doivent vous guider. »
Une fréquence respiratoire supérieure à 50 cycles par minute doit être explorée.
Le temps de recoloration donne une information clef sur la perfusion périphérique.
Tout enfant fébrile doit être examiné tout nu à la recherche d'une tâche de purpura.
Les signes toxiques à rechercher chez tout enfant :
altération de l'état général, anorexie
frissons, changement de teint, pâleur
polypnée > 40-60 min, hypoxie
signes de lutte
absence de contact, cris inhabituels
fontanelle bombante
purpura
déshydratation, vomissements
Cas de la fièvre
« Cela reste un sujet d'inquiétude parentale majeur si bien qu'il faut dire et répéter que la fièvre en soi ne présente pas de danger », explique la Pr Christèle Gras-Le Guen. « Pendant longtemps, on a dit à tort que la fièvre faisait convulser. Aujourd'hui, on sait que ce sont les cytokines pro-inflammatoires produites à l'occasion d'un épisode infectieux qui font convulser », détaille-t-elle, déplorant que cette idée reçue soit encore largement diffusée. C'est la cause de la fièvre qui fait convulser, et parfois il peut y avoir convulsion sans fièvre.
Quelle conduite à tenir ? La spécialiste indique que l'objectif du traitement d'un enfant fébrile est avant tout un objectif de confort. Aussi le paracétamol est prescrit en première ligne non pas pour ses effets antipyrétiques mais pour ses effets antalgiques et de confort. Le médecin doit rappeler aux parents les mesures élémentaires – donner à boire, ne pas trop couvrir – et les consignes de surveillance.
En revanche, l'âge peut être considéré comme un « feu rouge ». De fait, chez un bébé de moins de trois mois, la probabilité d'infection bactérienne étant comprise entre 7 et 20 % – « c'est la plus élevée de tous les âges de la vie » – il faut une prise en charge à l'hôpital. « Avant un mois, il faut envoyer les tout petits aux urgences pédiatriques, d'autant que les prélèvements, urine ou sang, sont difficiles », explique-t-elle. L'hypothèse n°1 est la pyélonéphrite.
Chez un enfant de moins de 5 ans, c'est l'infection des voies aérodigestives supérieures (VADS) qui est la première cause de fièvre. « Avant trois ans, la probabilité d'une infection bactérienne est vraiment minime. A ce titre, il n'est pas nécessaire de faire de streptotest. En revanche, après l'âge de trois ans, il faut faire un streptotest et si besoin une antiobiothérapie reposant sur de l'amoxicilline (50 mg/kg/j en deux prises) pendant six jours », rapporte-t-elle.
Pour la spécialiste, un symptôme « feu rouge » de la fièvre est le torticolis. « Face à un enfant avec de la fièvre et un torticolis, il faut penser à l'abcès rétropharyngé et orienter vers les urgences », rappelle Christèle Gras-Le Guen en insistant sur le fait de « ne pas donner d'antibiotique à l'aveugle, ni de corticoïdes et encore moins d'AINS ». Elle précise par ailleurs que le torticolis en l'absence de fièvre est en général et hors contexte traumatique un symptôme « très feu rouge » chez l'enfant.
Autre « feu rouge » de la fièvre : la crise chez l'enfant. Toute convulsion fébrile chez un nourrisson de moins de 6 mois est considérée comme la manifestation d'une méningite bactérienne jusqu'à preuve du contraire. Aussi l'enfant doit être orienté vers les urgences pédiatriques après l'appel au 15.
Enfin, le purpura fulminans, même s'il reste exceptionnel avec une trentaine de cas chaque année en France, est le principal « feu rouge » de la fièvre. «Il faut aller très très vite et administrer les antibiotiques immédiatement », indique-t-elle. Il s'agit d'administrer de la ceftriaxone (50mg/kg) en injection intramusculaire sur la face entéro-externe de la cuisse quel que soit l'état hémodynamique de l'enfant.
Cas des pleurs excessifs de l'enfant
« J'ai l'impression de passer mes gardes à recevoir des enfants qui pleurent. On a mis dans la tête des parents qu'il s'agissait d'un problème digestif alors qu'on sait bien que ce n'est pas le cas. Il faut qu'on arrête d'appeler ça des coliques, on appelle ça des pleurs excessifs, dérangeants », déplore le Dr Gras-Le Guen qui enjoint ses confrères et consœurs à « tenir bon et ne plus prescrire d'IPP ».
Elle conseille aux médecins généralistes d'être pédagogue avec les parents inquiets ou épuisés des pleurs de leur enfant. A partir de J15, un enfant commence à pleurer. Et ses pleurs, « reflet d'une trajectoire développementale normale », augmentent jusqu'à un maximum autour de deux mois et jusqu'à 5 à 6 heures par jour. S'appuyant sur les travaux de sa consœur le Dr Gisèle Gremmo-Feger (pédiatre, CHU de Brest), Christèle Gras-Le Guen considère que les pleurs ont pour fonction d'attirer l'attention et de favoriser les soins et les interactions.
« Reste qu'un certain nombre d'enfants pleurent parce qu'ils ont en effet un problème. Ils représentent moins de 5 % de ceux qui pleurent de façon excessive mais il ne faut pas passer à côté », prévient-elle. Les pleurs inhabituels et incalmables pendant plusieurs heures doivent par exemple attirer l'attention.
Quels sont les «feux rouges » des pleurs à rechercher ?
fréquence et /ou tonalité très élevées sans rythme évident en journée,
persistance après quatre mois d'âge,
examen clinique anormal,
régurgitations – vomissements- diarrhée,
perte de poids ou difficulté de croissance,
traitement et/ou addiction parentale,
anxiété parentale majeure, dépression parentale.
En l'absence de « feux rouges », la réassurrance parentale est le pilier de la prise en charge.
Suspicion de traumatisme infligé
Tout enfant suspect de traumatisme infligé doit être hospitalisé. Quels sont les signes à rechercher ?
ecchymose ou fracture avant l'âge de la marche
lésion cutanée superficielle de localisation inhabituelle pour l'âge
brûlure de localisation inhabituelle et/ou de mécanisme peu clair/discordant
multiples accidents domestiques d'explications peu plausibles
grossesse chez une très jeune fille (violences sexuelles ?)
Il existe une fiche mémo de la HAS fiche sur le repérage des maltraitances sur les enfants et la conduite à tenir.
Quelques autres « feux rouges » à avoir à l’esprit
1- Prévention de la mort subite du nourrisson
Pour éviter la mort subite du nourrisson, celui-ci doit dormir dans un lit séparé dans la chambre des parents. Il ne doit pas être installer à dormir sur le ventre ni sur le côté tant qu'il n'a pas acquis le retournement.
2- Malaise au cours de l'effort
Comme chez l'adulte, un malaise à l'effort est un « feu rouge » qui évoque un trouble du rythme. Il nécessité un avis cardiologique en urgence.
3- Ictère néo-natale + selles décolorées
C'est une urgence diagnostique car il s'agit d'une malformation des voies biliaires. Or la chirurgie de dérivation doit avoir lieu dans les cinq premières semaines de vie, le risque étant l'installation d'une cirrhose biliaire, nécessitant transplantation hépatique. En fonction des types de malformations des voies biliaires, les selles sont plus ou moins décolorées.
4- Torsion testiculaire
La torsion de testicule touche principalement l'enfant pubère ou le nouveau-né à cause de l'imprégnation hormonale, a rappelé l’intervenante. Elle nécessite un avis chirurgical en urgence.
Chez l'enfant non pubère, ce n'est pas une urgence chirurgicale.
5- Tachycardie + polypnée + hépatomégalie
Chez l'enfant, l'insuffisance cardiaque est difficile à diagnostiquer car elle se présente comme une bronchiolite. Les enfants sont tachycardes et respirent vite. « La seule différence avec une bronchiolite, c'est qu'ils ont des signes droits. Il faut donc penser à chercher une hépatomégalie », indique la Dr Christèle Gras - Le Guen.
6- Malaise + pâleur +/- augmentation récente du périmètre crânien
Un possible hématome sous-dural peut être envisagé. Il peut s'agir d'un syndrome du bébé secoué.
Crédit image de Une : BSIP
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Citer cet article: Reconnaître les pièges diagnostiques en pédiatrie - Medscape - 29 oct 2021.
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