Paris, France – Alors que la France connait cette année une épidémie précoce de bronchiolite particulièrement sévère, le Pr Stéphane Dauger, chef du service de réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert Debré (Paris) et membre du collectif inter-hôpitaux, alerte sur une hémorragie des personnels médicaux et paramédicaux dans sa spécialité, et se désole du manque de considération de la tutelle pour les équipes de terrain.
Medscape édition française : Pourquoi êtes-vous particulièrement inquiet aujourd’hui ?
Pr Stéphane Dauger : Nous sommes inquiets pour l'avenir à court terme, car l'épidémie de bronchiolite cette année semble plus sévère que d'habitude, donc nous allons devoir une fois de plus déprogrammer de la chirurgie pour prendre en charge des enfants touchés par l'épidémie. Nous déplorons le retard de prise en charge qui cela va engendrer pour les enfants qui ont des maladies chroniques. Cette épidémie de bronchiolite a trois semaines d'avance, mais encore une fois nous aurions pu l’anticiper, cela fait 40 ans que nous y sommes confrontés.
Comment expliquez-vous la sévérité de l'épidémie cette année ?
Pr Dauger : Je ne peux pas vous répondre formellement. Une explication circule actuellement, selon laquelle les nourrissons ont été protégés l’année dernière en raison des mesures barrière, et n'ont pas été exposés aux virus auxquels ils sont confrontés d'ordinaire de manière continue ; les nourrissons seraient donc plus fragiles. Nous n'avons pas de recul sur ce phénomène mais des équipes y travaillent, et étudient la virulence de certains virus. Ce qui est fatigant pour les personnels soignants, c'est de se retrouver à chaque fois dans la même situation, et de constater que rien n'a été anticipé.
La pédiatrie a connu une grave crise en 2019. La situation ne semble pas s’être améliorée…
Pr Dauger : Nous sommes actuellement dans une situation beaucoup plus sévère, puisque nous faisons face à un départ massif de paramédicaux, depuis quelques mois, que nous ne connaissions pas en pédiatrie. Il y a aussi des départs de médecins dans des grands services et dans des grands hôpitaux ; personne n'est à l'abri. Nous connaissons aussi des fermetures de lits et des fermetures de places, qui nous inquiètent beaucoup, eu égard à la nouvelle épidémie de bronchiolite.
À vous écouter, nous avons l'impression que l'on assiste actuellement à une véritable hémorragie des personnels soignants et médicaux en pédiatrie ?
Pr Dauger : Pas plus tard qu'il y a 15 jours, sur les 10 unités de surveillance continue avec lesquels nous travaillons en réseau dans le Nord-Est parisien, il y avait 58 lits de fermés. Cela représente 15 à 20% des lits de pédiatrie dans des hôpitaux universitaires et non universitaires.
Il y a deux jours, nous avions une réunion avec des collègues de toute la France. Une collègue du sud, de la région Aquitaine, nous disait qu'elle avait 34 enfants hospitalisés pour 28 lits. Ces fermetures de lits sont liées à des choix politiques ou sont la conséquence d’un manque de personnels.
Selon vous, à quoi sont dus tous ces départs ?
Pr Dauger : Je n'ai pas de réponse formelle à vous donner, mais selon moi, ces départs sont causés par une maltraitance très claire au sein de nos institutions, ils sont aussi causés par notre manière de travailler. Les décisions sont centralisées, les lits sont fermés, les ennuis administratifs se multiplient... Qui plus est, actuellement, la revalorisation salariale (du Ségur de la santé, soit 183 euros net par mois pour les paramédicaux, NDLR) n'a pas été à la hauteur de la situation actuelle. Surtout, cette revalorisation n'a pas été accompagnée d'un nouveau mode de gestion des personnels.
Le Ségur de la santé n'a pas séduit les personnels hospitaliers ?
Pr Dauger : Si les gens s'en vont, c'est que le Ségur en effet n'a pas été suffisant. Au cours des deux dernières années, le service que je gère a accueilli des adultes, en plus de la réanimation pédiatrique, soit 54 malades sur les deux périodes. Les aides-soignant.es n'ont pas eu un centime de prime pour avoir fait tourner deux services pendant 6 semaines, soit les 20 lits de réanimation pédiatrique et les 8 lits de réanimation adulte que nous avions reçus. Clairement, les 183 euros, qui ne sont pas négligeables, n'ont pas suffi. Et cela ne suffit pas car l'on ne respecte pas les gens au travail. Les exemples ne manquent pas. En pédiatrie, une infirmière de pratique avancée n'est pas remplacée dans le service, par exemple.
Pensez-vous que les médecins quittent l'hôpital pour les mêmes raisons que les paramédicaux ?
Pr Dauger : Oui, c'est exactement ce que j'ai pu constater chez tous ceux, parmi mes collègues, qui sont partis. Il faut ajouter l'absence d'autonomie accordée aux personnels. Pourtant, lors de la première vague de Covid, on nous a vanté l'autonomie et la flexibilité, dont nous avions fait preuve à l'hôpital public, mais aussi dans le secteur privé. Mais depuis plusieurs mois, nous sommes de nouveau embourbés dans des démarches administratives d'une lourdeur sans pareille... Les décisions maintenant sont prises à des milliers de kilomètres du centre de production des soins. C'est déplorable.
Vous pensez que les lourdeurs administratives sont plus décourageantes que les questions salariales ?
Pr Dauger : C'est mon avis, j'ai la chance d'avoir un salaire confortable, et même si je pense que certains mériteraient d'avoir de meilleurs salaires, nous avons la chance d'avoir un métier protégé, et je pense que ce n'est pas le salaire qui fait que les soignants et médecins quittent l'hôpital.
En pédiatrie, nous n'avons pas d'équivalents dans le privé. Pour soigner 800 000 naissances par an, tout se passe forcément dans le public [il n’y a donc pas de fuite des soignants vers le privé pour de meilleurs rémunérations]. Dans ma spécialité, je pense que le manque de respect des personnels est la principale cause de démotivation.
Le redéploiement des personnels soignants dans les services Covid expliquent-ils, même en partie, la carence de paramédicaux que vous rencontrez actuellement ?
Pr Dauger : Non je ne crois pas. Il y a effectivement des hôpitaux où cela s'est passé mais à Robert Debré nous nous sommes battus pour conserver notre personnel quitte à prendre en charge des patients adultes. Cette décision a été discutée et appuyée par notre direction. Comme quoi c'est possible. Mais ce genre de décisions, ce respect vis-à-vis des personnels, on l'a complètement perdu. Par manque de considération, des médecins vont travailler dans d'autres pays européens, changent de métiers, ou travaillent en ville, quitte à perdre une partie de leur revenu, mais ne veulent plus être considérés comme des pions.
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Citer cet article: Détresse des services pédiatriques : « Nous faisons face à un départ massif de paramédicaux » - Medscape - 28 oct 2021.
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