Paris, France – Comment repérer un usage nocif du cannabis, en particulier chez les adolescents et les jeunes adultes, qui se retrouvent alors confrontés à risque accru de développer une psychose ? Lors des Journées nationales de médecine générale (JNMG 2021), le Pr Amine Benyamina (Hôpital Paul Brousse, AP-HP, Villejuif) a rappelé les symptômes, les comportements, mais aussi les traits de personnalité qui doivent alerter [1].
A cours de sa présentation, l’addictologue, également président de la Fédération française d’addictologie (FFA), a évoqué la sensation de craving, ce besoin irrépressible de consommer du cannabis, depuis peu reconnu, ainsi que les critères diagnostiques et les symptômes du sevrage du cannabis, qui ont pour la première fois fait leur entrée dans la dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V).
60 000 jeunes de 17 ans à risque
La France est le pays où l’on en consomme le plus de cannabis en Europe. Selon les données de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), l’usage régulier du cannabis concerne 11% des 18-64 ans, un taux assez constant. En revanche, l’expérimentation est toujours en hausse. En 2017, 45% des adultes de cette tranche d’âge ont déjà consommé du cannabis au cours de leur vie, contre 33% en 2010.
Parmi les usagers actuels âgés de 15 à 64 ans, 20% ont été identifiés comme à risque élevé d’abus ou de dépendance. Il s’agit en grande majorité d’adolescents. « Un usager de cannabis de 17 ans sur quatre présenterait un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance au cannabis », précise l’OFDT, ce qui représente près de 60 000 jeunes de cet âge.
« Les risques liés à la consommation de cannabis concernent essentiellement les populations jeunes », qui développent plus facilement une dépendance et les troubles cognitifs associés, a rappelé le Pr Benyamina. « Les études montrent qu’une consommation de cannabis modifie la régulation de la plasticité cérébrale. Elle a probablement un impact sur la maturation du cortex pré-frontal. [2]»
« Une utilisation du cannabis de manière précoce est clairement associée à une hausse du risque de modification structurelle du cerveau et de psychose et ce de manière proportionnelle. » Le risque est majeur pendant toute la phase de maturation du cerveau. « Personnellement, je pars du principe qu’il ne faut pas toucher au cannabis avant 23 ans, » précise l’addictologue.
Les dangers d’une consommation précoce
« Les comorbidités psychiatriques liées à la consommation de cannabis sont rares, mais graves, et nécessitent la présence de nombreux facteurs de vulnérabilité. »
Les plus vulnérables face à ce risque sont « les personnes ayant des antécédents familiaux de troubles psychotiques », plus sensibles aux répercussions du cannabis. On peut néanmoins considérer que « le premier facteur de vulnérabilité est la consommation précoce de cannabis », a précisé le spécialiste.
Certains traits de personnalité sont également considérés comme des facteurs de risque de consommation précoce et excessive et par conséquent de troubles psychiatriques. Un adolescent avec une faible estime de soi, des difficultés relationnelles, une tendance à rechercher des sensations fortes, des réactions émotionnelles excessives présente un profil à risque.
« Ces traits de caractère jouent un rôle très important. Ils amènent à rechercher dans la consommation de cannabis un échappatoire ou une manière de renforcer sa vie sociale », selon le Pr Benyamina. « Ces facteurs de personnalité se retrouvent pratiquement dans toutes les addictions. »
Pour identifier les profils à risque, il est recommandé d’interroger le jeune patient envoyé en consultation pour consommation de cannabis sur sa vie personnelle, en engageant un échange, « dans un climat de confiance », sur ses centres d’intérêt, sa vie au quotidien, ses activités, ses relations avec ses amis et les membres de sa famille.
Un parcours de vie marqué par la violence, les accidents, des résultats scolaires en baisse ou une sexualité non protégée doit également alerter sur le risque de consommation problématique de cannabis.
Deux questionnaires pour identifier les consommations à risque
Pour évaluer la consommation de substances psychoactives et identifier les usages problématiques, le praticien peut s’aider du questionnaire ADOSPA, destiné au patient et au jeune adulte. Il se compose de six questions portant sur la consommation d’alcool ou de drogues. Deux réponses affirmatives ou plus indiquent « un usage nocif », c’est à dire « un mode de consommation qui entraine des méfaits sur le plan, physique, psychologique ou social ».
Le questionnaire CAST (Cannabis Screening Test) permet d’évaluer la consommation de cannabis en six questions. Deux réponses positives « doivent amener à s’interroger sérieusement sur les conséquences de la consommation. »
Le craving, signe d’addiction
Selon les critères du DSM-V, une consommation de cannabis devient problématique lorsque la substance psychoactive est prise en quantité plus importante pendant une période plus longue que prévue et qu’elle empêche notamment de respecter ses obligations (au travail, à l’école ou à la maison).
La poursuite de l’utilisation du cannabis malgré des problèmes personnels causés ou exacerbés par les effets du cannabis amène également à envisager un problème de dépendance. Autre signe révélateur: l’expression d’un désir intense de consommer du cannabis ou craving. « C’est le craving qui fait l’addiction », souligne l’addictologue.
Le trouble d’utilisation du cannabis est également révélé par la présence d’un syndrome de sevrage de la consommation de cannabis après quelques jours d’arrêt. Les critères diagnostiques de ce syndrome ont été, pour la première fois, décrit dans le DSM-V, publié en 2013, contribuant ainsi à clore le débat sur l’existence réelle d’une dépendance au cannabis, a précisé le Pr Benyamina.
Selon le manuel, le syndrome de sevrage du cannabis survient environ une semaine après l’arrêt d’une consommation importante et prolongée (utilisation quotidienne ou presque pendant plusieurs mois). Il se traduit par l’apparition d’au moins trois symptômes parmi les suivants:
irritabilité, colère et agressivité;
anxiété et nervosité;
troubles du sommeil (insomnie, rêves perturbants);
baisse de l’appétit et perte de poids ;
agitation ;
humeur dépressive.
Ces symptômes s’accompagnent d’une douleur abdominale, de tremblements, de sueurs, de fièvre, de frissons ou de maux de tête à l’origine d’un inconfort important. Selon les critères, ils doivent également provoquer une détresse significative ou une altération de la vie sociale ou professionnelle.
Syndrome amotivationnel
Les symptômes de sevrage apparaissent généralement un ou deux jours après l’arrêt de la consommation pour atteindre un pic au bout d’une semaine. Ils peuvent ensuite se maintenir pendant une à deux semaines. Les troubles du sommeil peuvent persister pendant près d’un mois.
Pour caractériser une dépendance au cannabis, les psychiatres français y ont également associé le syndrome amotivationnel, a ajouté le Pr Benyamina. Il se traduit par un déficit d’activité, une asthénie intellectuelle et physique, une pensée abstraite ou floue, des difficultés de concentration ou encore des pertes de mémoire et une vie relationnelle restreinte.
« Devant un symptôme amotivationnel, il faut explorer la consommation de cannabis et il est important de chercher à définir la personnalité avant apparition du syndrome », afin d’identifier un éventuel trouble psychiatrique. « Il faut interroger le patient, faire parler l’entourage ». Un changement de personnalité doit alerter sur le risque de psychose.
« Un patient présentant un syndrome amotivationnel mérite une prise en charge adaptée et un suivi. La seule manière d’évaluer l’impact du cannabis est de tenter de l’amener à stopper sa consommation, au moins de temps en temps », en gardant en tête que les symptômes amotivationnels mettent du temps à disparaître, « même après le sevrage ».
TCC et MET en première intention
Pour maintenir l’abstinence, la mise en place d’une thérapie comportementale et cognitive (TCC) ou d’une thérapie de renforcement de la motivation (MET) sont à privilégier, en y associant éventuellement une thérapie familiale. « Il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace à long terme », rappelle le Pr Benyamina.
Le traitement des comorbidités psychiatriques peut passer par des antipsychotiques de nouvelle génération qui présentent également des propriétés addictolytiques (Zyprexa®, Abilify®, Risperdal®…), en surveillant les effets secondaires potentiels, comme la somnolence et la prise de poids.
Crédit photo de Une : Getty Images
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Citer cet article: Usage nocif de cannabis: comment le repérer et quelle prise en charge? - Medscape - 27 oct 2021.
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