New York, Etats-Unis – Les porcs génétiquement modifiés vont-ils devenir une alternative pour les greffes d'organe ? Si certains y pensent sérieusement, c'est parce que pour la première fois une transplantation d'un rein de porc sur une patiente a fonctionné. Annoncée dans un article du quotidien USA Today, le 20 octobre dernier, cette prouesse réalisée par une équipe américaine du N.Y.U. Langone Transplant Institute a été saluée mondialement. Mais, malgré la technique, impressionnante, et son résultat, spectaculaire, la xénotransplantation n'aura peut-être pas le fabuleux destin qu'on imaginerait.
« C'est hyper enthousiasmant. Mercredi [ndrl : le jour de l'annonce], on ne parlait que de ça à l'hôpital. Au cours de mes études, j'ai toujours entendu qu'on ne pourrait jamais réussir une xénogreffe » s’exclame le Dr Sarah Drouin (chirurgien urologue, La Pitié-Salpêtrière) à Medscape édition française. Mais la chirurgienne émet aussi de franches réserves : « il y a des freins évidents éthiques et légaux, et en particulier en France. A la différence d'autres organes comme le foie, le poumon ou le cœur, on dispose déjà d'une technique de suppléance quand le rein est défaillant. Aussi je ne vois pas comment on pourrait autoriser des expérimentations plus avancées sur des patients en vie. »
Des cochons humanisés
Qu'a fait précisément l'équipe menée par le Dr Robert Montgomery, le directeur du N.Y.U. Langone Transplant Institute ? Le 25 septembre dernier, et pour la première fois au monde, elle a réalisé avec succès une greffe externe d'un rein de cochon génétiquement modifié sur une femme de 66 ans en état de mort cérébrale, et dont la famille avait donné l'accord pour la procédure.
« Macroscopiquement, il est très difficile de distinguer un rein de porc d'un rein humain. Mais les humains et les primates en général ont perdu un petit « sucre » dont la synthèse est commandé par le gène Gal », explique Sarah Drouin. Or la présence du sucre alpha-gal est à l'origine d'une réaction immunitaire de l'hôte qui aboutit à un rejet suraigu du greffon animal. Elle déclenche également une cascade de coagulation et d'inflammation qui majore le risque de décès au-delà même du rejet. Issu d'un cochon génétiquement modifié, le rein utilisé par le Dr Montgomery est dépourvu de sucre alpha-gal à la surface de ses cellules, ce qui permet de résoudre ce problème d'incompatibilité. Une autre modification génétique par la technique des ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 permet de se débarrasser du matériel génétique du virus endogène porcin (PERV). Il faut savoir que l'ADN viral, incorporé au sein même du génome du porc, se transmet au fil des générations de porc.
Connecté au corps de la patiente grâce à deux vaisseaux sanguins, le rein de l'animal a produit de l'urine et le taux de créatinine est revenu à la normale après la greffe. L'expérience a duré 54 heures durant lesquelles le rein a fonctionné correctement puis le respirateur a été arrêté.
« Lors d'une transplantation à partir d'un donneur décédé ou d'un donneur vivant, les 48 premières heures sont également très importantes », confirme Sarah Drouin. « Il faut vérifier la reprise de la diurèse et l’absence de non-fonction primaire [non-fonctionnement de l’organe après greffe, NDLR] du greffon » ajoute-t-elle.
Une expérimentation sans avenir ?
Quelle suite donnée à cette expérimentation inédite ? La démarche scientifique demanderait de prolonger l'expérience pendant des semaines, des mois, sûrement des années avec des receveurs en vie. « La demi-vie des greffons est de plus de 10 ans quand le donneur est décédé et de 15 à 17 ans quand le donneur est vivant. Il faudrait montrer qu'on fait au moins aussi bien avec un rein animal. Je ne vois pas comment de tels protocoles pourraient être acceptés par les comités d’éthique », explique le Dr Drouin qui s'interroge aussi de l'acceptabilité d'une telle procédure pour les populations chez lesquelles le cochon est un interdit.
Autre bémol, un potentiel problème sanitaire. Si le principal rétrovirus endogène porcin est en effet inactivé par modification génétique, quid des virus que l'on ne connaît pas encore et qui pourraient infecter le receveur ?
Enfin, vient la question aujourd'hui incontournable du bien-être animal. « Je suis un peu étonnée qu'on n'entende pas parler les associations de défense des animaux sur le sujet. Car dès lors qu'on travaille sur les xénotransplantations, le bien-être animal fait sans doute partie des considérations principales », indique la chirurgienne. D'ailleurs, en France, elle ne connaît pas d'équipes travaillant sur les cochons humanisés. Reste encore l'espoir de l'impression 3D de reins fonctionnels, mais aussi et toujours l'espoir d'une augmentation des dons.
Crédit Photo de Une : Christopher Furlong/Getty Images
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Citer cet article: Premier succès d'une xénotransplantation d'un rein de porc - Medscape - 26 oct 2021.
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