Etats-Unis – Les scientifiques qui parlent de Covid-19 aux médias ou commentent la pandémie sur les réseaux sociaux sont souvent victimes de harcèlement et de comportements abusifs, selon une enquête publiée dans Nature[1].
Harcèlement : un effet indésirable de la pandémie
L'enquête auprès de 321 scientifiques, principalement des États-Unis, du Royaume-Uni et d'Allemagne, a révélé que 22% ont été menacés de violence physique ou sexuelle et que 15% ont reçu des menaces de mort.
Plus d'un quart des scientifiques interrogés ont déclaré qu'ils recevaient « toujours » ou « de façon habituelle » des commentaires de trolls ou avaient été personnellement attaqués après avoir parlé de Covid-19. Plus de 40 % disent avoir souffert et avoir été très perturbé sur le plan émotionnel ou psychologique.
Certains scientifiques ont déclaré que l'expérience d'être trollé en ligne ou de recevoir des attaques personnelles les avaient dissuadés de parler aux médias à l'avenir.
Même les scientifiques qui avaient une grande visibilité avant la pandémie de Covid-19 ont déclaré dans l'article de Nature que ces excès constituaient un « phénomène nouveau et indésirable lié à la pandémie ».
Certains scientifiques ont rapporté anonymement qu'ils hésitaient à parler de certains sujets après avoir été témoins des messages choquants reçus par d'autres.
En France aussi
Cette enquête n’est pas sans rappeler que des agissements semblables ont eu lieu envers les médecins et scientifiques français. Plusieurs d’entre eux ont décidé, il y a un mois, de dénoncer publiquement la violence, les menaces de mort, la divulgation d’informations privées et les agressions physiques dont ils sont victimes depuis un an et demi en raison de leurs interventions sur le Covid-19 ». Dans le cadre d’une conférence intitulée « Halte à la haine », ils ont appelé une nouvelle fois le 7 septembre dernier les autorités de tutelle à réagir contre la multiplication des menaces à leur encontre. SL
Des résultats "choquants" nécessitant une action
Un éditorial de Nature qualifie les résultats de l'enquête de « choquants » et déclare que les institutions à tous les niveaux doivent faire davantage pour « protéger et défendre les scientifiques et condamner l'intimidation [2].
« L'intimidation est inacceptable à n'importe quelle échelle, et ces résultats devraient inquiéter tous ceux qui se soucient du bien-être des scientifiques. Un tel comportement risque également de décourager les chercheurs de contribuer au débat public - ce qui serait une perte énorme, compte tenu de leur expertise, pendant la pandémie », peut-on lire dans l'éditorial.
« Les scientifiques et les responsables de la santé devraient s'attendre à ce que leurs recherches soient remises en question et contestées, et devraient accueillir les commentaires critiques donnés de bonne foi. Mais les menaces de violence et les comportements abusifs en ligne extrêmes ne font rien pour encourager le débat – et risquent de saper la communication scientifique à un moment où cela n'a jamais eu autant d'importance de s’exprimer », conclut l'éditorial.
Un certain nombre de scientifiques ont appuyé les résultats de l'enquête de leurs témoignages dans une déclaration publiée par l'organisation à but non lucratif britannique, Science Media Center.
Risque de désengagement
« Il y a un vrai risque à ce que des scientifiques qui ont eux-mêmes été, ou ont eu des collègues qui ont été attaqués, décident de se désengager des médias. Ce serait triste et entraînerait un préjudice général », a averti Stephen Evans, chercheur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Un autre chercheur, Simon Clarke, docteur de l'Université de Reading, qui a répondu à l'enquête Nature, s'est dit « heureux de voir que tant de collègues scientifiques ont pris le temps de réfléchir à leurs expériences ».
Clarke a déclaré qu'il était « choqué et attristé d'apprendre que tant de collègues scientifiques ont subi des menaces de mort ou des menaces de violence physique ou sexuelle, simplement pour avoir fait leur travail en essayant de communiquer les faits scientifiques qui sont si importants pour la société pour à la fois comprendre et répondre à l’urgence sanitaire mondiale. »
Simon Clarke a déclaré que lui aussi avait eu de « mauvaises expériences après être apparu dans les médias, en particulier après avoir interpelé des théoriciens du complot et certains politiciens, qui semblent détester que leurs théories préférées soient démystifiées. J'ai parfois été menacé de diverses formes de mort, de violence et l'emprisonnement à vie. Par chance, j’ai eu la force d'ignorer les menaces que j'ai reçues, mais je sais que certains collègues ont vécu des expériences bien pires.
Michael Head, chercheur à l'Université de Southampton, a déclaré qu'il y avait eu « énormément de réactions très exagérées visant tous ceux qui ont contribué à la réponse à la pandémie, incluant aussi bien le personnel de première ligne du NHS, ainsi que des scientifiques et des universitaires fournissant des réflexions et des explications au grand public.
« J'ai moi-même subi de nombreuses violentes attaques tout au long de la pandémie. Pour ceux d'entre nous qui ont eu l’habitude de démonter les mécanismes de désinformation des anti-vaccins en des temps pré-pandémiques, la présence de ces tentatives d'intimidation est très lassante, mais pas très surprenante », a déclaré Michael Head.
« En tant que mâle universitaire blanc, j'imagine que je suis aussi beaucoup moins susceptible de subir des attaques qu'un scientifique faisant des réflexions similaires mais d'un groupe démographique différent », a-t-il déclaré.
Susan Michie, chercheuse à l'University College London, a, quant à elle, déclaré que les résultats [de l’enquête] sur le harcèlement et les attaques exagérées envers les scientifiques pendant la pandémie correspondent tout à fait à ce qu'elle et de nombreuses collègues britanniques – allant au-devant des médias – ont enduré.
« Les comportements abusifs en ligne ont lieu de façon plus prégnantes après les interventions médiatiques, et en particulier après ceux qui traitent des restrictions vis-à-vis des interactions sociales, du port des masques ou de la vaccination », a-t-elle déclaré.
« Ces comportements abusifs n’ont pas dissuadé de nombreuses collègues femmes que je connais de parler aux médias », a-t-elle déclaré. « Je pense que c'est parce qu'elles ont une carrière derrière elles et/ou sont courageuses et très engagées dans la vulgarisation scientifique ».
« Elles ont également mis en place divers réseaux pour se soutenir mutuellement. Cependant, je crains que cela décourage les scientifiques en début de carrière, en particulier les jeunes femmes et les jeunes femmes issues d'ethnies minoritaires, de parler aux médias », a-t-elle déclaré.
L’article a été publié sur Medscape.com sous le titre Many Scientists Face Serious Threats for Speaking About COVID: Survey . Traduit et complété par Stéphanie Lavaud.
Image de Une : Getty Images
Actualités Medscape © 2021 WebMD, LLC
Citer cet article: COVID : une enquête de la revue Nature révèle l’ampleur des menaces reçues par de nombreux scientifiques - Medscape - 20 oct 2021.
Commenter