France ― A l’occasion d’une session dédiée au cœur des femmes lors des journées francophones de radiologie (JFR) 2021, la Dr Stéphane Manzo-Silberman, cardiologue interventionnelle à l'Hôpital Lariboisière à Paris, a présenté les scores qui permettent d’évaluer, sans le minimiser, le risque cardiovasculaire des femmes. Plébiscitant l’utilisation du score calcique, la cardiologue a aussi suggéré de porter un intérêt particulier aux calcifications artérielles mammaires visibles sur les mammographies réalisées dans le cadre du dépistage du cancer du sein.
Plus d’hospitalisations pour infarctus du myocarde et AVC
Les maladies cardiovasculaires (MCV) sont devenues la première cause de décès chez la femme devant les pathologies néoplasiques, notamment devant le cancer du sein. « Certes, la mortalité de ces MCV a drastiquement diminué, reconnait la Dr Stéphane Manzo-Silberman, puisqu’en 15 ans, celle de l’infarctus du myocarde à 30 jours est passée de 15% à moins de 4%, mais les femmes continuent d’être impactées par un pronostic plus péjoratif. Lors d’une hospitalisation pour infarctus du myocarde, la mortalité hospitalière est multipliée d’un facteur 1,8. » Et il y a, en parallèle, une incidence augmentée des hospitalisations pour infarctus du myocarde et AVC, et une augmentation des facteurs de risque alimentant ces pathologies ».
« Il faut détecter précocement ces facteurs de risque, les traiter, les corriger et éviter l’évolution vers la MCV qu’elle soit ischémique, coronaire ou cérébrale afin de diminuer l’épidémie d’infarctus (IDM) et d’AVC, surtout chez les femmes d’âge moyen », considère la cardiologue.
Comment estimer le risque ?
« Pendant longtemps et encore aujourd’hui, on pensait les femmes épargnées par ces pathologies, protégées notamment par leurs hormones, notamment de l’athérosclérose – ce qui se vérifie dans les registres par une survenue plus tardive des IDM (en moyenne 10 ans plus tard) par rapport aux hommes, explique l’oratrice. Mais cette protection hormonale oestrogéniques aujourd’hui ne fait plus le poids face à l’émergence des facteurs de risque actuels comme le tabac ou l’obésité ».
D’où l’importance d’estimer le risque cardiovasculaire des femmes et de le classer en différentes catégories (bas, intermédiaire, haut) de façon à introduire une thérapie préventive si nécessaire.
« Mais attention, estimer le risque n’est pas dépister la maladie cardiovasculaire. L’idée est de se situer très en amont, chez la patiente asymptomatique, pour déterminer les stratégies les plus adaptées », explique l’oratrice.
Pour cela, les cardiologues disposent de scores de risque comme le score de Framingham, historique, car établi il y a plus de 40 ans. Mais il montre clairement des limites, considère la cardiologue, car lorsque l’on compare la mortalité entre hommes et femmes pour des groupes qui étaient considérés comme à risque bas à intermédiaire, on se rend compte que le score de Framingham n’est pas adapté à la population féminine avec une sous-estimation très importante du risque chez la femme.
« L’Europe dispose, elle, du score SCORE mais là-encore, on a des seuils extrêmement tardifs sur des critères, là aussi, très limités (pression artérielle, statut tabagique et cholestérol total). Cet été, a eu lieu la publication d’un SCORE2 en fonction des régions, mais, là encore, le nombre de femmes était extrêmement réduit et seuls les paramètres que nous connaissons déjà pour leur impact sur le risque cardiovasculaire ont été pris en compte pour établir ces scores ».
Des scores peu adaptés aux femmes
La cardiologue a cité la tentative dans les années 2000 d’adapter le score de risque de façon à le rendre un peu plus fiable, en tenant compte de l’hérédité et des facteurs d’inflammation avec la CRP hypersensible – dont les taux chez la femme sont plus élevés, plus précocement – au travers du Reynold Risk Score .
Un mieux, même si ce score est encore loin d’être parfait comme le montre ce cas clinique, évoqué par la Dr Manzo-Silberman d’une patiente de 50 ans vue en consultation pour un bilan CV avant reprise du sport. L’utilisation des scores a montré que l’échelle de risque de Framingham évaluait le risque d’infarctus du myocarde ou de décès CV à 10 ans de cette femme diagnostiquée récemment pour un diabète à 4,8%, tandis que le score de Reynold le hissait à 22,8%. « Ce qui montre la sous-évaluation et peut expliquer la survenue d’accidents coronaires que les scores de risque ne prédisaient absolument pas », considère l’oratrice.
« Les scores utilisent généralement la pression artérielle et le cholestérol total – alors que nous lui préférons aujourd’hui le LDL – alors pourquoi continuer avec ces scores, s’interroge la cardiologue, et ce, d’autant plus qu’ont émergés d’autres facteurs de risque ? Nous savons maintenant que la femme, du fait de sa vie hormonale, obstétricale, est exposée à des facteurs qui vont impacter le métabolisme des lipides, l’évolution de sa paroi artérielle comme les complications de grossesse, le syndrome des ovaires polykystiques, les traitements hormonaux, notamment la contraception combinée et des spécificités féminines. Dans les maladies inflammatoires, rhumatismales et auto-immunes, on assiste à une sur-représentation des MCV, car l’inflammation chronique les expose à une athérosclérose accélérée extrêmement préoccupante », liste-t-elle.
L’intérêt du score calcique
Compte-tenu de tous ces éléments, comment faire pour estimer le risque ? Pour la cardiologue, le score calcique est un excellent moyen d’affiner l’estimation du risque CV. Il est un indicateur d’initiation de thérapeutiques préventives anti-agrégantes et à base de statines. En effet, c’est un intégrateur métabolique inflammatoire extrêmement prédictif de l’évolutivité de la paroi artérielle, et c’est exactement ce que l’on cherche à connaitre.
L’apparition des calcifications coronaires diffère en fonction du sexe, plus précoce, aux alentours de 35 ans chez l’homme, et de 45 ans chez la femme.
Cet examen peu irradiant, sans iode, permet une estimation extrêmement rapide et il va permettre par la détermination du nombre de vaisseaux impactés et par l’intensité de cette atteinte d’établir une caractérisation plus fine en 5 groupes.
Un score nul (CS = 0) est indicateur d’un risque bas. « Il va permettre de rassurer les patientes, ne va pas impliquer de modifications majeures, et surtout pas d’explorations ultérieures ».
Un risque bas à modéré (10<CS<100) n’entraine pas d’explorations – il s’agit de patientes totalement asymptomatiques sans antécédents avérés cliniques – mais éventuellement un antiplaquettaire.
En cas de risque haut (100<CS<300), « on démarre des thérapeutiques de prévention, de type antiplaquettaire, avec une adaptation de la cible de LDL ».
Avec un score élevé (CAC > 300), il convient de mettre en place un traitement et des explorations afin, non plus d’estimer un risque, mais de dépister l’atteinte coronaire.
Chez la femme, le score calcique est encore plus important dans sa capacité à évaluer le risque. Chez des femmes que l’on pensait peu exposées, des méta-analyses ont montré que plus d’un tiers avait un score calcique non nul. La mortalité à 15 ans est estimée à moins de 5% en cas de score calcique nul, en revanche, à plus de 400, la mortalité est estimée à 23%, sans aucune intervention.
Il est donc temps d’agir, car ces calcifications coronaires sont encore plus péjoratives chez la femme que chez l’homme. A score calcique égal, la femme va présenter un taux d’événements plus important dès que le score calcique n’est plus nul.
Nécessaire collaboration
Comment aller chercher les autres calcifications ? « Les mammographies réalisées et répétées dans le cadre du dépistage du cancer du sein montrent que les calcifications artérielles mammaires pourraient avoir une valeur prédictive extrêmement intéressante, en ce qu’elles pourraient être, à l’instar des calcifications coronaires, un révélateur du risque cardio-métabolique », avance le Dr Manzo-Silberman.
« Nous disposons à l’heure actuelle des outils pour une stratégie de prévention adaptée, à nous de collaborer étroitement entre gynécologues, radiologues et cardiologues pour contrôler et corriger ces facteurs de risque accessibles et évitables, et prévenir ainsi la survenue des pathologies CV – même si on sait très bien les soigner actuellement.
Un bus contre les maladies cardio-vasculaires des femmes
Le Bus du Cœur a été lancé à Lille le 29 septembre, lors de la Journée Mondiale du Cœur pour offrir un dépistage des maladies cardio-vasculaires aux femmes en situation de précarité et des conseils de prévention à toutes les autres. Il est placé sous la houlette du fonds Agir pour le Cœur des Femmes – co-fondé par le Pr Claire Mounier-Véhier – qui s’est fixé comme objectif de sauver 10 000 femmes en 5 ans, notamment grâce à ce bus (voir la vidéo sur YouTube). « Les femmes, particulièrement celles en situation de précarité, ne s’écoutent pas, se déprécient, se négligent, manquent d’informations, n’ont pas accès à la médecine spécialisée… Sous dépistées, sous traitées, insuffisamment suivies voire pas du tout, elles sont à haut risque cardio-vasculaire. Elles ont aussi un sur risque de récidive et de mortalité après un 1er accident cardio-vasculaire », explique la cardiologue et médecin vasculaire du CHU de Lille. Un bus équipé permettra aux professionnels de santé de dépister les maladies cardio-vasculaires ; « de donner des conseils de prévention, de gestion du stress, d’alimentation, de sommeil, d’activité physique et aussi de proposer à ces femmes un suivi coordonné, en partenariat avec les acteurs locaux », précise Thierry Drilhon, administrateur et dirigeant d’entreprises, cofondateur d’Agir pour le Cœur des Femmes. Après Lille, Marseille et Avignon, le bus passera par La Rochelle (27 au 29 octobre) et Saint-Etienne (3 au 5 novembre). Mais le périple ne s’arrête pas là, l'objectif pour le fonds de dotation Agir pour le Cœur des Femmes est d'aller dans 20 villes en 2022 et 40 en 2023.

L’oratrice a déclaré : - contrats de recherche : Abiomed, consultant : AstraZeneca, communication : Biopharma, Biotronik |
Photo de Une : Getty Images
Photo intérieure : Agir pour le coeur des femmes
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Citer cet article: Cœur des femmes : le score calcique est un excellent moyen d’estimer le risque CV - Medscape - 19 oct 2021.
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