France – Si la téléconsultation a gagné des adeptes pendant la crise du coronavirus, les bornes et cabines de téléconsultation qui poussent ces derniers mois comme des champignons dans les centres commerciaux, les entreprises mais aussi les pharmacies, inquiètent les médecins. Ces derniers les perçoivent davantage comme une source de dérégulation du système de santé qu’une solution à la désertification médicale.
L’argument de la désertification médicale
Il est désormais plus facile de trouver une cabine de téléconsultation qu’une cabine téléphonique en France. Depuis l’ouverture en janvier 2014 de la première « Consult’Station » dans une résidence senior de Cluny (71), en Bourgogne, les bornes et cabines de téléconsultation ont considérablement gagné du terrain. Le principal acteur du marché, Medadom, revendique à lui seul plus de 1 300 bornes et cabines installées par ses soins sur l’ensemble du territoire. Certains de ces « cabinets » d’un nouveau genre ont été mis disposition par des collectivités publiques pour faire face à la désertification médicale. En 2020, l’Ain (01) a ainsi été le premier département de France à proposer 4 cabines de téléconsultation de la société H4D dans les communes de Montréal-la-Cluse, Brion, Béard-Géovreissiat, Nurieux-Volognat et Port. Les bornes et cabines de téléconsultation ont également fait leur entrée dans les entreprises sous l’impulsion de plusieurs fabricants (H4D, Tessan et BodyO).
Un commerce comme un autre ?
En avril dernier, de premières cabines de la société Tessan installées dans des centres commerciaux à Paris (75) et Troyes (10) avaient déjà fait parler d’elles. L’Ordre des médecins avait poussé un coup de sang, à l’époque, arguant que la médecine ne devait « pas être pratiquée comme un commerce ». Las. Six enseignes de Monoprix disposent aujourd’hui d’une cabine de téléconsultation (une seconde à Paris, mais aussi à Colombes, Croisé-Laroche et Annecy). Monoprix a beau assurer à 20 Minutes que « ce service de télémédecine n’a pas vocation à se substituer à une consultation présentielle ou à promouvoir un modèle unique dans l’exercice de l’art médical », les médecins montrent les dents.
Le président d’honneur de la Fédération des médecins de France (FMF), le Dr Jean-Paul Hamon, n’a pas caché son agacement sur Twitter, lorsqu’en poussant son caddie, il est tombé sur la cabine d’un magasin de Malakoff (92).
« La téléconsultation peut rendre des services, mais ces télécabines, accessibles avec une carte Vitale, sont une dérive incontestable, elles contournent le parcours de soins et participent à la dérégulation du système de santé et à la dégradation de la qualité de prise en charge des patients », affirme le généraliste clamartois à Medscape France. Il cite l’exemple d’un patient vu à son cabinet huit jours après une téléconsultation dans une de ces cabines, « il toussait et avait été mis sous antibio et cortisone sans examen clinique », peste le Dr Hamon.
« Sous-médecine »
Il y a quelques jours, le Dr Sylvaine Le Liboux, généraliste à Valençay (Indre, 36), avait fermé son cabinet et entamé une grève après avoir appris le projet d’une cabine de téléconsultation à l’initiative de sa communauté de communes et de la sécurité sociale agricole (MSA) dans un local de France Services. Devant le tollé suscité par cette expérimentation lancée sans concertation avec le corps médical, les promoteurs de cette initiative l’ont immédiatement suspendue. La généraliste, par ailleurs secrétaire nationale des Généralistes-CSMF et présidente de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du Boischaut Nord dont la mission est d’organiser l’accès aux soins sur le territoire, n’a pas mâché ses mots contre les cabines de téléconsultation, taxées d’être de la « sous-médecine ».
300 000 téléconsultations en officine via Medadom
Mais l’endroit où les bornes et cabines de téléconsultation sont le plus implantées sont les pharmacies, qui peuvent encadrer des actes médicaux à distance depuis l’avenant 15 de la convention pharmaceutique approuvé le 17 août 2019. Leader sur le marché, l’entreprise Medadom revendique avoir équipé plus de 1 000 pharmacies au sein desquelles ont été réalisées 300 000 consultations à distance. « Nous louons le matériel aux pharmacies autour de 200 euros par mois pour une borne (sur 36 mois) et 390 euros par mois pour une cabine sur 48 mois », explique à Medscape France Nathaniel Bern, cofondateur et directeur technique (CTO) de Medadom. L’installation de bornes ou de cabines ne nécessite pas d’autorisation particulière. « Il s’agit de dispositifs médicaux qui permettent d’accéder à un médecin, précise M. Bern. Les seules contraintes sont de respecter les règles fixées par l’avenant 6 de la convention médicale et l’avenant 15 de la convention pharmaceutique. » Ce dernier texte prévoit que pour faire des téléconsultations, le pharmacien doit « disposer d’un espace permettant de préserver la confidentialité des échanges » et avoir « des équipements nécessaires à la vidéotransmission, à la bonne installation des patients et à la réalisation de certains actes pour un éventuel examen clinique (tensiomètre, oxymètre, stéthoscope et otoscope connectés). » Des équipements que proposent les bornes et cabines.
« Nombreuses remontées négatives » au Cnom
Deux ans après l’entrée en vigueur du dispositif, où en est-on ? Preuve que la situation n’est pas spécialement sous contrôle, l’Assurance-maladie reconnaît « ne pas disposer à ce jour des données exhaustives sur l’intégralité de l’offre de soins en matière de télécabines » ajoutant que « des travaux sont en cours avec le ministère de la Santé afin de mieux définir et identifier cette offre de soin. »
Selon Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), la crise du Covid-19 n’a pas permis d’établir un bilan de la téléconsultation en officine mais le sujet devra être mis sur la table avant la discussion de la prochaine convention, pour évoquer notamment la sécurisation des prescriptions réalisées pendant les téléconsultations.
Contacté par Medscape France, l’Ordre des médecins reconnaît avoir enregistré « de nombreuses remontées négatives du terrain » de la part de praticiens. Ces derniers reprochent notamment à des pharmacies de faire la publicité d’un rendez-vous par téléconsultation en moins de 10 minutes, ou de récupérer directement les ordonnances transmises dans leur officine (pratique assimilée à du compérage). Ces griefs ont été transmis aux conseils régionaux et national de l’Ordre des pharmaciens. Sollicité, le Cnop n’avait pas répondu mercredi. « Nous avons réaffirmé en session, la semaine dernière, que la téléconsultation devait s’appuyer sur le parcours de soins, autour du médecin traitant », explique le Dr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique à l'Ordre des médecins. Le Cnom a fait part de ses réserves au ministère de la Santé sur les bornes. L’éclosion rapide de ces nouveaux dispositifs dans les officines est observée attentivement par le syndicat de généralistes MG France. « Il y a de fortes pressions des fabricants pour placer leur matériel auprès des pharmaciens et des patients pour accéder à des soins », analyse son président le Dr Jacques Battistoni. Nous craignons bien sûr des dérives mais l’avenant 6 prévoit des garde-fous ; le remboursement des téléconsultations n’est assuré que si ces actes respectent le parcours de soins. »
Plébiscite des patients
Nathaniel Bern comprend mal les attaques dont ses cabines font l’objet de la part de médecins. « Il y a toujours des personnes qui freinent le progrès, s’agace-t-il. Nous n’entendons pas nous substituer aux offres de soins locales. Nos bornes ne remplaceront jamais les médecins, elles constituent une alternative ; un accès aux soins additionnel. » Environ 150 médecins inscrits à l’Ordre et exerçant une activité en présentiel dans un centre de santé en parallèle, interviennent pendant les téléconsultations. « Notre offre de valeur est de proposer un médecin en moins de 10 minutes pendant l’ouverture de notre service entre 8h et 22h », affirme Nathaniel Bern.
L’accusation de compérage n’est selon lui pas justifiée car le pharmacien qui accueille la téléconsultation ne sait pas avec quel praticien il travaillera.
Quant aux critiques sur la supposée inadéquation des soins, le dirigeant de la start-up les balaie d’un revers de main, affirmant que les bornes permettent de résoudre plus de 90% des cas de soins non programmés et aboutissent à un conseil ou à une ordonnance.
Les patients, eux, semblent en tout cas satisfaits des prestations des bornes. Les 18 000 personnes qui ont émis un avis sur la page Google de la société lui ont donné la note de 4,9/5, saluant la facilité d’utilisation, la rapidité de la prise de rendez-vous et l’efficacité de la téléconsultation…
Les bornes de téléconsultation n’énervent pas que les médecins. Farouche opposant aux téléconsultations réalisées en officine, Issam B., pharmacien à Paris, veut « abattre le système » mis en place. Il a déposé plainte contre M. X, pharmacien exerçant à proximité et qui a installé une borne de téléconsultation. Selon la plainte ordinale dont Medscape France a pris connaissance, Issam B. reproche à son confrère de faire de la publicité et, en définitive, de « concevoir ce service comme une sorte de produit d’appel pour le développement du chiffre d’affaires de son officine ». Selon le plaignant, « la publicité donnée par M. X à son offre de téléconsultation, notamment sur les pages publiques des réseaux sociaux et sur la devanture de son officine, est de nature, non seulement à détourner la patientèle des médecins du quartier mais également à détourner la clientèle des autres pharmacies du secteur. » Citant l’article R. 4235-66 du code de la santé publique, selon lequel « aucune consultation médicale (…) ne peut être donnée dans l’officine », le pharmacien parisien réclame purement et simplement l’interdiction de la téléconsultation en officine. Une interdiction qui permettrait de « limiter le risque de compérage avec le médecin qui délivrerait une consultation depuis l’officine et, d’autre part, de garantir la liberté de choix du pharmacien par la clientèle. »
Crédit photo de Une : Medadom
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Citer cet article: Cabines de télémédecine : quand la téléconsultation dépasse les bornes - Medscape - 14 oct 2021.
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