Lames de laryngoscopes et tenues de bloc : les anesthésistes de la Sfar prônent la réduction des déchets

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

15 octobre 2021

France – Pionniers de l’écoconception des soins, les anesthésistes-réanimateurs français veulent passer la vitesse supérieure. Après avoir diminué drastiquement l’usage de gaz anesthésiques polluants, ils prônent le recours à du matériel réutilisable pour les lames de laryngoscopes et les tenues de bloc.

Réduire l’impact environnemental de l’activité de soins 

Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas. Quatre ans après la publication d’un guide pratique du développement durable au bloc opératoire, la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) et le comité pour le développement durable en santé (C2DS) n’entendent pas s’endormir sur leurs lauriers. Au terme du congrès annuel de leur société savante (23 au 25 septembre) et de la semaine européenne du développement durable (27 septembre au 1er octobre), les anesthésistes-réanimateurs ont présenté un premier bilan des mesures entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique et détaillé les actions qui pourraient être mises en place pour réduire la quantité de déchets produits dans les blocs opératoires.

« Nous cherchons tous à mettre en œuvre des stratégies qui réduisent l’impact environnemental de notre activité de soins », explique le Dr El Mahdi Hafiani, médecin anesthésiste à l’hôpital Tenon (AP-HP) et président du comité de développement durable de la SFAR. Le contexte est favorable, la profession aspirant à la décarbonation de l’hôpital.

Les gaz anesthésiques ont presque fait pschitt

Depuis quelques années, les blocs ont considérablement réduit l’utilisation des gaz d’anesthésie, puissants gaz à effet de serre, peu métabolisés par les patients et rejetés dans l’atmosphère. « Ces gaz contribuent fortement au réchauffement climatique avec un potentiel de réchauffement global très élevé, observe le Dr Jean-Claude Pauchard, anesthésiste-réanimateur à Biarritz. Alors que l’indice du Co2 est à 1, le sévoflurane est et le desflurane sont respectivement 130 et 2 540 fois plus polluants. » La Sfar, qui prépare des référentiels sur le bon usage des gaz anesthésiques (indications, dosage…) attendus pour septembre 2022, recommande déjà quelques gestes simples à adopter : « Le premier est de fermer le robinet et de moins consommer, poursuit le Dr Pauchard. On est passé à un litre par minute, ce qui permet de réduire par 2, 3 ou 5 la consommation de ces gaz et le rejet dans l’atmosphère. » L’administration de ces gaz a aussi été automatisé, ce qui a permis de réduire sa consommation.

Le recours aux gaz anesthésiques a considérablement diminué. « A l’hôpital Tenon, la consommation des gaz halogénés a été fortement réduite entre 2014 et 2020 qu’il s’agisse du desflurane, le plus polluant, ou du sévoflurane, explique le Dr El Mahdi Hafiani. Au total, les émissions de gaz à effet de serre annuelles cumulés des gaz anesthésiques de l’établissement sont passés de 906 tonnes équivalents de CO2 en 2014 à 18,3 tonnes en 2020 ! « Tout cela grâce à des mesures très simples, précise l’anesthésiste parisien. Supprimer le desflurane a permis de réduire de 89 % les émissions de GES liées aux vapeurs anesthésiques. »

 
Le recours aux gaz anesthésiques a considérablement diminué.
 

Le CH Métropole Savoie a supprimé le desflurane des 21 salles de bloc de l’hôpital. A Bordeaux, la consommation des gaz anesthésiants a été réduit de 36 % en un an. A Monaco, la réduction des débits et le choix des gaz les moins polluants ont permis une économie de 68 000 euros en un an et demi.

Ces résultats, souligne la Sfar, ont été obtenus sans contrainte mais grâce à la sensibilisation des professionnels. Cette réduction des gaz est d’autant plus souhaitable que le système de récupération des gaz expirés, s’il a été mis en place dans certaines cliniques au Canada, reste balbutiant en France.

Pluie de lames

A côté de la diminution des gaz anesthésiques, la réduction des déchets dans les blocs demeure une priorité. L’un des principaux enjeux concerne le moindre recours à des matériels ou dispositifs médicaux à usage unique, à l’instar des lames de laryngoscope utilisées lors des intubations orotrachéales.

« Ces lames sont devenues à usage unique depuis la crise de la vache folle en Europe, explique le Dr Laure Bonnet, médecin anesthésiste au CH de Monaco. La crainte était un risque théorique de contamination entre patients en cas de nettoyage non conforme. Or, en vingt ans de recul, nous n’avons jamais mis en évidence des contaminations de ce type. Et la maladie de Creutzfeldt Jakob est rarissime aujourd’hui. »

L’utilisation de ces lames de laryngoscope jetables, souvent en métal, est loin d’être neutre. « Fabriquées au Pakistan et aux USA, elles sont transportées par bateau et acheminées par camion, poursuit le Dr Bonnet. On utilise ces lames quelques minutes en moyenne et on les jette. Et pour être détruite, elles devront être chauffées à 850°C. » Une étude scientifique menée en Australie en 2017 sur l’impact environnemental et financier a démontré clairement que l’empreinte carbone était largement en faveur des lames réutilisables, que les blocs sont parfaitement en droit d’utiliser [1].

Garanties 10 ans, les lames réutilisables permettent au bas mot d’économiser 1250 lames jetables. Leur recours a permis de diminuer de 275 kilos l’an dernier le poids des déchets à Monaco. « Remettre en place une organisation de stérilisation peut demander un investissement financier de départ conséquent mais il sera compensé au fil du temps », observe le Dr Bonnet.

 
Remettre en place une organisation de stérilisation peut demander un investissement financier de départ conséquent mais il sera compensé au fil du temps. Dr Laure Bonnet
 

Anesthésiste-réanimatrice au CHU de Strasbourg, le Dr Juliette Marcantoni, indique que son hôpital a participé à une étude médico-économique et constaté que le tri des lames de laryngoscope à usage unique dans 9 salles de bloc avait permis en un an de récupérer 276 kg de ces lames ainsi que le cuivre des fils de bistouris des chirurgiens et les emballages des fils de suture. Au final, cette opération n’a permis de réaliser d’économies ! « Cela va donc nous inciter à demander à nos chefs de service en réanimation de repenser à un retour des laryngoscopes à usage multiple », clame le Dr Marcantoni.

Ne plus jeter, réutiliser

Le recyclage ayant ces limites, la réflexion porte désormais clairement sur la réduction de la production des déchets. « Le meilleur moyen d’agir est de ne pas produire ces déchets, analyse le Dr Jérémie Garnier, anesthésiste-réanimateur au CHU d’Amiens. Il faut que nous arrivions à faire en sorte que davantage de matériel soit désormais réutilisable et non plus à usage unique. » Le Dr Garnier cite l’exemple des masques laryngés en plastique, fabriqués en Chine et jetés immédiatement après usage, alors qu’un masque nettoyé, il pourrait être utilisé au moins 200 fois.

 
Il faut que nous arrivions à faire en sorte que davantage de matériel soit désormais réutilisable et non plus à usage unique. Dr Jérémie Garnier
 

« Les industriels se sont engouffrés dans le matériel à usage unique car c’est une bonne source de revenus pour eux », déplore le Dr Bonnet. Or, si la réglementation autorise l’usage de masques laryngés réutilisables, il n’y en a malheureusement plus sur le marché. « Il faudra que les industriels se repenchent sur cette question et nous aident », analyse l’anesthésiste monégasque.

Une recommandation de bonne tenue

Une autre voie d’amélioration concerne les tenues de bloc opératoire. Aujourd’hui essentiellement à usage unique issues du pétrole, ces tenues sont jetées après avoir été portées une fois. « Les tenues à usage multiple ont un impact écologique bien moindre. En France, il y a environ 11 millions d’anesthésies par an. Cela fait beaucoup de tenues ! », observe le Dr Juliette Marcantoni.

L’enjeu est de taille. « Si on limite l’usage de la tenue réutilisable entre 70 et 100 usages, en la comparant à 100 tenues à usage unique, on gagne 300 % d’eau, 750 % en produits polluants à cause des teintures », explique le Dr El Mahdi Hafiani selon qui le coût n’est plus un réel sujet. « Depuis le Covid, une tenue à usage unique coûte 2,90 euros hors taxe. Une tenue réutilisable coûte 4,49 euros avec 39 centimes par lavage. Vous imaginez le gain financier et environnemental à passer aux tenues réutilisables et le confort pour le soignant est incomparable. »

 
Si on limite l’usage de la tenue réutilisable entre 70 et 100 usages, en la comparant à 100 tenues à usage unique, on gagne 300 % d’eau, 750 % en produits polluants à cause des teintures. Dr El Mahdi Hafiani
 

Dans une recommandation de pratiques professionnelles sur la tenue vestimentaire au bloc opératoire, la Sfar et le SF2H Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) ont observé que sur le plan infectieux, il n’y a pas plus de risque en utilisant une tenue réutilisable par rapport à une tenue à usage unique. En revanche, il y a un réel bénéfice sur le plan financier et environnemental pour une tenue réutilisable.

 

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