Violences sexuelles sur les enfants : comment agir ?

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

13 octobre 2021

La Défense, France – A l'occasion des Journées nationales de médecine générale (JNMG 2021), une session a été consacrée à des crimes fréquents mais encore trop peu signalés par les médecins : les violences sexuelles sur les enfants et l'inceste. Experte auprès de la Cour d'appel de Paris et membre de la récente commission inceste (CIIVISE), la Dr Caroline Rey-Salmon (pédiatre, médecin légiste, Urgences médico-judiciaires (UMJ)  Hôtel Dieu, Paris) a fait un exposé didactique pour sensibiliser les médecins généralistes, les aider à repérer les signes et à signaler ces maltraitances. Elle a rappelé la marge de progression absolument considérable des médecins qui sont aujourd'hui à l'origine moins de 5 % des signalements.

Quelle est la réalité de l'inceste aujourd'hui ?

« Il y a un paradoxe : en théorie il y a une interdiction de l'inceste mais en même temps c'est une pratique généralisée », déplore Caroline Rey-Salmon. De fait, on estime qu'il y a 10 % de victimes d'inceste dans tous les pays du monde, dans toutes les couches sociales. Concernant les violences sexuelles sur mineur plus généralement, elles sont le fait quasiment systématiquement d'un homme et l'auteur est connu de sa victime dans plus de deux tiers des cas.  La spécialiste rappelle la difficulté des médecins à poser des questions lorsque la patientèle est issue du même milieu socio-économique qu'eux, ce qui d'après elle, expliquerait la moindre divulgation des faits de violence sexuelle dans les milieux favorisés.

 
Il y a un paradoxe : en théorie il y a une interdiction de l'inceste mais en même temps c'est une pratique généralisée. Dr Caroline Rey-Salmon
 

« La majorité des viols et des tentatives de viol surviennent au cours de la minorité.  Les violences sexuelles ont commencé pendant la minorité pour 75 % des hommes abusés sexuellement, » indique-t-elle, citant l'enquête nationale Virage de 2015 dont les résultats ont été publiés en 2020.

Pourquoi imagine-t-on qu'il s'agit d'un phénomène rare ? Caroline Rey-Salmon avance deux raisons : d'abord, les violences sexuelles sur enfant ne correspondent pas à l'image du viol véhiculée par le cinéma ou la littérature.  Comme l'abuseur est connu dans plus de 80 % des cas, « il va réussir à avoir des rapports sexuels complets avec l'enfant sans la contrainte qu'on imagine dans le viol. Cela nous fait penser que ce n'est pas vraiment un viol », explique-t-elle.

La deuxième raison repose sur l'histoire personnelle de chacun. « Notre apprentissage de la sexualité, lui-même ne repose pas toujours des relations vraiment désirées, réussies, heureuses... Du coup, on ne pense pas l'inceste comme un traumatisme», analyse-t-elle. Le fait d'être tous imprégnés de la contrainte sexuelle rendrait invisibles les violences domestiques.

Enfin, comme « l'incesteur donne des règles très strictes de silence et de domination », la révélation des situations de violence sexuelle est très difficile pour les enfants. « Plus les victimes sont proches des auteurs, moins les faits sont divulgués», insiste-t-elle.

Quelles sont les conséquences ?

Les conséquences des violences sexuelles dépassent largement la sphère de la sexualité et de la reproduction :  plus de MCV, diabète, AVC, asthme et maladies chroniques en général.

De même , il y a des conséquences sur le développement cognitif de l'enfant (mémoire, capacité de jugement et de raisonnement) et des conséquences psychiques et sociales (dépression, anxiété, fugue, tentative de suicide). « Face à la fugue ou une tentative de suicide, il faut toujours s'interroger sur les violences sexuelles », conseille la Dr Rey-Salmon qui rappelle que les conséquences ne sont pas irréversibles et dépendent essentiellement du caractère chronique et répété des violences plus que du type de violence. Elle souligne l'importance d'un environnement sécurisant, sans lequel les accompagnements psychosociaux ne peuvent pas avoir d'effet.

Quels sont les signes d'appel ?

La révélation spontanée est le meilleur indicateur de violences sexuelles, d'autant plus que l'enfant n'est pas interrogé sur le sujet. Mais l'enfant peut aussi « dire sans dire » par des comportements qui posent question et que le médecin va devoir décoder :  chute des résultats scolaires ou hyperinvestissement scolaire, anorexie ou obésité, insomnie ou hypersomnie, ne plus se laver ou rites obsessionnels de lavage, par exemple. « Comme les signes peuvent être tout et son contraire, ce qui doit nous alerter, c'est le changement chez l'enfant et l'adolescent. Par exemple, un enfant introverti qui commence à faire pleins de bêtises à l'école ou un enfant habituellement agité qui d'un coup se renferme », considère la pédiatre.

Les comportements sexuels inappropriés sont aussi des signes d'appel. « Entre deux et cinq ans, les enfants peuvent de façon tout à fait normal essayer de voir le sexe de leurs parents, frères et sœurs. Ils peuvent aussi avoir des gestes de masturbation », poursuit-elle « En revanche, ce qui doit attirer l'attention, ce sont des enfants qui imitent des mouvements sexuels, embrassent et veulent mettre la langue dans la bouche, qui essayent de s'insérer des objets dans les parties génitales », détaille-t-elle.

Enfin, derniers signes d'appel : la découverte d'une grossesse chez les très jeunes adolescentes ou d'une MST. Découvertes après l'âge d'un an, le gonocoque et la syphilis sont quasiment systématiquement associées à des violences sexuelles.

De la sidération des deux côtés

Du côté de la jeune victime, outre l'effroi et la sidération, la dissociation est caractéristique des violences sexuelles. Elle donne l'impression que la victime a très peu d'affect. «  La dissociation, c'est le visage clinique du viol et de l'inceste. Elle permet à la victime de se mettre à distance à chaque agression », explique Dr Rey-Salmon.

« Il y a des professionnels complètement sidérés qui sont dans le déni, incapablesd'accueillir cette parole qui est impossible à entendre. Certains banalisent, minimisent car ils ne savent pas quoi faire. »

Face à la présence de signes d'appel, il faut raisonnablement interroger les enfants : il n'y a pas de questions choquantes tant qu'elles sont posées avec tact et dans le respect de l'enfant. « Moi, je fais ça souvent de façon indirecte », indique la Dr Caroline Rey-Salmon qui ainsi évite d'être trop intrusive. Elle dit par exemple : « J'ai déjà rencontré des adolescents qui avaient fait des tentatives de suicide comme toi et qui m'ont dit qu'ils avaient été victimes de violence ».

« Le jeune ne va pas forcément vous répondre tout de suite mais par la question que vous avez posée, il sait que vous êtes ouvert là-dessus. Il ne l'oubliera pas et peut-être qu'à un moment donné il viendra vous voir », constate-t-elle.

Comment réagir lors de la consultation ?  

« Si vous n 'êtes pas spécialisé, ne vous lancez pas dans un examen médical. Il y a les légistes qui sont spécialisés. Il y a toute une clinique de l'agression sexuelle », explique la Dr Rey-Salmon.

Si l'agression date de moins de trois jours, il s'agit d'une urgence médicolégale car des lésions peuvent être encore présentes et des prélèvements peuvent être effectués. En revanche, la situation la plus fréquente est la révélation de faits anciens. S'il n'y a pas d'urgence à réaliser l'examen médicolégal, celui-ci devra tout de même être fait. D'abord, il est possible d'identifier des cicatrices d'anciennes lésions. « Mais surtout, et c'est la raison la plus importante, cet examen a une valeur de réassurrance très importante pour l'enfant et sa famille. A cette occasion, il pourra leur être dit que les pratiques sexuelles imposées à l'enfant n'ont pas eu de conséquences physiques sur sa capacité de reproduction. »

« En tant que médecin généraliste, vous pouvez faire un examen somatique général qui révélera peut-être avec des signes indirects de violences sexuelles (morsure, ecchymose sur la face interne des cuisses). Il ne faut pas faire d'examen gynécologique. S'il y a des saignements, il faut envoyer l'enfant à l'hôpital » précise-t-elle.

Lors de l'entretien avec l'enfant, la Dr Rey-Salmon conseille de recueillir les informations utiles pour le signalement :

* date, heure, lieu et circonstances : agression récente ou ancienne ? où s'est-elle produite ?

* la nature de l'agression : attouchements ? Pénétration ? Menaces ?

* Lien entre la victime et l'auteur : si l'agresseur et l'enfant vivent-ils sous le même toit, il s'agit d'une urgence.

Le signalement : quelle conduite à tenir ?

Que faire en cas de suspicion de violence sexuelle sur un mineur en tant que médecin non judiciaire ? «Nous avons une double obligation déontologique et légale de protéger les mineurs. En matière sexuelle, il n'y a qu'une voie : le Procureur de la République qui peut prendre toutes les mesures nécessaires, y compris coercitives pour protéger l'enfant. Il peut prononcer une ordonnance de placement provisoire (OPP), aller chercher le mineur à l'école, dans un lieu où il a trouvé refuge, etc... », explique-t-elle insistant sur la nécessité d'agir même face à une suspicion.

Document écrit qu'il est possible d'envoyer par mail, le signalement n'est pas formaté. Voici les éléments que la spécialiste conseille d'indiquer :

  • nom, qualité, adresse du rédacteur

  • renseignements administratifs sur la famille (adresse, composition, âges...)

  • circonstances dans lesquelles le médecin a reçu le mineur

  • déclarations du mineur

  • examen somatique général

  • vous pouvez demander à être informé des suites données au signalement

  • date et signature

« Comme vous faites un signalement, on viendra vous interroger. Sur le procès-verbal, vous pourrez préciser ce que vous a dit l'enfant. Je vous conseille de ne pas mettre le nom de l'agresseur sur le signalement, comme vous ne devez pas le faire sur un certificat médical », explique Caroline Rey-Salmon.

Autres conseils pratiques :

  • Téléphoner au commissariat ou à la brigade de gendarmerie si le tribunal est fermé. « vous dites que vous avez besoin de contacter le procureur de la République car vous avez une situation urgente d'un mineur en danger. Vous laissez votre numéro, le procureur de permanence va vous rappeler. »

  • ne pas répondre aux enquêteurs par téléphone.  « Aux Assises on peut vous demander des justifications sur des propos dont vous ne vous souvenez pas », explique Caroline Rey-Salmon.

  • Relire le procès-verbal et le faire corriger si besoin

Quid du secret professionnel ?

Il y a des dispositions qui permettent de révéler les faits. L'article 226-13 du Code Pénal concerne le secret professionnel, l'article 226-14 du Code Pénal liste les exceptions au secret professionnel. Il y a des dérogations facultatives au secret professionnel notamment « en cas de privations, ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou de mutilations sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur (moins de 18 ans) ou à une personne qui n'est pas capable de se protéger en raison de son âge, de son état physique ou psychique ». L'accord du mineur n'est pas nécessaire et la responsabilité civile, pénale et disciplinaire devant le CNOM du médecin ne peut pas être engagée.

« La limite de se taire est la non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code Pénal) », rappelle Caroline Rey-Salmon qui ajoute « quiconque, professionnel ou non, a l'obligation d'agir pour éviter une répétition des violences. Si on s'abstient d'agir et que les violences se poursuivent, voire aboutissent à la mort de l'enfant, le médecin pourra être poursuivi. »

 

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