Sommés de rembourser un « trop-perçu » d’aides, 87 000 libéraux de santé dénoncent une injustice

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

4 octobre 2021

France — Les professionnels de santé se souviendront longtemps de l’éprouvante épidémie de Covid-19. Comme ce médecin généraliste de Normandie, ce kinésithérapeuthe d'Ile-de-France et cette dentiste de Lorraine (voir leur témoignage en fin d'article), certains garderont aussi en mémoire la mauvaise surprise survenue ces derniers jours. Sur les 203 000 professionnels de santé qui ont perçu une aide au titre du dispositif d’indemnisation de perte d’activité en 2020, 87 000 d'entre eux, soit 43 %, vont en effet devoir rembourser une partie de l’aide perçue l’an dernier pour compenser la forte baisse — voire l’arrêt — d’activité liée au confinement du printemps 2020 et leur permettre de faire face à leurs charges fixes professionnelles.

Ce dispositif d’indemnisation de la perte d’activité (baptisé Dipa) a ainsi permis à 203 000 professionnels de santé (médecins, dentistes, kinés, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, orthophonistes, orthoptistes…) de percevoir une aide moyenne de 6 213 euros versés en deux temps (pour une ardoise totale de 1,3 milliard d’euros). Or, « les avances faites en 2020 l’ont été sur la base de données déclaratives et provisoires afin de pouvoir verser les avances le plus rapidement possible, explique aujourd’hui l’Assurance maladie. Des erreurs ont pu être commises et les montants pris en compte lors du calcul des avances ont pu évoluer, dans un sens comme dans l’autre, entraînant des régularisations. »

De leurs côté les professionnels de santé s’estiment floués et ne cachent pas leur incompréhension. « Pour ma part, cette affaire constitue une rupture complète du pacte de confiance avec l’Assurance-maladie », nous indique le Dr Richard Talbot, généraliste à St-Hilaire du Harcouet (Manche, 50), à qui l’on réclame la moitié du montant des aides qu’il a perçues (voir témoignages en fin de texte).

 
Pour ma part, cette affaire constitue une rupture complète du pacte de confiance avec l’Assurance-maladie. Dr Richard Talbot
 

Réglementation évolutive

Les erreurs sont d’autant plus prévisibles que le mode de calcul a varié selon l’humeur du législateur. Un décret du 30 décembre 2020 est ainsi venu compléter une première ordonnance du 2 mai 2020, qui prévoyait l’éventuelle « récupération du trop-perçu […] au plus tard le 1er juillet 2021 ».

Le décret paru en fin d’année dernière a ainsi précisé la formule retenue pour calculer l’indemnité pour perte d’activité : « (H2019 - H2020) × Tf – A ». Pour résumer, le différentiel d’honoraires à tarifs opposables perçus sur la période concernée entre 2019 et 2020 (H2019 et H2020) était majoré par le taux de charges fixe moyen de chaque professionnel (Tf) en soustrayant le total des aides reçues par ailleurs (A, activité partielle, indemnités journalières, fonds de solidarité). Sauf qu’entre temps, les forfaits ont été exclus des honoraires à déclarer, ce qui a bien évidemment changé la donne et été dénoncé comme une manœuvre malhonnête par des syndicats.

Au final, si la régularisation a été « globalement favorable aux professionnels de santé […], assure la Cnam, certains d’entre eux ont effectivement bénéficié d’un trop-perçu en 2020 », de près de 2 700 euros en moyenne.

Sollicitée par Medscape édition française, l’Assurance maladie n’a pas précisé les effectifs ni le montant moyen de l’indu réclamé pour chaque profession de santé.

Deux mois pour payer ou contester

Les libéraux de santé concernés ont commencé à recevoir ces derniers jours un courrier de leur caisse primaire les informant du montant du « trop-perçu » et des modalités de régularisation via un téléservice. En cas de désaccord avec la décision notifiée, ils pourront la contester dans un délai de deux mois auprès de leur CPAM. « A l’issue de ce délai, en l’absence de paiement ou de contestation de votre part, cette somme pourra être prélevée sur vos flux tiers payant à venir », prévient une Caisse dans un courrier dont Medscape édition française a eu copie.

Disant comprendre « l’incompréhension compréhensible » des professionnels concernés, la Cnam s’engage à un travail de pédagogie sur les modalités de calcul. Elle indique que les libéraux de santé concernés pourront échelonner leurs paiements sur 12 mois.

Colère des syndicats

Il n’empêche, la procédure de récupération a déclenché la colère de nombreux syndicats chez les professionnels concernés. Jeudi 23 septembre, une intersyndicale d’infirmiers (Alizé, Convergence Infirmières, Infin’idels), de dentistes (FSDL, Union dentaire) et de médecins (FMF, UFML) a dénoncé les « modalités de calculs iniques et arbitraires » appliquées par la Cnam. « Le changement unilatéral de mode de calcul de cette aide, six mois plus tard, modifie considérablement les sommes des aides initialement calculées », expriment-ils dans un communiqué commun, espérant une intervention politique pour corriger la situation.

 
Le changement unilatéral de mode de calcul de cette aide, six mois plus tard, modifie considérablement les sommes des aides initialement calculées. Dr Richard Talbot
 

Contactée par Medscape, l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) a réclamé par courrier des précisions au directeur de la Cnam sur les modalités de calcul de l’aide. « Ces éléments et demandes sont fondamentaux pour la bonne compréhension de chaque acteur concerné et pour apaiser le sentiment d’injustice ressentis par tous ceux qui se sont investis dans la prise en charge de leurs patients pendant cette crise », conclut l’UNPS.

TEMOIGNAGES

« C’est une rupture complète du pacte de confiance »

« Ma CPAM me réclame 2 500 euros sur les 5 000 euros d’aide qui m’avaient été versées. Il est étonnant que l’on demande aux seuls professionnels de santé libéraux de rembourser le trop-perçu d’indemnisations alors que nous avons bossé dans des conditions difficiles, il a fallu nous organiser pour espacer les rendez-vous, investir pour avoir des moyens de protection, cela a représenté une importante charge mentale. A contrario, on ne demande rien aux commerçants ou aux restaurateurs qui ont été beaucoup aidés. Il y a une inégalité de traitement criante ! Toute cette histoire est bizarre et douteuse, les règles ont été changées en cours de route, l’Assurance-maladie demande de ne pas inclure les forfaits dans les honoraires 2019 alors qu’il n’est écrit nulle part qu’il faut les enlever. Les honoraires des remplacés ne sont pas pris en compte, des collègues se sont vus défalquer des IJ touchés par leur personnel ! Il y a des approximations partout. Pour ma part, cette affaire constitue une rupture complète du pacte de confiance avec l’Assurance-maladie. Je vais contester bien sûr mais je suis légaliste et si je suis condamné à payer, je paierai. »

Dr Richard Talbot, généraliste à St-Hilaire du Harcouet (Manche), syndiqué à la FMF

« Le quoi qu’il en coûte, c’est fini ! »

« J’ai été surpris de recevoir la semaine dernière un courrier de ma caisse primaire m’informant que je devais rembourser près de 1 900 euros, soit exactement la moitié de l’aide que j’ai touchée l’an dernier. Quand j’ai lu ça, je suis tombé des nues. J’ai dû fermer pendant plusieurs semaines mon cabinet pendant le confinement. J’ai fait quelques visites à domicile et j’ai travaillé un peu plus fin 2020 pour rattraper le retard pris et je découvre que l’intégralité de l’activité a été prise en compte et pas seulement pendant la période de fermeture. Sur le principe, je trouve mesquin et particulièrement injuste que l’on me demande un remboursement. Quand on voit que l’Assurance maladie prend en charge larga manu des tests PCR à 70 euros, on marche sur la tête ! A l’époque, tout le monde disait être là pour aider les soignants qui ont bien souffert pendant la crise, mais le quoi qu’il en coûte, c’est fini ! »

François Cavelier, kinésithérapeute à Malakoff (Hauts-de-Seine)

 
A l’époque, tout le monde disait être là pour aider les soignants qui ont bien souffert pendant la crise, mais le quoi qu’il en coûte, c’est fini ! François Cavelier
 

« Personne ne nous avait dit que cette aide était avancée et pas acquise »

« J’ai reçu un courrier me demandant de reverser l’intégralité des 4 500 euros d’indemnisation que j’avais perçus l’an dernier. J’ai vécu cela comme une injustice car j’ai dû fermer mon cabinet dentaire pendant près de deux mois pendant lesquels je me suis occupée de garder mes enfants. J’ai ensuite travaillé davantage pendant les semaines qui ont suivi, pas pour gagner plus mais parce que les gens en avaient besoin. J’avais des patients en attente, imaginez 25 personnes non vues par jour pendant deux mois, plus les urgences ! Au final, j’ai réalisé un meilleur chiffre d’affaires en 2020 qu’en 2019 et je vais devoir rembourser l’aide qui ne portait pas sur la seule période concernée mais sur toute l’année. Je suis amère car personne ne nous avait dit que cette aide était avancée et non acquise. Je n’ai pas été alertée et n’ai pas même reçu un coup de fil pour m’expliquer la situation. Et je ne suis pas la plus à plaindre, des confrères se retrouvent à devoir retourner jusqu’à 12 000 euros qu’ils avaient touchés. Sans qu’il soit vraiment possible de vérifier les chiffres qui nous sont avancés. »

Dr T. chirurgien-dentiste en Moselle

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