Les centres médico-psychologiques lyonnais sous pression

Anne-Gaëlle Moulun et Moran Kerinec, collectif Sources

Auteurs et déclarations

28 septembre 2021

Lyon, France – À Lyon, les centres médico-psychologiques (CMP) sont en souffrance. La pénurie de soignants s’aggrave et les files d’attentes de patients s’allongent. Le centre hospitalier Le Vinatier – qui chapeaute les CMP du Rhône – tente d’y remédier. Au programme : mise en place de plateformes d’accueil téléphonique et réorganisation de la prise en charge en grands pôles. Des solutions critiquées par les soignants, qui dénoncent un tri des patients et l’éloignement des centres de soins par rapport aux lieux de vie.

Les CMP du Rhône débordés

Soigner au plus près des patients. Telle était la doctrine au début des années 1960 lors de la création des centres médico-psychologiques (CMP).

Ainsi, le département du Rhône a été découpé en 28 secteurs répartis entre deux centres hospitaliers publics, Le Vinatier et Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, et un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Saint-Jean-de-Dieu). Le Vinatier gère une quinzaine de CMP pour adultes et personnes âgées et une douzaine de CMP pour enfants et adolescents. Il couvre ainsi les 793 656 habitants de la Métropole, soit 46,4 % de la population rhodanienne.

Ali Karauzum

Les patients accueillis dans les CMP sont généralement en situation de précarité et n’ont pas les moyens de se tourner vers les soignants libéraux. Néanmoins, tous ne peuvent pas être pris en charge. « Les critères d’inclusion pour le CMP sont les troubles graves : schizophrénies, troubles bipolaires, psychoses, troubles graves de la personnalité. Pour tout le reste, par exemple pour la dépression, nous orientons en libéral ou dans d’autres structures », confie Ali Karauzum, psychologue au CMP de Villeurbanne (Rhône) et délégué CGT.

La métropole de Lyon guettée par les déserts psychiatriques

Valérie Blanchard

Les places sont rares, car tous les CMP partagent un amer constat : la pénurie de soignants les guette. Au Vinatier, 30 postes de médecins sont vacants. Les causes sont nombreuses : surcharge de travail, exigences de rentabilité, etc. Certains praticiens préfèrent se tourner vers le libéral dans l'espoir de salaires et de conditions de travail plus favorables. Le numerus clausus freine le renouvellement du personnel soignant pour combler les départs en retraite... Quant aux jeunes professionnels, quand ils ne jettent pas l'éponge, les conditions de travail éprouvantes des CMP peinent à les convaincre de postuler. « Beaucoup d’infirmières changent de métier, y compris des jeunes qui débutent. Il y a des problèmes d’attractivité », soupire Valérie Blanchard, infirmière au Centre d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) de Vaulx-en-Velin (Rhône). À cela s’ajoute le retour à l’équilibre budgétaire du Vinatier, qui a « concentré les temps de travail, épuisé les équipes et véhiculé un climat très pessimiste dans l’hôpital », pointe le Dr Natalie Giloux, psychiatre et cheffe de service des CMP du pôle Est (Villeurbanne, Bron, Décines). « Il faut toujours faire plus, mais avec moins de moyens. Les personnels se sentent compressés et des missions supplémentaires s’ajoutent sans cesse. Nous sommes confrontés à des logiques comptables et cela crée un vécu d’insatisfaction du personnel et de perte de sens », constate-t-elle. Ces carences s'auto-alimentent : la pénurie de soignants entraîne la dégradation des conditions de travail... Qui éloignent les potentiels futurs professionnels.

 
Au Vinatier, 30 postes de médecins sont vacants.
 

Une attente qui s’allonge pour les patients

Dr Natalie Giloux

Les psychologues ne sont pas épargnés par cette crise. « Quand je suis arrivé en 2016, nous étions 2,2 équivalents temps plein (ETP). Désormais, nous sommes 1 ETP, pour 160 000 habitants. L’attente s’est allongée de 3 mois à 1 an », dénonce Ali Karauzum. « Désormais, on me demande de ne plus prendre de nouveaux patients », poursuit-il, indigné. Or, les patients de son secteur sont particulièrement fragiles. « À Villeurbanne, on a beaucoup de comorbidités qui s’additionnent, des difficultés sociales, des consommations de toxiques, des violences, qui complexifient la prise en charge ». De ce fait, « les psychologues en libéral n’ont pas d’intérêt financier à accepter ces patients », estime-t-il. « Ce n’est pas rentable pour eux, ou ça coûterait trop cher à des patients qui n’ont pas les moyens de payer », déplore le psychologue.

Un virage ambulatoire compliqué

Nathalie Gramaje

À cette pénurie de professionnels s’ajoute une politique de diminution des lits d’hôpitaux et une redirection vers l’extra-hospitalier. « La crise sanitaire a accéléré la fermeture de lits au Vinatier. Il y a eu 150 suppressions de lits depuis 2020 en intra-hospitalier », observe Nathalie Gramaje, animatrice sociale au Vinatier et secrétaire CGT. Cette politique de réduction s’accompagne d’une volonté de développer davantage l’extra-hospitalier, le fameux « virage ambulatoire » prôné par les pouvoirs publics. « Il y a une pression pour diminuer au maximum la durée moyenne de séjour à l’hôpital et pour faire les relais le plus rapidement possible vers les hôpitaux de jour et les CMP », constate le Dr Natalie Giloux.

 
Il y a eu 150 suppressions de lits depuis 2020 en intra-hospitalier. Nathalie Gramaje
 

Mais dans la réalité, les structures de prise en charge en ambulatoire n’ont pas les moyens de suivre l’augmentation de la demande. « Au CMP de Villeurbanne, nous avons une file active de 3 000 patients pour 3 ETP de médecins. Nous recevons une centaine de demandes de prise en charge par mois. Nous ne pouvons en prendre qu’un quart environ », détaille-t-elle.

Des pôles créés pour regrouper les structures

Malgré cet engorgement, la direction du Vinatier a fermé plusieurs hôpitaux de jour et souhaite réduire le nombre de CMP en fusionnant la patientèle de zones géographiques étendues. Elle a commencé les restructurations par la pédopsychiatrie. « Le modèle sectoriel actuel avec des CMP de proximité couplé à un hôpital de jour et à un CATTP a vécu », juge le Pr Nicolas Georgieff, pédopsychiatre et chef du pôle Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA) à l’hôpital du Vinatier à Lyon (Lire aussi « La pédopsychiatrie est une spécialité plébiscitée mais sinistrée »). « Aujourd’hui, un CMP avec une équipe d’une dizaine de personnes et 18 mois d’attente ne facilite pas l’accès aux soins. Il est inévitable qu’il y ait des plateaux techniques plus importants, incluant différentes lignes de soins et différentes tranches d’âge. Il faut beaucoup de personnels et qu’ils soient formés ». Pour la pédopsychiatrie, le projet du Vinatier est de de créer quatre départements, dans 4 ou 5 CMP, au lieu des 16 petits dispositifs existants. Problème : cette restructuration s’effectue pour l’instant à périmètre constant en termes de moyens humains. « Il nous manquait des médecins et ils n’en ont pas recruté davantage. Certains sont même partis car ils ne se retrouvaient pas dans cette réorganisation », pointe Laure Venet, assistante sociale au CMP Montplaisir, à Lyon 8e.

Pour les soignants, ce plan de polarisation risque de distendre leur lien avec les patients. « Sur les CMP, nous accueillons au plus près du domicile. Nous ne voulons pas que cela change », déclare le Dr Natalie Giloux qui s’est battue avec ses équipes pour conserver le CMP de Bron. Certains patients peinent à se déplacer. « Il y a des patients qui sont incapables de prendre le bus et la plupart d’entre eux n’ont pas de véhicule. Or, de Vaulx-en-Velin à Rillieux-la-Pape, il y a plus d’une heure de trajet en transports en commun. Je crains que certaines personnes ne renoncent aux soins », appréhende Valérie Blanchard.

Plateformes d’accueil et d’orientation pour les patients

Chantal Legroz

Autre point de friction entre la direction et les soignants : la mise en place de plateformes d’accueil et d’orientation pour les patients. « Notre délai d’attente est actuellement de 5 semaines, mais tout va changer avec la mise en place de la CADEO (cellule d’accueil et de diagnostic d’évaluation et d’orientation). Désormais les consignes sont de renvoyer vers les médecins généralistes s’il n’y a pas assez de médecins sur le CMP », explique Chantal Legroz, infirmière psychiatrique au CMP de Perrache, à Lyon, et déléguée FO.

 
Désormais les consignes sont de renvoyer vers les médecins généralistes s’il n’y a pas assez de médecins sur le CMP. Chantal Legroz
 

Outre cet accueil physique, le Vinatier a créé une plateforme téléphonique de réponse aux premières demandes, appelée LIVE, déclinée dans le pôle de pédopsychiatrie sous l’acronyme POP (Plateforme d’Orientation en Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent). Mais cet accueil téléphonique désole les soignants. « Je ne vois pas comment on peut évaluer les patients au téléphone. On ne voit pas les mimiques, les pleurs, les vêtements… Beaucoup de facteurs nous échappent pour les orienter au mieux », redoute Ali Karauzum. « Il va y avoir un tri des patients. En janvier, un étudiant ne pourra plus venir vers nous parce que son problème ne sera pas psychiatrique, pointe Chantal Legroz. On se retrouve face à des situations pas très humaines. On finit par y perdre notre âme professionnelle. »

Ali Karauzum en appréhende les conséquences : « les hospitalisations, à terme, seront des unités de crise. On tend vers une psychiatrie qui soigne juste la crise psychiatrique, mais tout le reste doit dépendre du médico-social. Ce que je pressens, et qui se passe déjà, c’est qu’il y aura davantage de gens non-soignés et on ne les verra que quand ils vont exploser. »

 

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