POINT DE VUE

« La pédopsychiatrie est une spécialité plébiscitée mais sinistrée »

Anne-Gaëlle Moulun et Moran Kerinec, collectif Sources

Auteurs et déclarations

27 septembre 2021

Pr Nicolas Georgieff

Lyon, France – Alors que la demande en soins psychiatriques pour les enfants et les adolescents est en hausse, la pédopsychiatrie est touchée par une raréfaction des professionnels. Cette pénurie rallonge les délais de prise en charge.

Le Pr Nicolas Georgieff, chef du pôle Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA) à l’hôpital du Vinatier à Lyon, chapeaute les unités d’hospitalisation enfants et adolescents, des unités de recours, ainsi qu’une quinzaine de dispositifs ambulatoires (CMP, CATTP, hôpitaux de jour).

Dans ces services, plus de 300 agents, dont une quarantaine de médecins, suivent plus de 6000 enfants chaque année. Dans le cadre des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie des 27 et 28 septembre, il revient, pour Medscape édition française, sur les enjeux actuels de la pédopsychiatrie.

Medscape : Quelles sont actuellement les problématiques auxquelles la pédopsychiatrie est confrontée ?

Pr Nicolas Georgieff : La pédopsychiatrie est frappée de plein fouet par la raréfaction des professionnels. C’est une discipline qui connaît une augmentation constante de la demande, de la part des familles et des institutions. Dans le même temps, la démographie médicale s’est effondrée. Il y avait 1600 pédopsychiatres en 2006, contre 650 en 2016 et moins de 500 aujourd’hui.

C’est une spécialité plébiscitée mais sinistrée : il y a une demande énorme et une offre qui est en train de s’effilocher. Il y a des zones entières en France qui n’ont plus de pédopsychiatres. Cela s’explique par le numerus clausus trop bas, et par le vieillissement de la population des pédopsychiatres. 70 % d’entre eux ont plus de 60 ans. De plus, le ministère a instauré des quotas de recrutement pour l’option pédopsychiatrie, ce qui nous a obligés, à Lyon, à refuser la formation d’internes qui souhaitaient opter pour cette spécialité.

Medscape : Outre la baisse démographique, quels sont les facteurs qui expliquent la pénurie de pédopsychiatres ?

Pr Nicolas Georgieff : Selon moi, c’est une pratique insuffisamment valorisée dans le privé. Les tarifs de convention en secteur 2 sont à peine plus élevés que ceux d’un psychiatre pour adultes. Or, la pratique pédopsychiatrique prend du temps et nécessite de suivre aussi bien les enfants que les parents. C’est l’une des raisons qui expliquent la désaffection pour cette spécialité. De ce fait, il n’y a quasiment pas de pédopsychiatrie privée en France, d’où la pression qui pèse sur la pédopsychiatrie publique. A cela s’ajoutent les difficultés de recrutement des infirmiers, là aussi liées à des questions d’attractivité.

Pour moi, il faut autonomiser la pédopsychiatrie par rapport à la psychiatrie adulte, afin de lui permettre de se développer. En effet, dans la pédopsychiatrie moderne il y a de nombreuses thématiques : l’anorexie, la toxicomanie, les troubles du comportement alimentaire, la suicidologie, les troubles dysfonctionnels, les trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), mais aussi les troubles liés à des problèmes environnementaux (carences, négligences, abus, etc.). C’est une discipline extrêmement riche. Les jeunes pédopsychiatres font de plus en plus des choix de thématiques et le niveau de formation est devenu plus exigeant.

La pédopsychiatrie a vraiment besoin d’une réforme majeure et d’une revalorisation.

Medscape : Quelles sont les conséquences de la pénurie de soignants sur la prise en charge des familles ?

Pr Nicolas Georgieff : La pédopsychiatrie est le secteur qui souffre le plus. J’ai pris la responsabilité du pôle Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PEA) en février 2020, et nous avons entre 550 et 600 familles en attente d’un premier rendez-vous. L’attente ne devrait jamais être de plus de deux mois, voire une semaine ou quinze jours pour certaines situations. Or, la réalité ce sont des délais d’attente de 6 à 18 mois. Les adolescents, les 0-5 ans ont des dispositifs dédiés qui répondent plus vite, mais pour les 6-12 ans par exemple, il y a beaucoup de difficultés d’accès aux soins. De même, les enfants qui ont des troubles neurodéveloppementaux peuvent avoir des délais de prise en charge très longs. Nous avons des CMP sans médecins, où énormément de demandes arrivent sans être filtrées. Les CMP de l’Est lyonnais par exemple, sont en grande difficulté.

Medscape : Selon vous, comment doit évoluer la pédopsychiatrie face à ces enjeux ?

Pr Nicolas Georgieff : La santé mentale est l’affaire de tous. Mais tous les psychiatres n’ont pas les moyens de s’en occuper. La question est : où met-on le curseur entre ce qui relève d’un niveau 1 (médecins, pédiatres, instituteurs) et ce qui relève du pédopsychiatre ? Notre position, c’est qu’il doit arriver en second recours. Mais les professionnels qui interviennent au niveau 1 doivent être formés, informés d’un point de vue d’expert. Nous devons faire des transferts de compétences ainsi qu’un travail d’appui, de supervision. Cela suppose une révision des métiers, y compris de celui de pédopsychiatre, qui doit aussi être un manager, un formateur.

Par ailleurs, la pédopsychiatrie des années 2020 n’est plus celle des années 70-80. Autrefois, nous avions des moyens et peu de demandes. L’organisation sectorielle collait avec une pédopsychiatrie qui n’était pas celle d’aujourd’hui, car toutes les sous-spécialités n’existaient pas. On a pensé que la question de la proximité était la clé de l’accès aux soins. Mais un petit CMP avec 10 personnes et 18 mois d’attente ne facilite pas l’accès et ne peut pas répondre à toutes les lignes de soins pour les 0 à 20 ans ! Il est inévitable qu’il y ait des plateaux techniques plus importants, incluant différentes lignes de soins et différentes tranches d’âge.

Le projet du Vinatier est de créer quatre départements au lieu des 16 petits dispositifs existants. Il y aurait quatre grands services : 0-5 ans, périnatalité ; adolescents, transition ; 6-12 ans, troubles anxieux et autisme, neurodéveloppement. L’objectif est que ces quatre services soient présents sur tout le territoire, par zone, avec quatre ou cinq CMP assez importants.

Medscape : Des plateformes téléphoniques ont été mises en place pour accueillir les jeunes patients, qu’en pensez-vous ?

Pr Nicolas Georgieff : Le Vinatier a créé une plateforme téléphonique de réponse aux premières demandes, appelée LIVE. Nous l’avons déclinée dans le pôle de pédopsychiatrie en l’appelant POP (Plateforme d’Orientation en Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent).  Elle a ouvert le 1er mai et elle est gérée par une équipe pluridisciplinaire avec un médecin coordonnateur. Il s’agit de traiter très vite, en direct, les demandes et d’orienter vers la bonne réponse, à l’aide d’un questionnaire. Nous pensons que cette plateforme est nécessaire. Elle est actuellement en phase d’expérimentation et fera l’objet d’une évaluation. Sa première mission est de traiter toutes les demandes en attente. Lorsque nous aurons apuré toute la liste d’attente, nous pourrons entrer dans un fonctionnement plus normal. L’expérience nous prouve que beaucoup de demandes se résolvent sans nécessité d’une consultation en pédopsychiatrie ou d’une prise en charge longue. Parfois, répondre rapidement est suffisant pour orienter les gens. La question sera de déterminer où s’arrête le travail de la plateforme et où commence celui des cliniciens.

 

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