Mélanome : vers une utilisation plus précoce du pembrolizumab ?

Liam Davenport

Auteurs et déclarations

22 septembre 2021

Virtuel – Le pembrolizumab (Keytruda®) en traitement adjuvant est déjà autorisé aux Etats-Unis et en Europe après résection complète d'un mélanome avec atteinte ganglionnaire. Il prolonge la survie sans récidive et la survie sans métastase à distance chez les patients atteints d'un mélanome de stade III (locorégional, voir le tableau « Stades du mélanome » en fin de texte).

D'après les résultats de l'étude KEYNOTE-716 , présentés lors du congrès annuel de l'European Society of Medical Oncology (ESMO 2021), le pembrolizumab en traitement adjuvant est aussi bénéfique à un stade plus précoce de la maladie : il a amélioré la survie sans récidive de 35 % et la survie sans métastase à distance de 40 % en comparaison du placebo chez les participants après résection d'un mélanome de stade IIB et IIC.  Invité à discuter les nouvelles données, un expert a cependant souligné que ces résultats soulevaient aussi de nombreuses interrogations.

Ce nouvel essai clinique a inclus des patients avec une maladie à un stade un peu plus précoce ( stade IIB et IIC). Ces patients sont à haut risque de récidive avec des caractéristiques similaires aux patients atteints d'un mélanome IIIA ou IIIB, a expliqué l'orateur, le Dr Jason Luke (UPMC Hillman Cancer Center, Pittsburgh, Etats-Unis).

Le pembrolizumab en traitement adjuvant est une « option thérapeutique efficace avec un profil bénéfice-risque favorable pour les patients avec un mélanome de stade II à haut-risque », a-t-il assuré.

 
Une « option thérapeutique efficace avec un profil bénéfice-risque favorable pour les patients avec un mélanome de stade II à haut-risque » Dr Jason Luke
 

Le fabricant, Merck, a indiqué que ces résultats avaient déjà été acceptés pour une revue prioritaire par la  Food and Drug Administration (FDA), ce qui laisse penser que l'indication sera étendue aux patients avec un mélanome à un stade plus précoce.

Invité à discuter les résultats de cette étude, le Dr Omid Hamid (The Angeles Clinic and Research Institute, Los Angeles, Etats-Unis) a qualifié la présentation « d'extraordinaire », tout en s'interrogeant sur le fait que ces nouveaux résultats « remettaient en cause la façon dont nous pensons le traitement de nos patients et comment nous traiterons dans le futur ».

Détails des résultats à un stade précoce du mélanome

L'essai KEYNOTE-716 a inclus des patients avec un mélanome nouvellement diagnostiqué, opéré, de stade 2 à haut-risque.  Ces participants,  âgés de douze ans et plus, avaient un bon indice de performance. La majorité (~64%) souffrait d'un mélanome de stade IIB et le reste d’un mélanome de stade IIC. 41 % des patients avaient une maladie classée T3b, 23 % une maladie classée T4a et 35 % une maladie T4b.

Les patients ont été randomisés pour recevoir du pembrolizumab ou un placebo.

Sur les 487 patients assignés dans le groupe traité, 483 ont commencé le traitement. Sur les 206 qui l'ont pris jusqu'au bout, 133 sont encore sous traitement, 144 ont arrêté. 

489 participants ont été assignés au groupe placebo. 486 ont commencé le traitement. Parmi eux, 152 le prennent toujours, 105 ont arrêté.

Les deux groupes étaient bien équilibrés en termes de caractéristiques générales initiales. L'âge médian était d'environ 60 ans, avec un seul patient de la tranche d'âge 12-17 ans.

Le critère d'évaluation primaire a été atteint à douze mois. La survie sans récidive était de 90,5 % chez les patients traités avec le pembrolizumab versus 83,1% dans le groupe placebo, avec un hasard radio pour la récidive de 0,65 (P= 0,00658).

« Bien que cet essai clinique ait atteint son critère d'évaluation primaire très tôt, il y a un nombre de patients pour lesquels l'information n'était pas encore disponible et donc ces patients ne sont pas pris en compte dans les courbes », a commenté le Dr Luke, ajoutant qu'ils allaient continuer à recueillir des données plus matures. « Notre espoir, c'est que les courbes continuent de se séparer ».

En se concentrant sur les sous-groupes clefs, le Dr Jason Luke a montré que les résultats étaient en faveur du pembrolizumab quand les patients étaient stratifiés par âge, genre, origine ethnique et indice de performance.

Etonnamment, les patients avec une maladie T3b ont eu de bien meilleurs résultats que ceux avec une maladie T4b, avec un hazard ratio pour la récidive de 0,44 versus 0,94. Un résultat qui pourrait s’expliquer par l’immaturité de données, selon l’orateur.

Concernant la récidive, 11,1% des patients qui prenaient du pembrolizumab ont eu un événement : 6,4% au niveau de la peau et/ou d'un ganglion lymphatique et 4,7% à distance. Dans le groupe placebo, 16,8% des patients ont eu une récidive, 8,4% au niveau locorégional et 7,8% à distance.

Ceci, a expliqué Jason Luke, équivaut à une réduction d'environ 40 % de la récidive à distance avec le pembrolizumab en comparaison au placebo.

Enfin, les chercheurs ont évalué les changements sur l'état de santé global avec le score EORTC QLQ-C30. Ils n’ont pas observé des différences cliniquement significatives. Les scores des groupes traité et placebo se suivant de près tout au long du suivi. La qualité de vie était « seulement très peu modifiée », a concédé l'orateur.

Concernant la toxicité, un sujet largement discuté lors de la présentation, le Dr Jason Luke a confirmé qu'environ 18 % des patients du groupe pembrolizumab ont dû recevoir une thérapie hormonale à cause des effets indésirables : sur les 18 %, 13, 9 % à cause d'une hypothyroïdie, les autres en raison d’une hypophysite, une insuffisance surrénale ou encore un diabète de type 1. Cela dit, il a rappelé qu'environ 5 % des patients inclus dans l'étude avaient déjà des problèmes de thyroïde auparavant, ajoutant que les risques et les bénéfices du traitement devaient être discutés avec le patient.

Les résultats de survie globale ne sont pas encore disponibles.

Qui traiter ?

Le Dr Hamid a indiqué que l'incidence du mélanome des stades IIB et IIC est la même que celle du mélanome de stade III. « Donc avec une autorisation » du pembrolizumab à un stade plus précoce, « nous aurons beaucoup plus de patients » à traiter. Cela pose la question inévitable de comment traiter ces patients quand ils rechutent, et comment traiter des patients au stade métastatique « qui ont déjà épuisé la possibilité d'une thérapie PD1 », a-t-il commenté.

Selon lui, ces résultats posent à nouveau le « problème récurrent » des thérapies adjuvantes, à savoir « qu'on ne sait pas qui va en bénéficier » et qu'un sous-groupe de patients « ne récidive jamais » même s'ils ne sont pas traités. 

 
On ne sait pas qui va en bénéficier. Dr Omid Hamid
 

Les questions sont : « Pourquoi traiter tout le monde ? Quels sont les risques de toxicité ? Les coûts ? Que faire de ces patients en clinique ? »

Comme pour tous les essais cliniques d'immunothérapie, KEYNOTE-716 rappelle la nécessité d'identifier des biomarqueurs prédictifs qui pourraient exclure certains patients et leur épargner une toxicité inutile.

Le Dr Hamid a indiqué que l'essai CheckMate 238 avec le nivolumab (Opdivo®), autre inhibiteur de checkpoint, en traitement adjuvant avait montré l'importance du nombre de mutations de la tumeur ainsi que du taux d'interféron gamma. Il espère que des données similaires seront disponibles pour cet essai clinique.

Des essais en cours ou à venir incluant des patients atteints de mélanome de stade IIB et IIC pourront peut-être répondre à ces questions en suspens. Il y a notamment une étude sur le blocage de PD-1 en traitement néoadjuvant avant la résection et l'essai  DETECTION qui explore la possibilité d'utiliser l'ADN tumoral circulant pour orienter la thérapie post-chirurgie.

L'essai  NivoMela, lui, s'intéresse au recours au nivolumab pour les stades IIA, IIB et IIC de la maladie, tandis que l'essai REFINE va, lui, évaluer si espacer l'immunothérapie chez des patients avec un cancer avancé, y compris un mélanome, permet de diminuer les effets indésirables tout en conservant une efficacité.

Les résultats de KEYNOTE-716 soulèvent aussi la question de commencer plus précocement « encore et encore » l'immunothérapie adjuvante jusqu'à un stade I d'un mélanome de faible risque, ce qui est déjà tenté aux Etats-Unis bien qu'il n'y ait pas « une compréhension claire de ce qui devrait être fait pour ces patients ».

Globalement, le Dr Hamid considère que les résultats de KEYNOTE-716 ont apporté « plus de questions que de réponses », y compris sur les critères d'inclusion pour les essais cliniques de phase 3-4 qui « aujourd'hui excluent les patients ayant reçu une thérapie adjuvante dans les six mois ».

« Cela devra changer » suggère-t-il.

Les différents stades du mélanome

Stades

Critères

Stade 0

Tumeur in situ

Stade IA

Tumeur inférieure ou égale à 1 mm d’épaisseur, sans ulcération et mitoses < 1/mm2 (pT1a), N0, M0

Stade IB

Tumeur inférieure ou égale à 1 mm d’épaisseur, avec ulcération et/ou mitoses ≥ 1/mm2 (pT1b), N0, M0
Tumeur supérieure à 1 mm et inférieure ou égale à 2 mm d’épaisseur, sans ulcération (pT2a), N0, M0

Stade IIA

Tumeur supérieure à 1 mm et inférieure ou égale à 2 mm d’épaisseur, avec ulcération (pT2b), N0, M0
Tumeur supérieure à 2 mm et inférieure ou égale à 4 mm d’épaisseur, sans ulcération (pT3a), N0, M0

Stade IIB

Tumeur supérieure à 2 mm et inférieure ou égale à 4 mm d’épaisseur, avec ulcération (pT3b), N0, M0
Tumeur supérieure 4 mm d’épaisseur, sans ulcération (pT4a), N0, M0

Stade IIC

Tumeur supérieure 4 mm d’épaisseur, avec ulcération (pT4b), N0, M0

Stade IIIA

Tumeur sans ulcération (pT1a-4a), métastases microscopiques dans 1, 2 ou 3 ganglions lymphatiques régionaux (N1a, 2a), M0

Stade IIIB

Tumeur sans ulcération (pT1a-4a), métastases macroscopiques dans 1, 2 ou 3 ganglions lymphatiques régionaux ou métastases « en transit » (N1b, 2b, 2c), M0 Tumeur avec ulcération (pT1b-4b), métastases microscopiques dans 1, 2 ou 3 ganglions lymphatiques régionaux ou métastases « en transit » (N1a, 2a, 2c), M0

Stade IIIC

Tumeur avec ulcération (pT1b-4b), métastases macroscopiques dans 1, 2 ou 3 ganglions lymphatiques régionaux (N1b, 2b), M0
Tumeurs avec ou sans ulcération (tous pT), métastases dans 4 ganglions lymphatiques régionaux ou plus ou métastases en transit avec métastase(s) ganglionnaire(s) régionale(s) (N3), M0

Stade IV

Métastases à distance (tous pT, tous N, M1)

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé “Adjuvant Pembro Success in Early Melanoma Raises Questions”.  Traduit/adapté par Marine Cygler.

 

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