Virtuel – Le concept de la ‘Polypill’ combinant des dose fixes de médications génériques peu coûteuses, à visée cardiovasculaire (CV), réunies en une seule pilule ou non, est probablement la notion la plus controversée dans l’arène de la prévention primaire. Mais une nouvelle analyse, prenant compte des données individuelles de patients, dans trois essais randomisés réunis, semble renforcer les arguments en faveur de cette idée au sein de la population, tout au moins chez les plus âgés ayant des facteurs de risque [1 ]et ce d'autant plus que l'aspirine y est associée.
Baisse hautement significative avec l’aspirine
La méta-analyse inclut plus de 18 000 participants, un nombre suffisamment important pour permettre également d’évaluer si l’ajout de l’aspirine aux deux anti-hypertenseurs et à une statine est capable de générer une différence dans la survenue d’événements cliniques. Cette méta-analyse se réfère à trois essais qui sont TIPS-3 , HOPE-3 et PolyIran.
Ensemble, ces essais suggèrent une baisse hautement significative de 38% du risque de survenue du critère primaire: un composite de décès cardiovasculaires, d’infarctus du myocarde (IDM), d’accidents vasculaires cérébraux ou encore de revascularisations artérielles, chez les participants traités par la dose fixe combinée, soit un nombre de patients à traiter de 52 (NNT).
En outre « les effets les plus importants ont été notés quand la dose fixe combinée incluait l’aspirine » avec une réduction de 47% du critère primaire composite et un NNT encore plus faible à 37, a affirmé le Dr Philip Joseph (Population Health Research Institute, Hamilton, Canada) lors de la présentation de l’étude pendant le congrès de l’European Society of Cardiology 2021.
La réduction du risque pour chacun des paramètres du critère composite s’est aussi avérée significative avec le traitement combiné et cette diminution était encore plus nette quand l’aspirine était incluse dans l’association suggérant que « l’aspirine est un composant important de cette stratégie dose fixe combinée, si le but est de réduire au maximum le risque de maladie cardio-vasculaire ».
Un bénéfice significatif aussi lorsque l’aspirine n’est pas incluse
D’autre part, la dose fixe combinée permet également un bénéfice significatif même quand l’aspirine n’est pas incluse, observe le Dr Joseph, l’auteur principal de l’étude, publiée le dans The Lancet le 29 août[2].
L’aspirine n’a pas été associée à un risque de saignement significativement plus important dans cette analyse et le vertige était le seul effet secondaire décrit fréquemment dans la cohorte dose fixe combinée, mentionne-t-il.
De tels traitements qui sont « largement disponibles et bon marché » ont montré qu’ils peuvent « de façon substantielle réduire les maladies cardiovasculaires au sein des populations ». Et comme ces études ont eu lieu à la fois dans les pays à revenus élevés, intermédiaires ou faibles, les résultats sont « globalement applicables » insiste l’orateur.
« Ainsi, une stratégie de traitements combinés à dose fixe, séparés ou associés dans le même comprimé à l’instar de la polypill pourrait être une méthode-clé pour atteindre l’objectif établi pat les Nations Unies de réduire d’un tiers les décès prématurés dus aux affections non transmissibles d’ici 2030 ».
Le rapport du Lancet « démontre de façon convaincante que la polypill est plus efficace que le placebo dans la réduction des événements cardiovasculaires » mais il est beaucoup moins convaincant dans ses affirmations sur l’aspirine, a argumenté John J. McNeil (Monash, University Melbourne Australie) à theheart.org/Medscape Cardiology
Ceci est particulièrement vrai si l’on se réfère à la publication récente de trois grandes études randomisées contrôlées concernant la place de l’aspirine dans la prévention primaire, dit John McNeil, investigateur principal de l’une d’elles, ASPREE .
Cette étude n’est pas à l’avantage de l’aspirine en prévention primaire, elle indique au contraire un risque majoré de saignements importants, l’essai est d’ailleurs en grande partie cohérent avec les deux autres études majeures : ARRIVE et ASCEND .
Conclure actuellement comme le fait le rapport que l’aspirine accroit l’efficacité du traitement de la dose fixe combinée « découle du fait que les rapports de risques étaient, en quelque sorte, un peu plus faibles dans les comparaisons d’études croisées dans lesquelles étaient inclus des essais avec l’aspirine que dans celles avec des essais sans aspirine ». Cependant, l’approche « classique » serait « une méta-analyse d’études randomisées polypill avec aspirine versus polypill sans aspirine » insiste-t-il.
« Il est difficile de voir comment cette fragile conception supporte la notion que l’aspirine est un élément important et sans danger de la prévention primaire » répète McNeil. « Donner un réel avis sur un sujet tellement controversé nécessite une étude solide où l’on utilise une comparaison randomisée polypill avec et polypill sans aspirine » considère-t-il.
La méta-analyse a inclus 18 162 participants dans les trois études, qui comparaient toutes le traitement par la dose fixe combinée, soit à un placebo, soit à une prise en charge habituelle selon les recommandations actuelles de la prévention primaire (ou secondaire) ; mais seules les cohortes de prévention primaire ont été incluses. La moyenne d’âge était de 63 ans, 49,8% étaient des femmes, 23,4% souffraient d’un diabète et 63,4% avaient des antécédents d’hypertension artérielle, détaille le Dr Joseph.
La pression artérielle moyenne (PA) était 133,7mmHg et le LDL cholestérol 1,22 g/L. Selon les critères de Framingham, le risque cardiovasculaire moyen à 10 ans était 17,7%, soit un niveau de risque intermédiaire pour cette population en prévention primaire, indique le rapport.
Comparé aux groupes-contrôles, le LDL cholestérol a diminué de 0,23 g/L lors du traitement par la dose fixe combinée après 2,1 années de suivi en moyenne. Après 5 ans de suivi, la pression artérielle (PA) moyenne a diminué aussi bien dans le groupe traitement fixe combiné que dans les groupes-contrôles mais elle était 4,7mmHg plus basse dans le groupe traité. Les différences concernant ces deux marqueurs étaient significatives (P <0,0001).
Malgré « de modestes différences de pression artérielle et du LDL cholestérol entre les groupes randomisés, le traitement par la dose fixe combinée diminue substantiellement les accidents CV fatals ou non » affirme le Dr Joseph.
En effet, le rapport de risques (HR) du critère primaire composite entre la dose fixe combiné et le contrôle au cours d’une période médiane de 5 ans était de 0,62 [IC95% : 0,53-0,73, P<0,0001]. La réduction pour chacun des éléments du critère primaire composé était du même niveau et significatif.
Un bénéfice chez les plus âgés
Dans une analyse qui a inclus 8 951 participants, le HR du critère primaire chez ceux prenant la dose fixe combinée et aspirine vs contrôle était de 0,53 (IC 95% 0,41-0,67, P<0,0001).
Une analyse similaire pour la dose fixe combinée sans aspirine comparée au contrôle conduite chez 12 061 participants plaçait le HR à 0,68 [IC 95% : 0,57-0,81, P<0,0001].
On note une tendance à une réduction plus importante de la survenue du critère primaire dans les tranches d’âge élevées avec la dose fixe combinée vs groupe contrôle et un bénéfice était possible chez les 61-66 ans voire chez les plus de 66 ans. Cependant, l’interaction entre l’âge et l’effet du traitement n’atteint pas le degré de significativité avec un P à 0,06.
Pourtant, cette interaction atteint, en revanche, la significativité (P=0,03) si on limite l’analyse au traitement aspirine et dose fixe combinée vs contrôles. Il n’y a pas de bénéfice significatif pour cette intervention chez les participants de moins de 57 ans mais la réduction du risque atteint 45% dans la tranche des 58-63 ans et 58% pour ceux de plus de 63 ans.
La sensation de vertige est l’effet secondaire le plus fréquent de la dose fixe combinée : 11,7% comparés à 9,2% dans le groupe contrôle (P<0,0001). Les douleurs musculaires et la dyspepsie sont observées avec les taux de 7,8% et 34,4% respectivement, non significatifs quel que soit le groupe.
Il n’y a pas de différence statistiquement significative concernant le taux d’hémorragies cérébrales (0,2% pour la dose fixe combinée vs 0,3% pour le groupe contrôle) les hémorragies intestinales (0,4% et 0,2% respectivement) ou hémorragies fatales (moins de 0,1% vs 0,1% respectivement).
La méta-analyse suggère que les résultats « seraient plus applicables dans les populations ayant un risque CV intermédiaire ou élevé » et ces données pointent sur « un vaste champ d’applications de cette stratégie thérapeutique de la dose fixe combinée dans un éventail de profils de facteurs de risque cardio-métaboliques plutôt que dans un groupe à risque spécifique » écrivent les auteurs.
Les résultats soutiennent également la preuve préalablement établie que « les stratégies thérapeutiques dose fixe combinée s’avèrent particulièrement bénéfiques au sein de la population des gens âgés ».
Le Dr Joseph déclare avoir reçu des subventions institutionnelles du WellcomeTrust, des Instituts de recherche en santé du Canada, de la Fondation des maladies du cœur de l'Ontario, de Cadila Pharmaceuticals et d'AstraZeneca en rapport avec TIPS-3, HOPE-3 ou les deux études. Les liens d’intérêt des autres auteurs sont listés dans l’article original.
Publié initialement sur Medscape.com. sous le titre Aspirin Boosts Polypill Primary Prevention, Claims Meta-Analysis .Traduit par le Dr JP Usdin
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Citer cet article: Prévention primaire cardiovasculaire : quid d'une polypill avec aspirine ? - Medscape - 20 sept 2021.
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