Paris, France – Début septembre, au CHU de Lille, trois femmes enceintes non vaccinées ont été admises en réanimation en une semaine pour une aggravation de Covid-19. Actuellement, deux femmes enceintes sont dans un état critique pour les mêmes raisons à l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP), à Colombes. Les cas graves de Covid-19 survenant pendant une grossesse sont-ils en hausse ?
Interrogé par Medscape édition française, le Pr Olivier Picone (Louis-Mourier, AP-HP, Colombes) a rappelé qu’il n’est pas encore possible de connaitre le taux de femmes enceintes vaccinées en France, ni le taux d’hospitalisation pour covid-19 dans cette population à risque. La multiplication des cas graves suscite toutefois des inquiétudes, en France, comme à l’étranger. Au Mexique et en Colombie, le Covid-19 est devenu la première cause de décès maternel en 2021.
En France, les réticences des futures mères à se faire vacciner contre le Covid-19 restent toujours très fortes, estime le Pr Picone, également président du Groupe de recherche sur les infections pendant la grossesse (GRIG). Or, après quasiment un an de vaccination chez les femmes enceintes, les études de suivi menées notamment aux Etats-Unis n’ont rapporté aucun signal d’alerte, a-t-il rappelé.
Medscape édition française : Ces dernières semaines, plusieurs femmes enceintes ont été hospitalisées en réanimation pour Covid-19, notamment au CHU de Lille. Est-ce que l’on assiste à une hausse des cas graves dans cette population ?
Pr Olivier Picone : Il n'est pas possible pour le moment de connaitre le nombre exact de femmes enceintes admises en réanimation en France depuis le début l’épidémie de Covid-19, étant donné que les équipes n’ont pas toujours les moyens de déclarer les cas de grossesse et de faire remonter l’information. Une réunion est prévue prochainement avec Santé publique France pour faire évoluer cette situation et tenter d’avoir un état des lieux plus régulier, sans rajouter de lourdeur administrative aux équipes.
Pour l’instant, l’évaluation se base sur un réseau sentinelles de quelques services de réanimation, qui ne donne pas un réel aperçu de la situation au niveau national. Il y a peut-être eu plus de femmes enceintes hospitalisées en France pour Covid-19, mais la hausse des cas graves pourrait être proportionnelle à l’évolution de l’épidémie. En tous les cas, il faudra veiller à l’avenir à avoir un meilleur suivi épidémiologique chez les femmes enceintes. C’est l’une des leçons à tirer de cette épidémie.
Quelle est la situation à l’hôpital Louis Mourier ? Vous indiquiez lors d’un précédent échange qu’il y avait toujours au moins une femme enceinte prise en charge en réanimation pendant les pics épidémiques. Est-ce toujours le cas?
Pr Picone : Oui, la situation n’a pas évolué depuis plusieurs mois. Il y a encore régulièrement des admissions en réanimation de patientes enceintes non vaccinées pour une aggravation de Covid-19. En ce moment, nous avons deux patientes à 5 et 7 mois de grossesse, qui sont dans un état critique.
Ce sont des situation complexes. Il faut surveiller les paramètres de la mère et du bébé, ce qui devient plus difficile encore lorsque la patiente est en décubitus ventral. On réussit en général à sauver l’enfant, mais il faut parfois déclencher un accouchement prématuré, dans l’objectif également de mieux soigner la mère. Il y a aussi un risque de retard de croissance du fœtus en raison des atteintes placentaires souvent décrites avec ce virus. On craint également les effets de l’hypoxie au niveau du cerveau fœtal chez ces patientes gravissimes. En sortie de réanimation, l’anatomie du cerveau du fœtus est évalué par échographie et IRM pour s’assurer que le manque d’oxygène n’a pas eu de conséquence sur son développement.
Tout est fait pour que la mère comme l’enfant s’en sortent au mieux. C’est une prise en charge lourde et très difficile émotionnellement, pour les proches, mais aussi pour les équipes médicales et paramédicales.
Beaucoup de femmes enceintes se sont montrées réticentes à se faire vacciner contre le Covid-19. Cette méfiance est-elle encore très forte dans cette population ?
Pr Picone : C’est difficile à dire. Le taux de vaccination des femmes enceintes contre le Covid n’est pas encore connu en France. Une étude est actuellement menée par le GRIG dans plusieurs hôpitaux de France pour évaluer la couverture vaccinale chez les femmes qui viennent d’accoucher. On devrait avoir les résultats d’ici quelques semaines.
En mai dernier, nous avons effectué un sondage qui a montré que seulement 30% des femmes enceintes étaient prêtes à se faire vacciner. Il faut espérer que les messages de prévention diffusés depuis en ont convaincu davantage. Ceci dit, les réticences sont toujours très présentes. Pour des raisons qui m’échappent, les patientes font désormais plus confiance aux informations provenant des réseaux sociaux qu’à leur médecin. Beaucoup n’ont pas conscience des risques.
Personnellement, je suis affligé de voir des femmes enceintes atteintes de la Covid-19 admises régulièrement en réanimation, parce qu’elles n’ont pas voulu se faire vacciner. On peut blâmer l’influence de leur entourage ou des réseaux sociaux. Certaines d’entre elles doivent être mises sous assistance respiratoire extra-corporelle (ECMO). Il faut continuer de sensibiliser sur les risques et faire preuve de pédagogie.
Depuis peu, les troubles menstruels constatés après vaccination sont évoqués pour justifier la peur des répercussions du vaccin sur la grossesse. Quel message faut-il alors adopter pour rassurer les femmes enceintes?
Pr Picone: Concernant les perturbations du cycle menstruel , il faut rappeler qu’elles sont fréquentes chez les femmes sans contraception hormonale. Les causes peuvent être multiples. La vaccination peut modifier les règles, mais rien ne permet d’affirmer qu’elle a un impact sur la fertilité.
D’un point de vue général, on a maintenant suffisamment de recul dans cette population et les études sont assez nombreuses pour considérer qu’il n’y a pas d’effets secondaires particuliers pendant la grossesse après vaccination. Il n’y a pas plus de fausses couches, pas plus de prématurité. Les rapports successifs de pharmacovigilance de l’ANSM montrent que la majorité des événements rapportés, comme les fausses couches, se rencontrent à des taux équivalents chez les femmes enceintes non vaccinées.
Il faut prendre le temps d'informer, expliquer que l’ARNm se dégrade rapidement dans le corps, que le vaccin ne contient pas de virus vivant atténué, comme celui contre la rubéole qui est contre-indiqué pendant la grossesse. Rappelons également que la pharmacovigilance se poursuit de manière rigoureuse. Jusqu’à présent, aucun signal d’alerte n’a été émis, alors que les femmes enceintes sont vaccinées contre le Covid-19 depuis près d’un an. Et, l’efficacité du vaccin à ARNm de Pfizer pendant la grossesse vient d’être confirmé dans une étude menée lorsque le variant Alpha était dominant: le risque d’infections avec symptômes est réduit de 97% et les hospitalisations de 89% [1].
Auparavant, les femmes enceintes devaient attendre le deuxième trimestre pour se faire vacciner contre le Covid-19. Désormais, il est possible d’y avoir accès dès le premier trimestre. Quel est le meilleur moment pour se faire vacciner ?
Pr Picone : Initialement, lorsque les autorités ont recommandé de vacciner à partir du deuxième trimestre, le message a été interprété comme une preuve qu’il existe un risque potentiel pendant le premier trimestre. Or, ce n’est pas du tout le cas. Les gynécologues-obstétriciens craignaient surtout qu’en vaccinant au premier trimestre, on en viendrait plus facilement à faire un lien erroné entre le vaccin et les fausses-couches, plus fréquentes pendant cette période. Aucune étude n’a depuis démontré qu’il y a un risque accru de fausse couche après vaccination au cours du premier trimestre de grossesse.
Pour autant, si les femmes préfèrent attendre le début du deuxième trimestre, il faut respecter leur choix. Le vaccin aura le temps d’agir pour la protéger des formes graves de Covid-19 qui se développent essentiellement pendant le deuxième et le troisième trimestre de grossesse. L’idéal, pour éviter toutes ces interrogations autour de la vaccination, est de se faire vacciner avant la grossesse.
Les demandes d’accouchement à domicile se sont multipliées depuis le début de l’épidémie, notamment de la part des femmes enceintes non vaccinées. Est-ce que ce type d’accouchement est devenu plus accessible ?
Pr Picone : Leș accouchements à domicile doivent être limités à des cas très précis de femmes à bas risque, dans le cadre d’un suivi et d’une préparation spécifique. Les critères sont stricts et n’ont pas été modifiés. L’accouchement à domicile n’est pas plus recommandable actuellement. On a pu constater une hausse des demandes pendant les pics de l’épidémie lorsque les conjoints n’étaient pas toujours autorisés à accéder à l’hôpital pour être présent lors de l’accouchement. On a su depuis s’adapter et les femmes peuvent désormais être accompagnées. Le plus important est d’éviter à tout prix une rupture dans le suivi des femmes enceintes. Elles doivent pouvoir continuer à venir régulièrement à l’hôpital pour leurs consultations.
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Citer cet article: COVID-19: « La prise en charge des femmes enceintes en réanimation est lourde et difficile émotionnellement » - Medscape - 15 sept 2021.
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