POINT DE VUE

Quelles reconstructions mammaires après cancer du sein dans le contexte épidémique ? Interview du Dr JF Honart

Catherine Moréas

Auteurs et déclarations

14 septembre 2021

France – À peine un tiers des femmes opérées pour un cancer du sein bénéficient d’une reconstruction. Pourquoi ?Les femmes ont-elles pâti de l’épidémie de Covid ? Se voient-elles proposer systématiquement ce type de chirurgie ? Savent-elles qu’elle est prise en charge financièrement à l’hôpital public ? Alors que la Haute autorité de santé prépare de nouvelles recommandations sur l’aide à la décision après une mastectomie, le Dr Jean-François Honart, chirurgien plasticien à l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif), nous aide à comprendre les difficultés rencontrées à la fois par les patientes et par les équipes soignantes, dans ce contexte sanitaire particulier.

Medscape édition française : Comment l’épidémie de Covid-19 a-t-elle impacté les opérations de reconstruction mammaire ?

Dr Jean-François Honart : Au tout début, en mars 2020, toutes les chirurgies non-urgentes ont été décalées, parfois même pour des patientes qui avaient des cancers peu invasifs. Pour la deuxième vague, tout le monde s’était préparé. Beaucoup de moyens étaient mis à disposition, en réserve. Là encore, nous avons sélectionné certaines patientes. Mais cette deuxième vague a été un peu moins importante que la première.

Qu’entendez-vous par « sélectionner » les patientes ?

Dr Honart : Les patientes dont les cancers étaient peu agressifs ont été décalées d’un ou deux mois pour ne pas emboliser les moyens d’anesthésie, de réanimation ou autres. Et en cas de reconstruction immédiate, nous faisions une reconstruction « plus simple », c’est-à-dire avec la pose d’une prothèse, plutôt que des reconstructions plus importantes par lambeau, de peur que ces patientes aillent en soins continus et occupent des lits. C’est d’ailleurs ce que nous faisons encore chez certaines patientes qui ne sont pas décidées sur telle ou telle modalité de reconstruction. Nous leur disons : on vous met une prothèse ce qui permettra de garder l’enveloppe et le tissu cutanés, de façon à vous laisser le temps de la réflexion. Ensuite, soit la prothèse vous convient et vous pouvez la conserver, soit on enlève la prothèse et on change le mode de reconstruction.

Aujourd’hui, où en est-on dans le contexte épidémique ?

Dr Honart : Aujourd’hui, dans un centre comme Gustave Roussy qui n’est pas en première ligne du Covid et où la question principale est de prendre en charge des patients de cancérologie, le Covid n’a quasiment plus d’impact sur notre activité quotidienne. En terme de reconstructions, nous avons repris une activité normale. Ce qui nous bloque aujourd’hui, mais nous ne sommes pas les seuls concernés, c’est le manque d’infirmières. C’est un problème criant, qui se pose au niveau national. La chirurgie, ce n’est pas seulement l’acte chirurgical. Ce sont aussi les soins post-opératoires, l’hospitalisation, le suivi… Et pour ça, nous avons besoin de personnel.

 
Ce qui nous bloque aujourd’hui, mais nous ne sommes pas les seuls concernés, c’est le manque d’infirmières.
 

Certaines de vos patientes ont-elles préféré différer leur opération par peur d’être contaminées par le Covid à l’hôpital ?

Dr Honart : Oui. Hors reconstruction immédiate, une proportion non-négligeable de patientes ne se voyaient pas être hospitalisées en pleine épidémie de Covid. C’était du bon sens. Aujourd’hui, nous voyons très peu ce type d’attitude. La peur d’attraper le Covid à l’hôpital est minime. Les personnels sont vaccinés. Il y a des tests PCR pour toute chirurgie, avant d’endormir un patient. C’est très encadré.

Selon la Haute autorité de santé, seuls 30 % des femmes optent pour la reconstruction après un cancer du sein. Pourquoi si peu ?

Dr Honart : La reconstruction, c’est une chirurgie qui demande du temps, des moyens, une expertise. Or, on sait que l’offre de soins est inégale sur tout le territoire. Certaines patientes n’y ont pas accès. Elles manquent aussi d’informations. Beaucoup ne savent pas qu’elles ont droit à cette reconstruction et que celle-ci fait partie de la prise en charge du cancer du sein. Après la mastectomie, cette reconstruction, qu’elle soit immédiate ou à distance, est prise en charge dans l’ALD, comme la chirurgie initiale. Et puis, il ne faut pas se leurrer : ce sont des actes mal côtés par la Sécurité sociale. Pour mes collègues qui travaillent en libéral, en ville, ce n’est pas très lucratif à moins de demander beaucoup de dépassements d’honoraires à des patientes qui n’ont pas forcément les moyens. C’est dommage.

 
Beaucoup ne savent pas qu’elles ont droit à cette reconstruction et que celle-ci fait partie de la prise en charge du cancer du sein.
 

La Ligue contre le cancer estime à environ 14 % les femmes qui renoncent à la reconstruction pour des raisons financières1, qu’en pensez-vous ? 

Dr Honart : À l’hôpital public, tout est pris en charge à 100 %, donc le problème ne se pose pas. En revanche, les délais d’attente peuvent être longs. Par ailleurs, cette reconstruction n’est pas proposée dans tous les hôpitaux, y compris dans de grands centres parisiens ou dans de grandes villes. Si une patiente ne veut pas attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, elle va se tourner vers la médecine de ville qui, pour le coup, peut lui demander un effort financier.

Comment expliquez-vous le manque d’informations des femmes concernées ?

Dr Honart : Ce manque d’informations vient, en premier lieu de nous, les chirurgiens. À Gustave-Roussy, nous avons la chance que ce soient les mêmes chirurgiens qui fassent la mastectomie et la reconstruction. Ça s’inscrit dans un parcours de soins. Mais dans d’autres centres, le chirurgien sénologue ou le gynécologue ne fait pas toujours de reconstructions. La patiente se perd entre les différents praticiens. On l’informe sur l’hormonothérapie, sur la radiothérapie, sur la surveillance… Mais, souvent, le thème de la reconstruction est très peu abordé.

La HAS prépare des recommandations sur l’aide à la décision. Quels sont les critères à prendre en compte et quelle est la marge de choix de la patiente ?

Dr Honart : Aujourd’hui, nous sommes dans la décision médicale partagée. La patiente prend complètement part à la prise en charge de sa maladie. Nous essayons de proposer une reconstruction immédiate au maximum de patientes, tout en sachant qu’elles ne seront pas toutes éligibles. Cela reste un geste chirurgical supplémentaire avec, potentiellement, des complications. Aujourd’hui, l’objectif est que la patiente ait un traitement qui la soigne dans des délais raisonnables, sans compliquer la chirurgie. Pour les patientes qui n’ont pas de gros facteurs de risque, il est possible de proposer une reconstruction immédiate. Nous exposons à chaque patiente toutes les possibilités auxquelles elle est éligible. Et à la fin, c’est elle qui décide.

 
Nous exposons à chaque patiente toutes les possibilités auxquelles elle est éligible. Et à la fin, c’est elle qui décide.
 

Quelle est la part des femmes qui bénéficient d’une reconstruction immédiate et quelles sont les contre-indications ?

Dr Honart : À Gustave-Roussy, nous la proposons de façon quasi-systématique. Dans ma pratique personnelle, 80 % voire 90 % des patientes opérées d’une mastectomie se voient proposer une reconstruction immédiate. Il y a très peu de contre-indications. L’idée, c’est de dire à la patiente qu’elle aura tous ses traitements en temps et en heure. Nous avons repris les dossiers d’environ 300 patients ayant bénéficié de reconstructions immédiates, au cours de 3 ans de pratique à Gustave Roussy. Quand on compare celles qui ont eu une reconstruction immédiate et celles qui n’en ont pas eu, il n’y a pas de différence sur le début des traitements complémentaires, à un ou deux jours près. Cette reconstruction immédiate est a priori sûre sur le plan de la prise en charge carcinologique. Nous travaillons avec des oncologues et des radiothérapeutes, qui sont rompus à cette technique, et qui comprennent bien le bénéfice pour les patientes. Aujourd’hui, ces patientes vont pouvoir suivre une radiothérapie dans de bonnes conditions. La reconstruction immédiate n’a, en principe, pas d’impact sur la cicatrisation. Donc la radiothérapie pourra commencer un mois à un mois et demi après l’intervention, s’il n’y a pas de chimiothérapie adjuvante.

Le risque de complications est-il plus élevé avec cette reconstruction immédiate ?

Dr Honart : On rajoute un geste chirurgical. Il y a donc des complications potentielles. En reconstruction immédiate, nous faisons beaucoup de reconstruction par prothèse. Comme je vous l’ai dit, le délai de réflexion des patientes est relativement court. Par ailleurs, on connaît peu l’impact de la radiothérapie sur les lambeaux. Nous préférons donc mettre une prothèse quitte à la changer après, pour la remplacer par un lambeau. Aujourd’hui, après une reconstruction immédiate, plus de 90 % des patientes vont conserver la prothèse et n’auront pas de complications.

 
Aujourd’hui, après une reconstruction immédiate, plus de 90 % des patientes vont conserver la prothèse et n’auront pas de complications.
 

Parmi les différentes techniques de reconstruction disponibles actuellement, laquelle est la plus utilisée ?

Dr Honart : Vous l’avez vu, la reconstruction immédiate n’est pas proposée partout. Les reconstructions par lambeau, à plus forte raison les lambeaux microchirurgicaux, nécessitent une expertise, un plateau technique. C’est vraiment spécifique. Il y a des avantages et des inconvénients pour chacune de ces techniques. L’idéal serait que chaque centre qui fait de la chirurgie du sein puisse proposer à l’ensemble des patientes toutes les méthodes disponibles de reconstruction. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas partout. L’avantage des reconstructions par lambeau, c’est que le sein est plus souple. Il est issu des propres tissus de la patiente. Il n’y a pas de corps étranger. Et ce sont des reconstructions définitives. L’inconvénient est que ce type de chirurgie laisse une cicatrice ailleurs que sur le sein et, potentiellement, il peut y avoir des séquelles au niveau du site donneur. Par comparaison, la chirurgie avec prothèse est plus simple, notamment au niveau de la cicatrice.

Le scandale des prothèses PIP a-t-il laissé des traces ?

Dr Honart : Oui, les femmes sont un peu plus réticentes aux prothèses. Elles sont très soucieuses de savoir ce qui va leur être implanté. Il y a eu le scandale PIP, mais aussi les cas de lymphomes anaplasiques à grandes cellules, une pathologie relativement « jeune » sur laquelle nous travaillons beaucoup. On n’en connaît pas toutes les causes. Certaines prothèses ont été retirées du marché en France parce qu’elles étaient a priori plus à risque. Tout cela fait que les patientes s’interrogent de plus en plus. Il faut qu’elles aient toutes les informations et toutes les données en main pour prendre la meilleure décision.

Vues les inégalités d’accès à ces différentes techniques, comment aider les femmes à prendre la meilleure décision si elles ont si peu de marge de manœuvre ?

Dr Honart : Il va falloir former des chirurgiens et les intéresser à ces techniques de reconstruction pour que l’offre de soins soit plus répandue en France. Il faut savoir que les techniques microchirugicales, à part le lambeau de grand dorsal, sont relativement récentes. La microchirurgie nécessite pas mal de moyens. Soit on en fait beaucoup, soit on n’en fait pas du tout.

Qu’attendez-vous des prochaines recommandations de la HAS ?

Dr Honart : Nous attendons juste que la HAS valide la reconstruction immédiate, parce que nous savons qu’elle apporte un réel bénéfice. Elle est déjà validée dans nos référentiels, donc cela ne changera pas nos pratiques au quotidien.

Nous attendons surtout une revalorisation des actes, avec davantage de moyens pour les infirmières et pour les hôpitaux.

 
Nous attendons surtout une revalorisation des actes, avec davantage de moyens pour les infirmières et pour les hôpitaux.
 

 

Crédit photo de Une : Getty Image

 

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