Auvergne-Rhône-Alpes, France – Avec la mise en place de l’obligation vaccinale, certains soignants non vaccinés risquent d’être suspendus, voire de démissionner, notamment après le 15 septembre. Une situation qui pourrait déstabiliser certains services, comme le craignent les syndicats. Enquête en Auvergne-Rhône-Alpes.
Risque de tension accrue dans les services
« J’ai quitté l’Ehpad où je travaillais le 21 juillet dernier », raconte Xavier, ancien aide-soignant dans un établissement pour personnes âgées de Lyon. « Notre médecin coordinateur a mis la pression sur les employés non vaccinés et je me suis retrouvé avec le bonnet d’âne. J’ai donc décidé de partir », poursuit Xavier, qui s’investit désormais dans le collectif des soignants résistants 69, qui compte actuellement 152 membres. Et son cas n’est pas isolé. Dans un contexte de difficultés de recrutement de professionnels de santé dans les établissements de santé, l’obligation vaccinale risque de contribuer à une tension accrue dans les services, comme le craignent les syndicats. Ainsi, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a mis en garde le Premier ministre Jean Castex contre une possible « catastrophe sanitaire » dans les hôpitaux, si « 5 ou 10 % du personnel s'en va » en raison de l'obligation vaccinale.
« Ras-le-bol global »
Aux Hospices civils de Lyon (HCL), Chaïbia Khaif-Janssen, infirmière et secrétaire de la Section Sud-Santé sociaux de l’Hôpital Edouard Herriot, estime que 1000 personnes pourraient être concernées, sur les 23 000 salariés des HCL. « Nous n’avons pas les chiffres globaux des démissions, nous savons seulement que dans le groupement hospitalier Est, en secteur neurologie, il y a déjà eu 47 démissions et 17 mises en disponibilité. Or, nous sommes tellement à flux tendu actuellement, que si nous perdons ne serait-ce que deux personnes dans un service, il ne tourne plus ! » alerte-t-elle. « On ne peut pas se permettre de perdre ces personnes, qui ont généralement de l’expérience ». Les aides-soignantes sont particulièrement concernées. « On entend qu’elles sont moins vaccinées parce qu’elles ont un niveau de diplôme inférieur à celui des médecins. Mais il ne faut pas les prendre pour des imbéciles. Ce n’est pas parce que ce sont des catégories C qu’elles ne réfléchissent pas. Et contrairement aux médecins, elles sont en première ligne dans les services et voient les dysfonctionnements depuis le début de la crise : l’hygiène hospitalière qui laisse à désirer depuis qu’elle a été privatisée, le fait qu’on les ait obligées à venir travailler avec le Covid asymptomatique, ou encore le fait qu’on envoie du personnel aux Antilles alors que nous sommes déjà à flux tendu dans les services. C’est un ras-le-bol global. Elles ne trouvent plus de sens dans leur métier et certaines vont changer de vie », détaille Chaïbia Khaif-Janssen.
Du côté des Hospices civils de Lyon, les ressources humaines, sollicitées par Medscape, n’ont pas souhaité nous communiquer de chiffres sur les démissions ou sur une éventuelle pénurie d’aides-soignants dans les semaines à venir. Ils se sont contentés de nous informer que (au 3 septembre) : « aux HCL, près de 90% de professionnels ont satisfait à l’obligation de vaccination. Les données continuent d’être consolidées ». Ce qui laisse encore 10 % de non-vaccinés, soit environ 2300 professionnels (tous métiers confondus).
Difficultés de recrutement pré-existantes
Pour Serge Malacchina, délégué régional de la Fédération Hospitalière de France (FHF) Auvergne-Rhône-Alpes, « il est à ce jour prématuré d’évoquer une éventuelle pénurie d’aides-soignants liée à l’obligation vaccinale en Auvergne-Rhône-Alpes ». Selon lui, « depuis de nombreux mois/années, les structures publiques (Centres hospitaliers et EHPAD) peinent à recruter les professionnels de santé : médecins, infirmiers et aides–soignants. De nombreux postes sont actuellement vacants pour différentes raisons sans qu’il n’y ait un quelconque lien avec l’obligation vaccinale (problème de démographie médicale, de statut/rémunération, de conditions de travail liés notamment aux effectifs, crise Covid ayant précipité des projets de reconversion professionnelle et réalisation de projets personnels, aspirations sociétales, etc). Dans ce contexte, la mise en place de l’obligation vaccinale, compréhensible et indispensable en ce qu’elle protège notamment les patients/résidents les plus fragiles dont les hôpitaux et EHPAD ont la responsabilité, est une variable de plus à prendre en compte dans la gestion des établissements », estime-t-il.
S’il reconnaît « manquer de visibilité à ce jour sur les taux de vaccination de nos professionnels », il note qu’ils sont estimés en moyenne à près de 90 %, les taux variant d’un territoire à l’autre. « Ce taux ne cesse d’augmenter et de nombreuses directions d’établissements pensent que certains agents attendront la « dernière minute » soit la veille de l’échéance du 14 septembre pour se faire vacciner sans compter ceux qui dans les 10 % restant n’ont pas encore transmis leur statut vaccinal », souligne-t-il.
« Le manque de personnel ne concerne pas que les aides-soignants, les difficultés de recrutement sont préexistantes à la nouvelle obligation vaccinale et il est difficile à ce jour de disposer de chiffres précis et fiables tant que la date du 15 septembre n’est pas atteinte et donc les premières suspensions effectuées », résume-il.
Dans le privé, 5 à 10 % de personnels non vaccinés
De son côté, Laure Montagnon, déléguée régionale de la Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne (FEHAP, fédération référente des champs sanitaire, social et médico-social du secteur privé à but non lucratif) Auvergne-Rhône-Alpes et directrice générale de l’hôpital de Fourvière à Lyon, observe que « les établissements, hôpitaux ou Ehpad, qui ont vacciné en interne ont une meilleure visibilité sur le statut vaccinal de leurs salariés ». Elle note cependant qu’il est « difficile de faire des généralités et de donner des chiffres globaux. Nous avons fait le 9 septembre une réunion de délégation avec tous les champs de la FEHAP représentés et nous avons estimé à 5 à 10 % le taux de soignants de la région qui, soit ne sont pas vaccinés, soit ne nous ont pas donné leur statut vaccinal. Il y a quelques exceptions, avec par exemple un Ehpad d’Auvergne qui a 20 % de non vaccinés et qui a déjà connu 3 démissions. A l’inverse, il y a des établissements qui étaient très en avance et qui ont 100 % de vaccination. Dans les SSIAD, un certain nombre d’aides-soignants ne sont pas vaccinés et ne veulent manifestement pas l’être. Ils vont donc se mettre en retrait ou démissionner. Mais tous les champs sont impactés par la pénurie d’aides-soignants et d’infirmiers », souligne-t-elle, tout en notant que les médecins, eux, sont généralement vaccinés.
Elle indique que l’Agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place un tableau complet des recensements des situations potentiellement complexes. Contactée par Medscape, l’ARS n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Quelles sanctions pour les responsables ?
Les directeurs d’Ehpad pourront être contrôlés par l’ARS (Agence régionale de santé) et des violations répétées à l’obligation vaccinale peuvent entraîner une sanction allant jusqu’à un an d’emprisonnement et de 9000 € d’amende. Pour ce qui est des hôpitaux, l'amende serait de 45 000 euros pour la personne morale chargée du contrôle (directeur d'hôpital, etc.) à partir de la troisième récidive.
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Citer cet article: Obligation vaccinale : crainte d’une pénurie de soignants en Auvergne-Rhône-Alpes - Medscape - 13 sept 2021.
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