Monde— La maison brûle et le monde de la santé ne veut plus regarder ailleurs.
Les rédacteurs en chef d’une vingtaine de journaux médicaux (NEJM, BMJ, Lancet, PLOS…) ont lancé ce lundi un appel aux leaders mondiaux à prendre des mesures urgentes pour limiter la hausse des températures, restaurer la biodiversité et assurer une meilleure protection de la santé[1].
Et ce, sans attendre la fin de la crise du Covid-19. « La science est sans équivoque, écrivent les auteurs d’un éditorial publié dans plus de 200 publications scientifiques : une augmentation globale de 1,5°C au-delà de la température moyenne de l’ère préindustrielle et la perte continue de biodiversité risquent d’entraîner des dommages catastrophiques irréversibles pour la santé. »
Une prise de position inédite
Cette prise de position conjointe des revues scientifiques est inédite. Elle intervient moins d’un mois après la publication d’un rapport alarmant du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) selon lequel la hausse de la température globale s’est accentuée à un tel rythme que le seuil de 1,5°C de réchauffement depuis l’ère préindustrielle pourrait être dépassé entre 2021 et 2040 (la hausse a déjà atteint +1,1°C par rapport à la période 1850-1900).
Cette initiative survient au terme d’un mois de juillet 2021 le plus chaud jamais observé par les stations météo, marqué par des phénomènes climatiques extrêmes (dôme de chaleur en Amérique du Nord, feux de forêt en Sibérie, Algérie, Turquie… inondations en Allemagne et en Belgique…)
Le chaud et l’effroi
Or, les hausses de températures ne sont pas sans impact sur l’état de santé des populations [2]. Elles provoquent des déshydratations et des altérations de la fonction rénale, des cancers de la peau, des infections tropicales, des troubles psychiatriques, des complications de grossesse et une mortalité accrue par maladies cardiovasculaires ou pulmonaires[3,4]. « Au cours des 20 dernières années, la mortalité liée à la chaleur chez les personnes de plus de 65 ans a augmenté de plus de 50 %[5] », affirment les journalistes scientifiques qui précisent que « les préjudices affectent de manière disproportionnée les plus vulnérables, notamment les enfants, les populations plus âgées, les minorités ethniques, les communautés les plus pauvres et les personnes ayant des problèmes de santé sous-jacents ».
Contribuant également à la baisse de rendement des cultures et participant à l'épuisement des sols, le réchauffement climatique, assèche les cours d'eau, met à mal la sécurité alimentaire et « augmente le risque de pandémie », soulignent les auteurs, inquiets de voir émerger des conflits et déplacements de populations.
Refusant d’accepter cette hausse de température globale comme une fatalité, les experts invitent les dirigeants de tous les pays à s’engager réellement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en menant des plans crédibles à court et à long terme pour accélérer le développement de technologies plus propres.
« Plus peut et doit être fait maintenant », exhortent les signataires de l’éditorial, qui espèrent être entendus par les dirigeants des Etats réunis du 11 au 24 octobre au sommet sur la biodiversité de Kunming, en Chine, et lors de la prochaine conférence sur le climat (COP26) programmée du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow.
Un modèle de société à repenser
Au-delà d’un appel adressé aux pays les plus riches à atteindre zéro émission nette avant 2050, les revues scientifiques leur préconisent d’adopter un nouveau modèle de société reposant notamment sur une refonte des systèmes de transport, une nouvelle organisation des villes, de la production et la distribution de nourriture, des marchés d'investissements financiers…
« En tant que professionnels de la santé, nous devons faire tout notre possible pour faciliter la transition vers un monde durable, plus juste, résilient et plus sain », clament les experts, désireux de voir émerger avant 2040 des systèmes de santé soutenables.
L’initiative des revues scientifiques a été saluée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). « Le rapport du GIEC montre que chaque fraction de degré de réchauffement met en péril notre santé et notre avenir. Inversement, chaque mesure prise pour limiter les émissions et le réchauffement nous rapproche d’un avenir plus sain et plus sûr », a affirmé son directeur, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Interrogé par Medscape, le Dr Xavier Gocko, directeur de la rédaction de la revue francophone de médecine générale Exercer, estime que cette intervention pourrait aider la population à percevoir la concrétude des changements climatiques. « En pointant notamment leur incidence sur l’évolution des pathologies, les revues scientifiques nous rendent les impacts du dérèglement climatiques plus palpables », analyse-t-il.
La médecine environnementale a gagné du terrain auprès de la profession ces dernières années, poursuit le médecin généraliste de Saint-Etienne, qui observe en France la multiplication de travaux de thèse et donc l’intérêt de la jeune génération pour cette thématique.
Jusqu’où doit aller cette implication ? Il y a deux ans, le Dr Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet, déclarait dans une vidéo publiée sur Twitter* qu’il était du devoir des médecins de s'impliquer dans des manifestations non violentes pour faire face à l'urgence climatique. (Lire aussi Des médecins s’engagent pour le climat)
Retrouvez ici, la liste complète des signataires.
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Citer cet article: 200 revues médicales pressent les Etats d’agir contre le réchauffement climatique - Medscape - 8 sept 2021.
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