Nouvelles recommandations européennes sur la prise en charge des valvulopathies

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

7 septembre 2021

Virtuel –  La Société européenne de cardiologie (ESC) a présenté ses nouvelles recommandations européennes sur la prise en charge des valvulopathies lors du congrès virtuel de l’ESC 2021 [1.]Elles ont été publiées simultanément dans le European Heart Journal[2]. Les dernières recommandations dataient de 2017.

Parmi les nouveautés: une intervention chirurgicale plus précoce chez les patients asymptomatiques et une préférence pour le remplacement de valve aortique par voie percutanée (TAVI) chez les patients de 75 ans et plus. Les anticoagulants oraux directs (AOD) voient également leur place renforcée après la pose d’une bioprothèse valvulaire.

Dans le document, les experts insistent tout d’abord sur la nécessité de passer par des centres spécialisés dans la prise en charge des valvulopathies pour accéder notamment à un meilleur dépistage. Ils décrivent les étapes de l’évaluation clinique du patient et les tests cliniques à utiliser (échocardiographie 3D, IRM cardiaque, biomarqueurs…) pour aider les équipes à définir le traitement le plus approprié.

Améliorer le dépistage

« Il faut notamment une expertise dans le dépistage, en particulier pour utiliser l’échocardiographie. Le test d’effort, largement sous-utilisé, est aussi nécessaire », afin de pouvoir évaluer la gravité de la valvulopathie chez les patients asymptomatiques, a précisé auprès de Medscape édition française, le Pr Alec Vahanian (Hôpital Bichat-Claude Bernard, AP-HP, Paris), qui a dirigé la rédaction des nouvelles directives.

 
L’avis éclairé du patient est essentiel.
 

Le choix entre un traitement chirurgical et une intervention moins invasive par voie percutanée doit tenir compte de divers paramètres cliniques et anatomiques, qui sont listés dans le document. Il doit également impliquer le patient. « L’avis éclairé du patient est essentiel. On insiste davantage sur ce point dans ces nouvelles directives », a ajouté le cardiologue.

 
Des études de suivi ont pu montrer que les seuils [des paramètres] utilisés jusqu’à présent amenaient à intervenir un peu trop tard.
 

Concernant la prise en charge des patients asymptomatiques, on observe un élargissement des indications pour une chirurgie précoce chez ceux à bas risque chirurgical dans le traitement d’un rétrécissement aortique sévère, mais aussi de l’insuffisance aortique ou mitrale. Selon le Pr Vahanian, « des études de suivi ont pu montrer que les seuils [des paramètres] utilisés jusqu’à présent amenait à intervenir un peu trop tard ». 

Sténose aortique: limite d’âge pour la chirurgie

Dans le cas du rétrécissement aortique, la prise en charge des patients asymptomatiques s’est longtemps réduite à une surveillance non invasive, jusqu’à l’apparition des symptômes. L’intervention chirurgicale, déjà proposée dans la version 2017 des recommandations chez les patients avec facteurs de mauvais pronostic, est désormais à envisager pour une FEVG < 55% et non plus < 50% (recommandation de classe IIa).

Le bénéfice de l’intervention chirurgicale précoce a notamment été démontré dans une étude randomisée menée chez des patients asymptomatiques avec rétrécissement aortique sévère (surface valvulaire aortique < 0,75 cm² et Vmax ≥ 4,5 m/s ou gradient moyen ≥ 50 mm Hg). Après un suivi médian de 6 ans, la mortalité opératoire ou cardiovasculaire était de 1% dans le groupe « chirurgie immédiate », contre 15% avec une surveillance régulière [3].

Pour les patients asymptomatiques à bas risque chirurgical sans symptômes pendant l’effort, l’intervention chirurgicale doit aussi être envisagée en présence d’au moins un paramètre parmi les suivants (classe IIa) :

-   Sténose aortique sévère (gradient moyen ≥ 60 mm Hg ou Vmax ≥ 5 m/s)

-   Calcifications sévères et Vmax avec progression ≥ 0,3 m/s/an

-   BNP élevé (> 3 fois la normale), confirmé par des dosages répétés, sans autre explication

La pression artérielle pulmonaire systolique (PAPS) au repos n’est plus un critère de sélection des patients asymptomatiques candidats à une chirurgie.

La durabilité des prothèses en question

Concernant les patients symptomatiques, on s’attendait à un élargissement des indications du TAVI aux patients à faible risque opératoire, après les essais concluants de PARTNER-3 et Evolut Low Risk, qui ont révélé la non-infériorité des valves percutanées par rapport aux bioprothèses chirurgicales dans cette population de patients. Les experts ont préféré fixer une limite d’âge à 75 ans au-dessus de laquelle le TAVI est recommandé, qu’importe le risque chirurgical.

Il faut reconnaitre que nous ne disposons pas de donnés suffisantes sur la durabilité à long terme des prothèses TAVI  Dr Bernard Prendergast

L’approche transcutanée est ainsi préconisée chez les patients à haut risque chirurgical (STSPROM/Euroscore II > 8%) et chez tous les patients de 75 ans ou plus (niveau IA). Chez les moins de 75 ans à bas risque (STSPROM/Euroscore II < 4%), l’approche chirurgicale est à préférer (classe IB). Pour les patients de moins de 75 ans à risque intermédiaire, le choix de la méthode est à discuter selon les facteurs de risque, listés dans les recommandations.

« Il faut reconnaitre que nous ne disposons pas de donnés suffisantes sur la durabilité à long terme des prothèses TAVI », a souligné le Dr Bernard Prendergast (St Thomas Hospital and Cleveland Clinic, Londres, Royaume-Uni) pour justifier le seuil des 75 ans, lors de sa présentation en ligne consacrée aux recommandations sur le traitement de la sténose aortique [4]. Les données disponibles, jusqu’à présent rassurantes, concernent des périodes de suivi de dix ans maximum.

Dans les recommandations américaines, le choix entre le TAVI ou la chirurgie est discuté dès l’âge de 65 ans, a précisé le Pr Vahanian. Selon lui, il apparait plus pertinent de prendre également en compte l’espérance de vie. « On se maintient ainsi dans les limites connues de la durabilité des valves TAVI. »

Insuffisance aortique: traiter les patients asymptomatiques

En ce qui concerne l’insuffisance aortique, il est désormais recommandé de traiter les patients asymptomatiques par chirurgie lorsque se présente l’un des critères suivants (classe I):

-   diamètre télé-systolique du ventricule gauche (DTSVG) > 50 mm

-   diamètre télé-systolique du ventricule gauche (DTSVGi) > 25 mm/m2

-   FEVG ≤ 50%

En cas de bas risque chirurgical, le traitement peut aussi être envisagé chez les patients asymptomatiques avec un DTSVGi) > 25 mm/m2 ou une FEVG ≤ 55%.

Insuffisance mitrale: place plus importante du TEER

Dans l’insuffisance mitrale primaire, plusieurs seuils ont été modifiés pour favoriser une chirurgie plus précoce chez les patients asymptomatiques. L’intervention est désormais recommandée pour un DTSVG ≥ 40 mm (et non plus 45 mm) ou une FEVG ≤ 60% (classe I).

De même, la chirurgie doit être envisagée chez les patients asymptomatiques avec un DTSVG < 40 mm et une FEVG> 60% en cas d’insuffisance mitrale secondaire ou de pression artérielle pulmonaire au repos > 50 mm Hg (classe IIa).

Le traitement percutané par réparation bord-à-bord (TEER) de la valve avec un dispositif de type MitraClip (Abbott) doit être envisagé chez les patients à haut risque chirurgical ou non opérables, à condition que les paramètres anatomiques soient adaptés à l’intervention. La recommandation est passée de classe IIb à IIa.

Définition de l’insuffisance mitrale secondaire sévère

Dans l’insuffisance secondaire, la plastie mitrale percutanée doit également être considérée chez les patients, qui ne peuvent pas être opérés et qui restent symptomatiques, malgré un traitement médical optimal (classe IIa). Les patients sont sélectionnés en suivant les critères de l’essai américain COAPT, qui a révélé un bénéfice du traitement à deux ans, contrairement à l’essai français MITRA-FR.

Selon les critères de sélection COAPT, « les patients avec insuffisance mitrale secondaire pouvant potentiellement bénéficier du traitement percutané doivent avoir un traitement médical optimal, mais aussi un ventricule gauche pas trop dilaté et une fraction d’éjection pas trop basse. Leur insuffisance mitrale est importante et le ventricule droit ne présente pas de dysfonction », a indiqué le Pr Vahanian.

Les nouvelles recommandations apportent en conséquence une nouvelle définition de l’insuffisance mitrale secondaire, davantage en accord avec la définition américaine. Les critères sont les suivants:

-   Surface d’orifice régurgitant (SOR) ≥ 40 mm2 ou ≥ 30 mm2 (au lieu de 20 mm2) en cas d’orifice elliptique;

- Volume régurgitant (VR) ≥ 60 mL ou ≥ 45 mL (au lieu de 30 mL) en cas de bas débit.

Insuffisance tricuspide: introduction du traitement percutané 

Les indications ont également été élargies dans le traitement de la valve tricuspide, en particulier dans l’insuffisance tricuspide secondaire. Pour rappel, le traitement des fuites de la valve tricuspide était essentiellement limité aux diurétiques, l’intervention chirurgicale étant considérée comme à très haut risque.

Récemment, des essais ont pu montrer l’intérêt du traitement percutané bord-à-bord, à l’aide notamment du dispositif TriClip (Abbott). Les nouvelles recommandations donnent pour la première fois une place à l’approche percutanée dans le traitement de l’insuffisance tricuspide secondaire sévère symptomatique chez des patients non opérables, à condition de passer par des centres experts (classe IIb).

Concernant la chirurgie sur valve tricuspide, les recommandations de 2017 considéraient qu’elle devait être envisagée uniquement après intervention chirurgicale sur ventricule gauche. Cette condition a été supprimée. L’intervention doit désormais être envisagée chez les patients symptomatiques ou présentant une dilatation du ventricule droit, sans dysfonction des ventricules ou hypertension pulmonaire (IIa).

Traitement anticoagulant: utilisation élargie des AOD

Du côté de la prévention du risque thromboembolique, les recommandations valorisent davantage l’occlusion systématique de l’auricule gauche, à réaliser lors d’une intervention chirurgicale sur valve cardiaque chez les patients en fibrillation atriale (CHA2DS2-VASc score ≥ 2) (classe passée de IIb à IIa). Cette recommandation s’appuie sur l’étude LAAOS III, qui a montré que l’opération est associée à une baisse du risque d’AVC ischémique ou d’embolie systémique [5].

Chez les patients avec fibrillation atriale (FA) présentant une sténose aortique, une insuffisance mitrale ou aortique, il est désormais recommandé de préférer les anticoagulants oraux direct (AOD) aux AVK (niveau I). Après implantation d’une bioprothèse par chirurgie, la prise d’un AOD pendant trois mois doit être envisagée chez les patients avec FA (classe IIa).

Pour les autres patients, les experts n’ont pas tranché sur le choix entre une faible dose d’aspirine (75-100 mg/jour) ou un traitement par AVK, l’un ou l’autre devant être considéré pendant les trois premiers mois qui suivent la pose d’une bioprothèse valvulaire par voie chirurgicale (IIa), avec un niveau de recommandation plus faible dans le cas d’une bioprothèse en position mitrale (IIb).

TAVI: la double anti-agrégation plaquettaire abandonnée

Concernant le TAVI, le traitement anticoagulant apparait davantage simplifié. « Auparavant, deux antiplaquettaires devaient être prescrits de manière systématique. Désormais, un seul suffit », a commenté le Pr Vahanian. Le traitement antiagrégant simple est à prendre à vie après la pose de la prothèse par voie percutanée (classe I).

Auparavant, deux antiplaquettaires devaient être prescrits de manière systématique. Désormais, un seul suffit Pr Vahanian

Cette nouvelle recommandation fait suite aux résultats de l’essai POPular TAVI, présentés lors du congrès de l’ESC 2020. Ceux-ci ont montré qu’un traitement préventif par aspirine seule est associé à un risque hémorragique plus faible comparativement à la bithérapie aspirine/clopidogrel, sans majoration du risque thromboembolique.

Un traitement en routine par AOD n’est pas recommandé après un TAVI s’il n’était pas indiqué pour le patient avant l’opération (niveau III). En revanche, si le patient était sous AOD, le traitement est à conserver (classe I).

Enfin, autre nouveauté: en cas d’altération des prothèses se traduisant par un épaississement ou une baisse de mobilité des feuillets à l’origine d’une augmentation du gradient trans-prothétique, un traitement par anticoagulant doit être envisagé (classe IIa).

Les déclarations d’intérêt des auteurs ont fait l’objet d’une publication annexe accompagnant les recommandations.

Le Pr Prendergast a déclaré des liens d’intérêt avec Abbot, Anteris, Microport et Edwards Sciences


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