France – A la sortie du premier confinement, nous avions interviewé le Dr François Bourgognon, psychiatre et psychothérapeute, spécialiste d’une thérapie proche de la méditation et dite « d’acceptation et d’engagement » (voir Comment la thérapie d’acceptation et d’engagement peut-elle aider à traverser la crise? Par le Dr Bourgognon). Il nous avait expliqué comment cette thérapie qui propose d’embrasser l’inconfort et de mettre son énergie au service de ce qui compte vraiment pour soi, pouvait être une aide lors de cette période difficile. Aujourd’hui, alors que la crise sanitaire actuelle s’éternise et que les professionnels de santé s’épuisent, nous lui avons demandé comment gérer au mieux la rentrée avec cette thérapie à laquelle il vient de consacrer un « Que sais-je ? », co-écrit avec Claude Penet (voir encadré).
Medscape édition française : En quoi les 18 mois que nous venons de passer ont-ils modifié notre façon de voir et de faire et comment la thérapie d’acceptation et d’engagement nous invite à changer notre vision des choses ?
Dr François Bourgognon : Nous avons confondu le confort et la productivité avec le bonheur et l’accomplissement. Avant la crise sanitaire, notre logique de vie était centrée sur le tout confort, le tout contrôle et le fait de se fixer des objectifs. Tout inconfort était considéré comme anormal et se fixer des objectifs semblait aller de soi dans le contexte d’une vie réussie.

Dr François Bourgognon
Or, cette logique – qui n’est pas une façon de voir très opérante à la base – s’est trouvée, avec la crise du Covid, ne plus fonctionner du tout car on se retrouve, depuis 1 an et demi, primo, dans une situation où l’on est privé de tous nos objectifs, deusio, dans un monde qui est régulièrement à l’arrêt – ou du moins partiellement –, et nos stratégies de contrôle ne fonctionnement pas. En clair, nous sommes face à une forme de réalité sur laquelle nous n’avons pas de prise. Ce que nous invite à faire la thérapie d’acceptation et d’engagement, c’est de changer de logiciel, de sortir de la logique de contrôle, de confort et centrer sur les objectifs pour aller vers une logique d’acceptation, d’engagement et centrée sur des valeurs.
Medscape édition française : En quoi cette thérapie n’offre-t-elle pas du tout la même façon de voir ?
Dr Bourgognon : La thérapie d’acceptation, c’est d’accepter de faire avec la réalité, et de ne pas essayer à tout prix de la contrôler alors qu’on ne peut pas. L’idée n’est plus d’être dans une logique de case à cocher mais de cheminer, dans la réalité du moment, dans la bonne direction – celle que nous indiquent nos valeurs. Quand on arrive à être dans cette logique-là, tout fonctionne mieux. Je dirais même que cette thérapie est un antidote au fonctionnement sociétal qui a pu poser problème et nous a mis en difficulté dans le cadre de cette pandémie.
Medscape édition française : Cette façon de penser est-elle fondamentalement nouvelle ?
Dr Bourgognon : En réalité, on peut retrouver plein de résonnance dans des systèmes philosophiques et de pensées qui existent depuis des millénaires. On peut penser aux Stoïciens qui nous expliquaient qu’il y a des systèmes sur lesquels on peut agir et d’autres pas et que l’on ne peut pas contrôler. Les idées que prônent la thérapie d’acceptation et d’engagement ne sont donc pas nouvelles mais elles ont quelque chose de révolutionnaire dans le contexte de l’époque actuelle. Il s’agit de retrouver une forme de sagesse sur comment faire avec cette réalité, sachant que la refuser, non seulement ne la fait pas disparaitre, mais aggrave nos difficultés. On s’épuise dans des efforts qui se retournent contre nous. Tout l’enjeu, c’est de voir ce que les outils de la thérapie d’acceptation et d’engagement peuvent nous apporter pour traverser cette période – pas de façon confortable pour le coup – mais sans se tirer des balles dans le pied en plus. Cette thérapie ne consiste pas tant à résoudre la douleur ou le malheur qu'à ne pas l’aggraver avec nos propres réactions. L’idée est de ne pas rajouter du malheur au malheur en refusant des choses qui s’imposent à nous et sur lesquelles nous ne pouvons pas agir mais à continuer d’avancer du mieux que l’on peut en direction de ce qui est important pour nous. C’est une thérapie que je trouve très adaptée pour traverser la crise actuelle.
Comment se situent les adeptes de la théorie du complot pour qui, tout est contrôle, par rapport à la thérapie d’acception et d’engagement ?
Dr François Bourgognon : De mon point de vue, croire à des thèses complotistes est le symbole d’un déficit d’acceptation – même si l’on peut toujours craindre que certains profitent de la situation. Cela revient à dire que l’on préfère adhérer à l’idée qu’il existe une pensée malfaisante derrière la pandémie et sa gestion plutôt que d’évoquer la malchance et d’accepter qu’une part de la réalité échappe à notre contrôle. De façon générale, on a eu tendance à évacuer de nos façons de penser la notion de malheur inévitable et de malchance, inhérente à notre condition d’être humain alors qu’on est tous susceptibles d’être soumis à des accidents, à des ruptures, à des deuils et c’est ainsi.
Et lorsqu’on ne voit pas d’issue ?
Dr Bourgognon : Accepter que la solution soit qu’il n’y en ait pas, fait aussi partie de la thérapie d’acceptation qui prône qu’embrasser cette idée est plus supportable que de la refuser. On en revient à la définition même de la théorie d’acceptation et d’engagement : faire avec ce qui ne peut être évité ou changé et, dans cette réalité-là, essayer d’orienter son énergie du mieux que l’on peut dans la bonne direction.
Qu’est-ce que signifie concrètement aujourd’hui mettre son énergie dans la bonne direction, et en particulier quand on est soignant ?
Dr Bourgognon : Ce qui nous donne la bonne direction, ce sont nos valeurs. Et souvent, quand on a choisi un métier de soignant, celles qui prévalent sont des valeurs d’altruisme, de bienveillance, de soin, de compassion, d’attention. Ensuite, il s’agit de voir comment faire du mieux qu’on peut – sachant qu’on ne pourra pas faire exactement ce qu’on veut –, comment rester aligné par rapport à ce qu’on estime juste, beau et bon de faire. Et c’est bien ce qui est compliqué en ce moment pour les soignants car on leur demande de faire l’infaisable et cette exigence est à la fois épuisante, écrasante et figeante. D’ailleurs, quand on leur demande trop, des soignants « explosent », font des burn-out ou se ré-orientent. Nous avons un peu perdu cette notion « du mieux qu’on peut », elle est pourtant essentielle car elle sous-tend une forme de bienveillance envers soi-même. Cela signifie « ne pas se blâmer de ne pas pouvoir faire mieux que du mieux que je peux ».
Face à une situation professionnelle compliquée, quel est le cheminement à adopter?
Dr Bourgognon : Dans notre ouvrage (voir encadré), nous détaillons les trois étapes cruciales de la thérapie que sont la présence, l’acceptation et l’engagement. Présence, c’est regarder la réalité bien en face. Accepter, c’est faire la part entre, ce sur quoi je peux agir, et ce avec quoi il faut faire, et embrasser cet état de fait. Ensuite, l’idée est de s’engager du mieux que l’on peut dans cette réalité en direction de nos valeurs.
Quand vous parlez d’acceptation, ce n’est pas de la résignation.
Dr Bourgognon : Absolument pas. Nous ne sommes pas là pour faire accepter l’inacceptable. Dans la thérapie d’acceptation et d’engagement, le mot « accepter » n’est pas à entendre dans le sens de se résigner, ni dans le sens d’être « d’accord avec » mais dans le sens de « faire avec » ce qu’on ne peut éviter ou changer. Accepter que l’on est dans une situation de conflit de valeur avec son employeur, par exemple, plutôt que de la refuser. Une fois réalisé ce premier pas d’accueil de la réalité, on peut décider quoi répondre et c’est parfois opposer un refus à ce que l’on est en train de vivre (et parfois même décider de démissionner). Au bout du raisonnement, il y a la question du choix. Pour pouvoir choisir sa réponse, il faut pouvoir regarder les choses en face et accepter qu’elles sont comme elles sont.
Que conseiller aux soignants qui se sentent à bout ?
Dr Bourgognon : Il est important de leur rappeler que l’on a nos limites et que l’on a besoin aussi de s’occuper de nous. Quand on ne se sent pas bien, il ne faut pas attendre de tomber mais prendre soin de soi. Cela ne veut pas dire se centrer sur soi de façon égoïste, mais considérer, qu’à un moment, on ne peut pas faire que donner. Il faut accepter que l’on ne soit pas des super héros, que nos batteries ne sont pas inépuisables et qu’il faut aussi « récupérer ».
Autre sujet de préoccupation : la difficulté à se projeter. Que propose la thérapie d’acceptation et d’engagement face à l’incertitude de l’avenir ?
Dr Bourgognon : Parmi les choses à accepter en ce moment, il y a le fait qu’on n’ait pas des projections très claires. Il faut savoir faire avec le flou. Il faut à la fois se projeter raisonnablement, à moyen terme, sans accrocher de façon trop rigide des échéances – un vrai travail d’équilibriste –, tout en gardant à l’esprit, qu’un jour ou l’autre, on va s’en sortir car ce n’est pas la première épidémie que l’humanité traverse.
D’après vous, va-t-on sortir changés de cette crise ?
Dr Bourgognon : Je l’espère très fortement sinon cela voudrait dire qu’elle n’aura servi à rien. Je souhaite que cette crise nous aider à considérer qu’il faut changer de logiciel et à comprendre que l’acceptation et l’engagement en direction des valeurs, cela fonctionne mieux que le confort, le contrôle et les objectifs.
Psychiatre et psychothérapeute, François Bourgognon est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « La thérapie d’acceptation et d’engagement », co-écrit avec Claude Penet, et préfacé par Fabrice Midal. Ils y développent ce qu’est la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT pour acceptance and commitment therapy), une psychothérapie développée par Steven C. Hayes dans les années 1980 et fondée sur la méthode scientifique, qui puise ses sources dans le comportementalisme et les pratiques méditatives d’origine bouddhiste. Appartenant la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives (TCC), elle recourt à de nombreux exercices, dont la méditation de pleine conscience (mindfulness). « La thérapie d’acceptation et d’engagement », Que sais-je, 2021, 128 p, 9 €.
Crédit photo : Ralph Benoit
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Citer cet article: Sortie de crise COVID incertaine : comment la thérapie d’acceptation et d’engagement peut aider - Medscape - 3 sept 2021.
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