Virtuel – Chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque (IC) à fraction d’éjection préservée (FEVG> 40%), avec ou sans diabète, l’ajout de l’inhibiteur de SGLT2 empagliflozine (Jardiance®, Boehringer Ingelheim et Eli Lilly and Company) au traitement standard permet de réduire de 21% le critère combiné de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, selon l’essai randomisé EMPEROR-Preserved. Principalement lié à la baisse des hospitalisations, le bénéfice du traitement s’atténue au-delà d’une FEVG de 65%.
Présentés en session hot line lors de l’édition virtuelle du congrès de l’European Society of Cardiology (ESC2021) et publiés simultanément dans The New England Journal of Medicine[1,2] , ces résultats très attendus viennent compléter ceux de l’essai randomisé EMPEROR-Reduced , qui avait rapporté l’année dernière une baisse de 25% du même critère combiné chez les patients atteints d’IC avec fraction d’éjection diminuée (FEVG≤ 40%) traités par empagliflozine.
Concernant les critères secondaires de l’essai EMPEROR-Preserved, l’analyse montre que l’inhibiteur de SGLT2 réduit les hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 27%. Le traitement permet également de ralentir de manière significative le déclin de la fonction rénale pour certains patients. En revanche, les résultats sur la mortalité CV et la qualité de vie ne sont pas significatifs.
Une première dans l’IC à fraction d’éjection préservée
Les cohortes des deux études EMPEROR ont été regroupées dans l’essai EMPEROR-Pooled pour une analyse globale, dont les résultats ont été également présentés lors de cette session virtuelle [3]. Il en ressort que l’effet de l’empagliflozine sur le taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque se maintient pour une FEVG < 65%, puis s'atténue au-delà de ce seuil.
Pour rappel, l’empagliflozine et la classe des inhibiteurs de SGLT2 en général ont été développés pour soigner le diabète. Ils agissent en empêchant la réabsorption du glucose dans le tube contourné proximal rénal. L’empagliflozine est depuis peu disponible dans le traitement du diabète de type 2 et a été autorisé en Europe dans le traitement de l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite, quelques mois après la dapagliflozine (FORXIGA®, AstraZeneca).
Aucun traitement n’avait montré jusqu’à présent un bénéfice significatif chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Les résultats des deux essais EMPEROR évaluant l’effet de l’empagliflozine dans cette indication sont donc une première et l’enthousiasme était perceptible sur le plateau réunissant les quelques spécialistes venus apporter leur point de vue en fin de présentation.
« Il s’agit sans aucun doute d’une étude qui fera date. C’est une avancée majeure dans la prise en charge de patients insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée », a commenté le Pr Frank Ruschitzka (University Heart Center, Zurich, Suisse) en évoquant EMPEROR-Preserved. Les résultats des deux essais vont également « nous aider à redéfinir l’insuffisance cardiaque », a-t-il ajouté.
Vers un nouveau seuil de FEVG « normale »?
Ils amènent, en effet, à s’interroger sur le seuil caractérisant une fraction d’éjection normale. Dans EMPEROR-Reduced, un tiers des patients ont une FEVG comprise entre 41 et 49%, qui définit désormais une IC à fraction déjection « légèrement réduite » (HFmrEF), pour laquelle un traitement standard peut être envisagé, selon les nouvelles recommandations de l’ESC sur l’insuffisance cardiaque, également révélées lors de ce congrès.
Le bénéfice de l’empagliflozine étant majeur jusqu’à une FEVG de 60% à 65%, le seuil d’une FEVG diminuée pourrait passer de 40% à 60%, a suggéré le Pr Ruschitzka. Dans les nouvelles recommandations, la fraction d’éjection est considérée comme préservée pour une FEVG≥ 50%. « Il est peut-être temps de considérer la fraction d’éjection comme normale au-delà du seuil de 60% », estime le cardiologue.
« Cette étude est remarquable. On ne s’attendait pas forcément à un tel résultat », a commenté le Pr Damien Logeart (hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris), auprès de Medscape édition française. « Jusqu’à présent, tous les essais menés depuis plus de 15 ans étaient incapables de démontrer un quelconque bénéfice avec un traitement chez ces patients insuffisants cardiaques avec FEVG>40%. On a enfin un médicament dans cette indication ».
En revanche, « chez les patients présentant une FEVG réellement normale, on ne dispose pas de traitement efficace », poursuit le cardiologue. Il reste désormais à définir le seuil d’une FEVG normale, « qui pourrait être de 55% chez les hommes et 60% chez les femmes », des seuils en dessous desquels les autres traitements utilisés dans l’IC à fraction réduite ont pu montrer encore une efficacité dans certaines études, a-t-il précisé.
Pas encore dans les recommandations
« Ces résultats remettent clairement en question le dogme du seuil de FEVG à 40% », séparant fraction d’éjection réduite et préservée. « Le prescripteur est désormais amené à donner une gliflozine chez pratiquement tous les insuffisants cardiaques », estime le Pr Logeart. Même ceux avec FEVG normale, ajoute-t-il, puisque beaucoup d’entre eux ont également un diabète de type 2, indication initiale de cette classe de médicaments.
On attend désormais les résultats du traitement par dapagliflozine, un autre inhibiteur de SGLT2 également évalué dans l’IC à fraction préservée (essai DELIVER). Il est probable qu’ils soient similaires à l’empagliflozine, comme ils l’ont été chez les patients à fraction d’éjection réduite (essai DAPA-HF). Les résultats de DELIVER sont prévus pour 2022.
Au cours de l’échange en ligne qui a suivi la présentation des résultats, le Pr Theresa McDonagh ( King’s College, London, Royaume-Uni), qui a participé à la rédaction des nouvelles recommandations sur l’insuffisance cardiaque, a précisé que la molécule devrait dans un avenir proche y avoir sa place, compte tenu de l’absence de traitement dans cette indication, même s’il n’y a pas d’effet sur la mortalité cardiovasculaire.
Si la dapagliflozine montre un effet similaire dans l’essai DELIVER, le niveau de recommandation pourrait être renforcé, a-t-elle ajouté.
Pas d’effet sur la mortalité CV, ni sur la qualité de vie
L’essai EMPEROR-Preserved a inclus 5 988 insuffisants cardiaques symptomatique (Classe NYHA II à IV) avec fraction d’éjection préservée (FEVG >40%), avec ou sans diabète. Ils devaient avoir un niveau élevé en peptide natriurétique NT-proBNP (>300 pg/mL sans fibrillation atriale ou > 900 pg/mL avec fibrillation atriale) et présenter des modifications structurelles au niveau du coeur ou avoir été hospitalisé pour insuffisance cardiaque dans les 12 derniers mois.
Les patients (45% de femmes) étaient âgés en moyenne de 72 ans et présentaient une FEVG moyenne de 54%. Les deux-tiers avaient une FEVG> 50%. La moitié était diabétique. Ils ont été randomisés pour recevoir de l’empagliflozine (10 mg/jour) ou un placebo en plus de leur traitement standard.
Après un suivi médian de 26 mois, les résultats montrent que le critère primaire d’évaluation (mortalité cardiovasculaire et hospitalisation pour insuffisance cardiaque) a concerné 415 des 2 997 patients (13,8%) ayant reçu l’empagliflozine et 511 des 2 991 patients (17,1%) du groupe placebo, soit 21% d’évènements en moins chez les patients sous inhibiteur (HR= 0,79; IC à 95%, [0.69–0,90], p=0.0003).
Les chercheurs précisent qu’il faut traiter 31 patients pendant la période de l’essai pour éviter un décès cardiovasculaire ou une hospitalisation pour insuffisance cardiaque.
Les résultats montrent que l’effet de l’empagliflozine sur le critère primaire est essentiellement lié à la baisse des hospitalisations. En comparaison avec le groupe placebo, le traitement a permis de réduire les hospitalisations (première admission ou réhospitalisation) pour insuffisance cardiaque de 27% (HR=0.73, IC 95%, [0.61–0.88], p<0.001). Le risque de décès cardio-vasculaire n’est, en revanche, pas différent entre les deux groupes (HR=0,91, IC 95%, [0,75-1,09], NS).
A noter également que la réduction des hospitalisations toutes causes n’est pas significative (HR=0,93; IC 95% [0,85 – 1,01] NS). Aussi, pratiquement aucune différence n’a été observée en termes de qualité de vie mesurée par le questionnaire de cardiomyopathie de Kansas City.
Les mécanismes en jeu encore inconnus
Concernant la fonction rénale, le débit de filtration glomérulaire (eGFR) diminue moins rapidement sous l’inhibiteur de SGLT2 pendant la période de suivi (–1,25 vs –2,62 ml/min/1,73 m2/an dans le groupe placebo). Sous empagliflozine, il apparait d’abord une dégradation soudaine et transitoire de la fonction rénale, qui diminue ensuite lentement. On note toutefois, l'absence d'amélioration des résultats rénaux chez les patients avec une FEVG supérieure à 40 %.
Le bénéfice de l’empagliflozine a été observé dans tous les sous-groupes (âge, IMC…) y compris chez les patients avec ou sans diabète. L’essai EMPEROR-pooled, qui a permis l’analyse des donnés des deux essais EMPEROR (n= 9 718 patients), montre toutefois que la baisse des hospitalisations est la même chez les patients avec une FEVG<65%, puis s’atténue au-delà. Le bénéfice sur la fonction rénale s’estompe également après ce seuil.
En ce qui concerne la tolérance, des effets secondaires notables sont apparus chez la moitié des patients dans les deux groupes. L’hypotension est légèrement plus fréquente chez les patients sous emplagliflozine, en comparaison avec le placebo (10,4% vs 8,6%). En revanche, il n’y a pas de différence entre les groupes pour les fractures osseuses (4,5% vs 4,2%) ou les acidocétoses (0,1% vs 0,2%).
L’impact positif des gliflozines sur la fonction cardiaque n’est pas encore bien compris. La baisse de la volémie consécutive à l’effet diurétique de ces médicaments est l’une des raisons avancées. « L’hypothèse d’une amélioration du métabolisme énergétique et d’un meilleur équilibre de l’homéostasie est également évoquée. Pour l’instant, on ne connait pas vraiment les mécanismes en jeu », a précisé le Pr Logeart.
Selon les laboratoires Boehringer Ingelheim et Eli Lilly, des recherches sont également menées pour évaluer l’effet de l’empagliflozine sur l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et la mortalité après infarctus du myocarde, chez des patients à risque élevé d'insuffisance cardiaque. La molécule est également testée dans le traitement de l’insuffisance rénale chronique.
Dans un commentaire publié sur Medscape.com , l’éditorialiste et cardiologue, John Mandrola, souligne que suite à ces résultats « les organismes de réglementation approuveront sûrement l'empagliflozine pour les patients au profil similaire à ceux d’EMPEROR-Preserved ». Il tempère cependant la portée de ces données : « l'absence d'améliorations significatives sur la mortalité CV, la mortalité globale, les résultats rénaux, la qualité de vie et le nombre total d'hospitalisations (toutes causes) dans EMPEROR-Preserved obligeront les cliniciens à être très sélectifs dans l'utilisation de ce médicament coûteux ».
EMPEROR-Preserved a été financé par les laboratoires Boehringer Ingelheim et Eli Lilly.
Les liens d’intérêt des auteurs sont listés dans le papier du NEJM. Le Pr Theresa McDonagh a déclaré des liens d’intérêts récents avec AstraZeneca, Novartis, Corpus, Pfizer et Vifor. Le Pr Frank Ruschitzka a déclaré ne pas avoir reçu d’honoraires de l’industrie pharmaceutique pendant les trois dernières années. Le Pr Damien Logeart n’a pas de conflits d’intérêt à déclarer. |
Crédit photo : Getty Images
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Citer cet article: EMPEROR-Preserved: l’empagliflozine, premier traitement efficace de l’IC à FEVG préservée - Medscape - 30 août 2021.
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