Le Pr Nicole Karam interroge le Pr Gabriel Steg sur les études marquantes du congrès de l’American College of Cardiology (ACC) 2022. Leur sélection :
POISE-3 : l’acide tranexamique réduit le risque de complications hémorragiques en chirurgie non cardiaque [1]
CHAP : le traitement de l’hypertension de la femme enceinte est efficace et réduit les complications hypertensives de la grossesse [2]
PACMAN-AMI : l'inhibition précoce de PCSK9 avec l’alirocumab dans l'infarctus aigu du myocarde permet une régression de la plaque d’athérome [3]
PACIFIC AF : évaluation de l’anti-facteur XI asundexian vs l’AOC apixaban chez des patients atteints de fibrillation atriale (essai de phase 2)
SODIUM-HF : le régime sans sel ne réduit pas les événements cliniques dans l'insuffisance cardiaque [4]
TRANSCRIPTION
Nicole Karam – Bonjour à tous, je suis le Pr Nicole Karam de l’hôpital européen Georges-Pompidou. Je suis actuellement au congrès de l’American College of Cardiology (ACC) 2022 et je reçois le Pr Gabriel Steg de l'hôpital Bichat. Nous allons faire un petit tour des grandes études qui sont sorties à l’ACC. C’est un programme assez chargé – vous serez bien d’accord avec moi ?
Gabriel Steg – Oui. Indépendamment du COVID et de la participation physique ou à distance, les late-breakers restent des sessions chargées dans ces grands congrès – il y a toujours des résultats importants. Et des choses vraiment intéressantes et assez provocantes qui ont été présentées dans ces deux premiers jours du congrès.
Nicole Karam – Peut-être pourrait-on commencer par l’étude POISE-3 ?
POISE-3 : élargir l’utilisation de l’acide tranexamique en chirurgie non cardiaque ?
Gabriel Steg – POISE-3 est une étude qui s’intéresse à l’utilisation de l’acide tranexamique pour éviter les saignements ou pour réduire les saignements en chirurgie non cardiaque. [1] C’est un problème parce que le saignement, tout le monde sait que c’est mauvais pour la santé et notamment la santé des patients vasculaires ou des patients cardiaques. On aimerait bien faire tout ce qu’on peut pour réduire le saignement, d’autant que beaucoup de patients maintenant sont sous des traitements antithrombotiques qui exacerbent le risque hémorragique, que ce soit des antiplaquettaires ou des anticoagulants, voire la combinaison des deux, et on n’a pas vraiment de médicaments qui soient validés pour essayer de réduire les saignements, même si on avait l’espoir que des médicaments comme l’acide tranexamique puissent avoir un effet antihémorragique.
Le problème est que des études observationnelles ont suggéré que cet effet de limitation du saignement pouvait être accompagné d’une augmentation du risque cardiaque – d’accident cardiaque aigu thrombotique – substantielle et du coup cela méritait d’être testé. Et le Dr PJ Devereaux (université McMaster, Canada), qui s’intéresse depuis longtemps aux complications cardiovasculaires de la chirurgie non cardiaque et de la chirurgie cardiaque, a monté cette grande étude qui s’appelle POISE-3.
C’est donc un essai randomisé qui vise à tester l’acide tranexamique comparé au placebo pour réduire le risque hémorragique et, en même temps, tester si c’est sûr en termes de risque cardiovasculaire, avec une partie de supériorité pour réduire le risque hémorragique et une partie de non-infériorité sur les événements ischémiques.
Résultats : L’étude POISE-3 montre que [l’acide tranexamique] réduit indiscutablement et de façon très claire le risque de saignement – entre 25 % et 30 %, voire plus, de réduction des saignements majeurs, mineurs, du risque de transfusion, de culots globulaires, etc., donc un effet extrêmement net. Par contre, il ne semble pas y avoir de surrisque d’événement ischémique, mais la non-infériorité n’est pas validée statistiquement. Donc il persiste méthodologiquement une petite limite, même si, quand on regarde les taux, on est quand même rassuré parce qu’il ne semble pas y avoir du tout d’excès de risque ischémique. Mais il n’y a pas suffisamment d’événements pour conclure à la non-infériorité et, donc, il y a encore un petit bémol. Néanmoins, je pense que dans le contexte actuel, où on veut absolument réduire le risque de saignement au moins pour les patients à haut risque de saignement peropératoire, on a maintenant un traitement qui a été bien étudié, à défaut d’avoir été totalement validé sur le plan méthodologique. Mais il est suffisamment validé, suffisamment étudié pour qu’on puisse le proposer à certains patients à haut risque de saignement. Et je crois que c’est une avancée réelle dans la prise en charge de ces patients.
Nicole Karam – Effectivement, cela a l’air d’être une sacrée promesse, même si en pratique, comme vous le disiez très bien, on manque encore un peu de données, mais au moins c’est une première piste.
CHAP : contrôle de l’HTA pendant la grossesse
Nicole Karam – Dans les autres sujets adressés il y a, enfin, les femmes enceintes qui s’invitent un peu. Donc des nouveautés chez elles avec l’étude CHAP…
Gabriel Steg – Oui. Le traitement de l’hypertension de la femme enceinte est un sujet difficile et on a très peu d’études. Les études qu’on a sont souvent anciennes, et avec beaucoup de craintes et de préjugés : on a peur de nuire à la femme enceinte en traitant l’hypertension, on a peur de nuire au fœtus, de mettre en danger la croissance fœtale, on a peur des effets secondaires… il y a donc très peu de données – a fortiori peu de données chez les sujets afro-américains qui constituent, aux États-Unis, un groupe important à haut risque de complications hypertensives de la grossesse.
Les collègues de l’université de l’Alabama à Birmingham ont monté un essai randomisé qui s’appelle CHAP [2] comparant le traitement vs pas de traitement chez les femmes enceintes à haut risque avec, notamment, une proportion importante de sujets afro-américains ou latinos – la moitié des femmes étaient afro-américaines et 20-25 % étaient latinas, ce qui fait que la proportion de minorités était substantielle dans cette étude, et c’était important pour la pertinence de l’étude aux États-Unis.
Résultats : l’étude montre que le traitement de l’hypertension de la femme enceinte est efficace et réduit les complications hypertensives de la grossesse de façon très substantielle, notamment et essentiellement la pré-éclampsie ou la naissance prématurée – donc c’est important – sans mettre en danger la croissance fœtale et sans conséquences délétères pour la mère ou pour l’enfant. Je crois vraiment que cette étude est absolument une étude clé qui va changer les pratiques et qui nous donne enfin des données solides pour traiter ces femmes qui restent à risque de complications très élevé – le taux de pré-éclampsie est de plus de 20 %, presque 25 % dans cette population, donc c’est vraiment un progrès, à mon sens, tout à fait décisif et il faut les féliciter d’avoir mené cet essai randomisé.
Nicole Karam – Effectivement, ce n’est pas facile de faire des études randomisées chez les femmes enceintes avec tous les problèmes éthiques et les difficultés pour encourager les femmes à rentrer dans ses études – ce n’est pas évident. En effet, cela peut aussi être une étude qui va changer notre prise en charge.
PACMAN-AMI : régression de la plaque avec l’alirocumab dans l'infarctus aigu du myocarde
Gabriel Steg – PACMAN-AMI [3] est une étude qui s’intéresse à la question du traitement par inhibiteur de PCSK9 précocement à la phase aiguë de l’infarctus. Elle a été menée par Lorenz Räber et des collègues suisses. C’est un essai randomisé de traitement précoce avec évaluation de la plaque par imagerie endocoronaire, avec une imagerie assez sophistiquée puisqu’il y a à la fois de l’échographie endocoronaire, de l’OCT, la tomographie par cohérence optique, et de la spectroscopie dans le proche infrarouge, le NIRS (Near Infra-Red Spectroscopy), étudiée de façon sériée au début du traitement et à 12 mois dans un essai randomisé double aveugle.
L’étude regardait la progression ou la régression de la plaque – le pourcentage d’obstruction de la plaque en volume.
Résultats : Même par rapport à un traitement intensif par statine et ézétimibe, le fait de rajouter un inhibiteur de PCSK9 diminue la croissance de la plaque, et même, peut tendre à la faire régresser. La qualité de la plaque est également modifiée avec moins de plaques vulnérables et la tolérance du traitement est tout à fait excellente. Donc, on a là quelque chose sur le plan mécanistique qui est tout à fait intéressant, qui est complémentaire de ce qu’avait montré à la fois l’étude GLAGOV, qui était une étude d’imagerie endocoronaire avec l’évolocumab chez des patients stables et, surtout, complémentaire des études cliniques en post-infarctus, notamment ODYSSEY Outcomes avec l’alirocumab post-SCA et FOURIER chez des patients stabilisés avec de l’athérothrombose. Donc maintenant on a, si je puis dire, une histoire complète avec la prévention des événements cardiovasculaires, la stabilisation et le ralentissement de la progression, voire la régression des plaques d’athérome, la modification qualitative des plaques d’athérome, et plus on commence tôt, mieux c’est.
Je crois que c’est vraiment une étude importante et j’espère que cela permettra d’aider à l’initiation plus précoce des traitements pour faire bénéficier un maximum de patients de ce traitement et, surtout, traiter les événements précoces dont le risque est plus important que les événements tardifs, évidemment.
PACIFIC AF : Apixaban vs asundexian dans la FA
Nicole Karam – Restons dans les nouvelles molécules : quid de l’étude PACIFIC ?
Gabriel Steg – PACIFIC AF est une étude de phase 2 – je ne vais pas rentrer dans le détail méthodologique – qui s’intéresse à un médicament oral anti-facteur XI. L’idée des anti-facteur XI est d’avoir des anticoagulants oraux aussi confortables à utiliser que les NOAC ou les DOAC, mais qui seraient peut-être plus sûrs, parce qu’en inhibant la phase contact et non pas la phase indirecte de la coagulation, ils permettraient d’éviter la thrombose en préservant l’hémostase, pour simplifier. Et de fait, on a toute une série de données précliniques, génétiques, biologiques qui suggèrent que l’inhibition du facteur XI pourrait permettre d’éviter la formation de caillots sans mettre en danger le risque hémorragique avec, peut-être, une tolérance hémorragique et de saignements qui soit meilleure.
Cette étude s’intéresse, chez des patients qui ont de la fibrillation atriale, à une comparaison entre l’apixaban – donc un anticoagulant oral de référence – et ce nouveau médicament, l’asundexian, qui est un anti-facteur XI oral pour voir si ce médicament serait aussi efficace et s’il ne ferait pas plus saigner, voire, même, moins saigner que l’apixaban. Comme c’est une étude de phase 2, les effectifs sont petits.
Résultats : On a l’impression que la tolérance en termes hémorragique est tout à fait excellente – cela fait moins saigner que l’apixaban ; en termes d’efficacité sur les événements thrombotiques, il y a trop peu d’événements pour qu’on puisse conclure, et en termes d’inhibition de l’hémostase, on obtient l’inhibition des molécules cibles et donc c’est un élément tout à fait intéressant qui ouvre la voie à de grandes études de phase 3 dans cette indication.
On pense qu’on a peut-être, là, une classe de médicaments – et celui-ci est un des deux médicaments oraux qui émergent – qui pourraient être de nouveaux anticoagulants oraux au moins aussi efficaces et, peut-être, substantiellement plus sûrs, avec une réduction claire du risque hémorragique par rapport aux anticoagulants oraux directs. Et ce serait, si c’est confirmé par les études de phase 3 qui vont débuter, un progrès très substantiel pour le grand nombre de patients qui reçoivent ces médicaments.
SODIUM-HF : pas de bénéfice du régime pauvre en sodium dans l’IC
Nicole Karam – Pour finir, on ne peut pas passer à côté de l’étude SODIUM-HF...
Gabriel Steg – Oui. SODIUM-HF [4] est une étude provocante et très intéressante. Justin Ezekovitz et ses collègues de l’université d’Edmonton dans l’Alberta, au Canada, se sont posés la question : « est-ce qu’on a des preuves solides du bénéfice du régime sans sel chez l’insuffisant cardiaque ? » Alors, on va dire que c’est quand même provoquant, parce que cela fait plus d’un siècle qu’on met les insuffisants cardiaques au régime sans sel, et on était tous convaincus que c’était bénéfique. Ils ont fait un essai randomisé entre – alors, ce n’est pas un régime sans sel versus pas de régime sans sel, c’est usual care, donc traitement habituel versus régime sans sel, qui n’est pas un régime très strict. Et, évidemment, on peut les critiquer sur un contraste peut-être assez modeste entre les deux bras de traitement.
Résultats : De fait, cet essai randomisé observe que la natriurèse et la consommation sodée déduite de la natriurèse, ne sont pas si différentes que ça entre les deux bras. Du coup, quand on regarde le pronostic, il n’y a pas de différence et on pourrait dire que « le régime sans sel ne sert à rien. » Néanmoins, quand on regarde les indices de performance physique, de qualité de vie, d’activité physique, ils sont tous en faveur du bras qui a eu le régime sans sel et donc on peut se dire : « peut-être que l’étude a manqué un peu de puissance et d’un peu de contraste entre les bras. » Mais, en tout cas, cela va faire beaucoup discuter, je pense, dans le monde de l’insuffisance cardiaque sur les bénéfices et la tolérance éventuelle du régime sans sel. Est-ce qu’il faut imposer un régime sans sel strict ? Est-ce qu’il faut imposer un régime sans sel long ? Ou est-ce qu’il faut, tout simplement, augmenter la dose de diurétique et laisser les gens manger ce qu’ils veulent ?
Nicole Karam – C’est surtout une étude qui va faire beaucoup de plaisir à nos patients, si cela se confirme !
Merci pour cette petite revue où on a l’impression, même s’il on est qu’au deuxième jour, il y a eu déjà plein d’études qui sont sorties très prometteuses, qui risquent de changer notre prise en charge.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie en français sur Twitter.
Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin.
Medscape © 2022 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: ACC 2022 : les études clés commentées par le Pr Gabriel Steg - Medscape - 6 avr 2022.
Commenter