Quelle alimentation recommander aux patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante et arthrite psoriasique ? Perte de poids, compléments en oméga-3, régime méditerranéen... Quid des régimes d’exclusion ? Le Pr Jérémie Sellam (h ôpital Saint-Antoine, Paris) résume les points clés des toutes premières recommandations françaises.
TRANSCRIPTION
Bonjour à toutes et tous, je suis le Pr Jérémie Sellam, rhumatologue à l’hôpital Saint-Antoine (Paris-Sorbonne-Université), et j’ai eu la chance de coordonner les premières recommandations françaises, et à vrai dire internationales, sur l’alimentation des patients souffrant de rhumatisme inflammatoire chronique. J’ai réalisé cela avec le Pr Claire Daien, rhumatologue au CHU de Montpellier.[1]
L’idée de développer des recommandations sur l’alimentation des patients ayant un rhumatisme inflammatoire est venue tout simplement de la pratique clinique. On constate que les patients font des expériences alimentaires à l’annonce de leur diagnostic de polyarthrite ou de spondylarthrite. Nombre de patients font des régimes d’exclusion, des expériences de toute sorte avec leur alimentation et jusqu’à présent les informations étaient éparpillées dans la littérature et le rhumatologue est un peu esseulé quant au message à communiquer au patient. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité, sous l’égide de la Société française de rhumatologie, avec le Pr Claire Daien, constituer un groupe de travail pour répondre à ce besoin, car souvent, lorsque les patients ne retrouvent pas d’informations solides issues de leur médecin ou des sociétés savantes, ils vont consulter des sites dont la qualité des informations n’est pas toujours vérifiée.
Dans le groupe de travail, il y avait des rhumatologues hospitaliers, libéraux, mais également des médecins nutritionnistes et des diététiciens, diététiciennes, afin de délimiter le champ de ces recommandations, de réaliser une analyse systématique de la littérature – qui a fait, d’ailleurs, l’objet de publications à part – et ainsi, avec le groupe d’experts, d’établir et de rédiger les recommandations qui se répartissent avec des principes généraux, d’une part et des recommandations, d’autre part.
Alimentation et rhumatisme inflammatoire chronique : principes généraux
Dans les principes généraux, nous avons voulu commencer par la recommandation numéro 1 qui est le fait qu’une intervention alimentaire ne doit pas se substituer à la prise des traitements de fond. Vous le savez, les traitements de fond sont essentiels pour le bon contrôle des rhumatismes inflammatoires chroniques – le méthotrexate ou les biothérapies. On sait que ces médicaments ont un effet anti-inflammatoire, diminuent la douleur et également, notamment dans la polyarthrite rhumatoïde, ont un effet structural – c’est-à-dire qu’ils préviennent la dégradation des articulations et leur destruction. Or, je peux vous le dire dès à présent, aucun régime alimentaire, aucun complément alimentaire n’a fait la preuve d’une efficacité structurale. Donc, oui, une intervention alimentaire peut s’avérer intéressante chez les patients qui ont un rhumatisme inflammatoire chronique, mais sans pour autant délaisser le traitement de fond.
L’intervention alimentaire est intéressante aussi parce que c’est un moyen pour le patient de s’impliquer pleinement dans sa propre prise en charge au-delà de la prise quotidienne hebdomadaire mensuelle des traitements médicamenteux. On sait que les patients, lorsqu’ils souffrent de maladies chroniques, sont à la recherche d’autre chose – pas simplement ingérer les médicaments. S’intéresser à leur alimentation, les interroger sur ce sujet, les conseiller, et eux s’impliquer sur cet aspect, cela permet pour eux de s’impliquer pleinement – c’est ce qu’on appelle l’empowerment, un terme qui est difficile à traduire, mais qui traduit bien l’implication du patient dans sa propre prise en charge.
Les interventions alimentaires ont des effets articulaires et je vais vous parler de quelles interventions alimentaires on peut proposer, mais également qui peuvent avoir des effets bénéfiques cardiovasculaires, osseux, et qui sont basés sur la littérature. Dans ces recommandations, nous avons pris en compte non pas uniquement les expériences en laboratoire où on va appliquer tel ou tel régime à une souris arthritique : nous avons voulu étudier uniquement les essais randomisés contrôlés comparant toujours une intervention alimentaire à un groupe contrôle – c’est le moyen de référence pour, justement, recommander ou pas une alimentation.
Les recommandations
• Concernant les recommandations en elles-mêmes, nous avons d’abord voulu insister sur la perte de poids et ce que l’on peut appeler l’accompagnement vers la perte de poids. En effet, notamment dans la polyarthrite rhumatoïde, il y a une association entre obésité et risque de polyarthrite rhumatoïde, mais également de rhumatisme psoriasique, et en plus l’obésité majeure l’activité la maladie. C’est-à-dire que les patients obèses par rapport à des patients non obèses vont avoir plus de douleurs, plus de réveils nocturnes, plus de dérouillage matinal, donc vont exprimer des symptômes qui vont suggérer un moins bon contrôle de l’activité de la maladie. Or plusieurs études ont monté que le fait que ces patients perdre du poids va améliorer les symptômes articulaires systémiques. Cela a été montré dans des essais contrôlées, notamment une étude de patients ayant un rhumatisme psoriasique, chez qui on débutait un traitement anti-TNF associé ou non avec un régime, et effectivement les patients dans le groupe régime avaient un rhumatisme inflammatoire qui atteignait plus fréquemment la faible activité. Dans certains cas, bien évidemment, il peut s’agir également d’une discussion de chirurgie bariatrique dans les obésités morbides compliquées. De manière pratique, comment faire ? D’abord il faut peser les patients lors des consultations, puis aborder la problématique du surpoids ou de l’obésité, si celle-ci se présente. Ensite, il n’est pas toujours évident de perdre du poids et c’est la raison pour laquelle dans les recommandations nous avons insisté sur le fait qu’il ne faut pas laisser le rhumatologue ou le médecin traitant seul vis-à-vis de cette difficulté, qu’on peut faire appel à une prise en charge en diététique et en nutrition en faisant appel soit à une diététicienne ou à un diététicien, soit en cas d’obésité compliquée, notamment lorsque l’IMC est supérieur à 35, d’adresser les patients dans un service de nutrition pour prendre en charge l’obésité et ses éventuelles complications et la prise en charge de la perte de poids.
• Aussi, nous n’avons pas parlé de régime hypocalorique, parce qu’un régime, cela a un début et une fin, et bien souvent les patients reprennent du poids à l’arrêt du régime. Donc nous avons préféré parler d’accompagnement vers la perte de poids pour suggérer que ce sont plutôt des modifications de l’alimentation au long cours qui permettent un contrôle sur le long terme de l’activité de la maladie par le biais de la perte de poids.
• Dans les recommandations positives, nous avons identifié deux moyens d’action pour les patients. Tout d’abord, le régime méditerranéen et les compléments en oméga-3, qui sont un peu dans la même ligne. En effet, le régime méditerranéen a été étudié dans un essai dans la polyarthrite rhumatoïde (c’était un régime avec des compléments en huile de poisson). Au bout d’un an, l’huile de poisson permettait d’atteindre deux fois plus là rémission (40 % versus 20 %) chez les patients. Donc on voit bien l’intérêt des oméga-3 dans l’alimentation. Et, de manière plus générale, d’autres études ont montré l’intérêt du régime méditerranéen au sens large. Donc on connaît ce régime : préférer les poissons, notamment les poissons gras, les viandes, mais pas tous les jours et plutôt la viande blanche, les fruits, les légumes, une bonne hydratation associée à de l’activité physique ; ceci peut s’avérer tout à fait intéressant lorsque les patients veulent agir sur l’alimentation. Et comme je le disais tout à l’heure, des études ont montré l’intérêt des compléments en oméga-3 et, effectivement, dans les recommandations , qui sont des oméga-3 essentiels et qui peuvent permettre de mieux contrôler la maladie et de mieux contrôler les symptômes articulaires.
• Enfin, il y a eu aussi des recommandations négatives et j’entends par là des régimes d’exclusion. Les études ne sont pas toujours bien faites, mais force est de constater qu’il n’y a pas de bénéfices majeurs, voire pas de bénéfices du tout des régimes végétaliens, des régimes sans gluten, sans laitages, avec même des expériences où lorsque on réintroduit le laitage, l’activité de la maladie ne se modifie pas pour autant alors qu’on expose les patients au risque de carences. Donc c’est important de les informer vis-à-vis de cela tout en ayant aussi conscience qu’il faut éviter avec les régimes d’exclusion l’isolement social, parce que les repas sont aussi des moments de partage et des moments de vie sociale, et les patients en ont besoin. Et je dirais qu’il faut les informer sur le fait que on n’a pas de données dans la littérature plaidant pour la réalisation de tels régimes, mais que si jamais ils veulent absolument faire une telle intervention, je pense qu’il est mieux de leur conseiller de le faire sous supervision diététique et nutritionnelle, notamment pour éviter les risques de carences – on évoquera notamment la carence en calcium, la carence en vitamine B 12 ou en sélénium.
Conclusion
Vous voyez que nous avons a des recommandations positives – le régime méditerranéen, les compléments en oméga-3 lorsque le patient veut faire quelque chose de plus –, des recommandations dites négatives, avec notamment une alerte vis-à-vis du risque de carences, mais je pense que au-delà de cela, on voit qu’il faut rester attentif aux expériences que font les patients au plan alimentaire et que cela doit aussi nous donner des idées de recherches et d’études à faire pour consolider et approfondir les connaissances dans ce domaine, car pour l’instant il y a encore certains régimes, certains types d’interventions alimentaires où la qualité des données est assez ténue.
Je vous remercie et je remercie le Pr Claire Daien d’avoir mené avec moi ce projet de recommandation et je remercie également les sociétés et associations de nutrition SFN, SFNCM, AFERO et AFDN qui sont partenaires de ces recommandations, ainsi que les associations de patients, parce que des patients ont participé au projet – ANDAR, AFS et AFPric.
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Citer cet article: Premières recommandations nutritionnelles dans les rhumatismes inflammatoires chroniques - Medscape - 31 janv 2022.
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