Le blog du Pr Dominique Savary – urgentiste, réanimateur
TRANSCRIPTION
Bonjour je suis Dominique Savary, je travaille au CHU d’Angers au département de médecine d’urgence et je vous retrouve pour un exercice classique en cette fin d’année qui est celui des études qui ont marqué cette année 2021. Il s’agit, bien sûr, d’un choix personnel et discutable de 8 études qui, pour moi, ont marqué les soins critiques et la médecine d’urgence.
1 - STILETTO : stylet vs tube trachéal dans l'intubation de patients en soins critiques
Je commencerais par deux études françaises. La première est l’étude STILETTO de l’équipe de Samir Jaber sortie dans ICM 2021, [1] et qui s’est intéressée à l’utilisation d’un stylet d’intubation par rapport à l’utilisation d’un tube trachéal seul dans la réussite de la première tentative d’intubation de patients en soins critiques. On parle bien de stylet – c’est-à-dire d’un guide rigide, mais malléable, intratrachéal, versus la sonde seule – il ne s’agissait pas de bougies. Dans cette étude qui a eu lieu en France dans 32 services de réanimation, 999 patients ont été randomisés. L’étude a montré de façon claire que l’utilisation de ce stylet permettait d’améliorer la première tentative d’intubation chez des patients de soins critiques. Plusieurs études avaient montré des complications de l’utilisation d’un stylet, en particulier des hémorragies muqueuses, voire une perforation trachéale ou œsophagienne ou, moins grave, des maux de gorge post-intubation. Dans l’étude de Samir Jaber, il n’y a pas eu de différence entre les deux bras en termes de complications (qui ont été relativement rares dans cette étude). Il faut donc probablement retenir cette étude pour nos pratiques à venir pour l’intubation de patients en urgence et en soins critiques.
2 - REALITY : transfusion restrictive chez des patients anémiques avec IAM
La deuxième étude est REALITY – sortie dans le JAMA 2021[2] ― de Gregory Ducrocq, que vous pourrez retrouver de façon plus complète dans une vidéo proposée par Gabriel Steg avec Michel Zeitouni. C’est une étude randomisée qui s’est intéressée à une stratégie de transfusion restrictive chez des patients anémiques qui étaient victime d’un infarctus du myocarde aigu : stratégie de transfusion restrictive déclenchée pour une hémoglobine inférieure à 8 g/dL versus une stratégie libérale classique. Dans cette jolie étude, il a été montré que la stratégie restrictive n’était pas inférieure à une stratégie libérale dans la prévention des MACE [événements cardiaques indésirables graves] à 30 jours, qu’elle permettait d’économiser du sang et qu’elle était sûre. C'est une belle réponse à une question qu’on pouvait se poser sur ces patients anémiques à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde.
3 - Tétracaïne vs placebo dans l’abrasion de la cornée
Une troisième étude, américaine, publiée dans Annals of Emergency Medicinepar Shipman et coll., [3] s’est intéressée de façon prospective et randomisée en double aveugle aux patients qui se présentaient à l’urgence avec une abrasion de la cornée – situation assez fréquente dans nos services. Ils ont voulu comparer l’utilisation d’un topique à la tétracaïne à 0,5 % versus un placebo (qui était des larmes artificielles) pour contrôler la douleur des patients au bout de 24 h et 48 h. Dans cet essai prospectif, ils ont montré pour la douleur un vrai bénéfice de l’utilisation de la tétracaïne à 0,5 %. On savait déjà dans l’étude de Wadlman, qui est assez récente, que ces topiques à la tétracaïne étaient sécuritaires et qu’il n’y avait pas moins de guérison de cornée en utilisant ce type de topiques. Par contre, ce qu’il faut retenir de cette étude, c’est que 20 % des patients dans chacun des deux bras n’a pas reconsulté, alors que l’idée était de les revoir au bout de quelques jours après la mise en œuvre du traitement. C’est probablement ce à quoi on assiste dans nos services d’urgence – un certain nombre de patients, après le traitement initial, probablement parce qu’ils se trouvent guéris, ne reconsultent pas et donc il n’y a pas de vérification de la matrice cornéenne secondaire.
4 - SILENCE : scopolamine vs placebo sur l’incidence des râles agoniques chez les patients en fin de vie
La quatrième étude est celle de van Esch et al. qui est sortie dans le JAMA 2021, appelée étude SILENCE. [4] Elle n’a pas été faite ni en soins intensifs, ni en service d’urgence, mais je l’ai trouvée intéressante puisqu’elle s’est intéressée aux patients en fin de vie dans les établissements de soins palliatifs, et en particulier à l’utilisation de la scopolamine versus placebo sur l’incidence des râles agoniques, dont on sait qu’ils sont parfois mal supportés sur des patients en fin de vie par les familles, mais aussi par les soignants. Il s’agissait bien d’une étude randomisée en double bras contre placebo. Les auteurs ont montré clairement que la scopolamine avait un bénéfice et réduisait de façon significative l’incidence de ces râles agoniques chez des patients en fin de vie. Une remarque toutefois : la « durée de vie » de ces patients était prolongée lorsqu’on utilisait la scopolamine versus le placebo.
5 - ULTRA : acide tranexamique dans les hémorragies sous-arachnoïdiennes
La cinquième étude, qui a eu lieu aux Pays-Bas en 2021 et qui est sortie dans le Lancet [5] (Post et coll.), est l’étude ULTRA qui s’est intéressée à l’utilisation précoce d’acide tranexamique dans les hémorragies sous-arachnoïdiennes (HSA). Elle est randomisée contre placebo et s’est faite sur 24 centres aux Pays-Bas. Elle consistait, après la réalisation d’un scanner et la confirmation d’une HSA, de proposer dans le bras acide tranexamique la réalisation d’un bolus initial de 1 g de ce produit poursuivi par une perfusion de 1 g sur 8 h, classique, réalisée souvent dans les études avec l’acide tranexamique. Ils ont essayé de voir s’il y avait une amélioration du résultat clinique à 6 mois. J’ai trouvé cette étude intéressante parce qu’on a eu plusieurs études négatives avec l’acide tranexamique – vous vous souvenez de CRASH 2, de TICH 2 ou de WOMAN. Cette étude ULTRA va rejoindre celles que je viens de citer, puisqu’il n’a pas été montré d’amélioration du résultat clinique à six mois dans l’HSA.
6 - TOMAHAWK : coronarographie en post-arrêt cardiaque
Deux études sur l’arrêt cardiaque : d’abord TOMAHAWK, sortie dans le New England Journal of Medicine en 2021, [6] qui a été proposée par des équipes allemandes et danoises et qui s’est intéressée à la réalisation d’une angioplastie après la récupération de patients pour un arrêt cardiaque préhospitalier. Il s’agissait, bien sûr, d’arrêts cardiaques d’origine cardiaque. Pourquoi cette étude alors qu’on connaît déjà pas mal d’essais qui se sont intéressés aux patients qu’il fallait orienter vers la table de coro après la récupération ? Je l’ai choisie tout simplement parce que les recommandations de 2021 ont apporté une nuance à l’orientation des patients. Alors qu’en 2015 il ne fallait orienter que les patients qui avaient soit un bloc gauche, soit un sus-ST récent, en 2021 la nuance de la forte suspicion clinique d’occlusion coronaire peut faire orienter les patients vers la table, entre autres, et discuter un compromis entre hémodynamique et instabilité électrique, qui pourrait trouver bénéfice à transporter ces patients vers la table de coronarographie. J’ai choisi l’étude TOMAHAWK parce que, justement, elle répond à cette question et les patients qui ont été mis sur la table dans cette étude n’avaient ni sus-décalage du ST ni bloc gauche. Les auteurs ont montré que la stratégie de coro immédiate n’a pas réduit le risque de décès à 30 jours toutes causes confondues chez ces patients. Donc il faut probablement en rester à nos recommandations et à nos habitudes d’envoyer en table de coro seulement des patients qui ont un bloc gauche récent ou un sus-décalage du ST après la récupération d’un rythme en post-arrêt cardiaque immédiat.
7 - Chlorure de calcium i.v. ou intra-osseux vs chlorure de sodium dans l’arrêt cardiaque
Septième étude, aussi sur l’arrêt cardiaque, danoise, dont je vous rappelle que les équipes sont, comme en France, des équipes médicalisées préhospitalières. Cette étude s’est intéressée à l’intérêt du calcium au cours de l’arrêt cardiaque et en particulier à la comparaison des effets du chlorure de calcium intraveineux ou intra-osseux versus chlorure de sodium chez les patients sur leur retour à une circulation spontanée. Il s’agissait bien sûr de patients préhospitaliers d’arrêt cardiaque d’origine cardiaque. Les auteurs proposaient une étude randomisée publiée dans le JAMA 2021 par l’équipe de Vallentin. [7] Pourquoi avoir choisi de proposer du chlorure de calcium chez ces patients ? On le sait, le chlorure de calcium joue un rôle important dans la contractilité du myocarde et qu’il a des effets inotropes vasopresseurs, donc je trouvais intéressant cette comparaison. En fait, les auteurs proposaient dans leur stratégie d’utiliser une ampoule de chlorure de calcium immédiatement après la première dose d’adrénaline, éventuellement renouvelée après la deuxième dose d’adrénaline. Cette étude a été arrêtée prématurément dans le groupe chlorure de calcium, puisqu’il y a eu une suspicion de dommages neurologiques chez les survivants et donc il est probable que cette stratégie n’est pas bonne et qu’il va falloir encore travailler sur les stratégies thérapeutiques des patients en arrêt cardiaque.
8 - TTM2 : contrôle ciblé de la température après arrêt cardiaque
Je finirai par une étude que je vous ai déjà présentée, mais qui me semble importante cette année. C’est TTM-2 (Targeted Temperature Management), proposée par Dankiewicz et al. [8] Cette étude n’a pas retrouvé de bénéfice au traitement par hypothermie contrôlée vis-à-vis d’une normothermie contrôlé dans les suites d’un arrêt cardiaque extrahospitalier. Je vous renvoie au blog que j’ai fait sur ce sujet ; c’est une étude qui a compté en 2021.
Je vous souhaite une bonne fin d’année à tous, et j’espère vous revoir dès 2022 sur Medscape.
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Citer cet article: 8 études qui ont marqué la médecine d’urgence en 2021 - Medscape - 17 déc 2021.
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