Quoi de neuf en rythmologie au congrès de l’American Heart Association (AHA) 2021 ? Jérôme Taieb (CH d’Aix en Provence) et Walid Amara (GHI Le Raincy-Montfermeil) ont sélectionné 3 études :
La Fitbit Heart Study : après Apple Heart et Huwaei Heart, Fibit présente les résultats d'une étude sur une nouvelle montre connectée, évaluée chez plus de 400 000 utilisateurs. Un algorithme détectant l’irrégularité du rythme cardiaque était testé et montrait une valeur prédictive positive de 98%.[1]
L’essai de surveillance CV en continu CRAVE [Coffee and Real-Time Atrial and Ventricular Ectopy] : la consommation de café, évaluée par une App sur smartphone, n'augmente pas les arythmies auriculaires, mais serait associée à une augmentation d’extrasystoles ventriculaires. Les buveurs de café sont également un peu plus actifs et dorment un peu moins que les autres.[2]
I-STOP-AFib (également publiée dans le JAMA) : l'étude avait pour objectifs d'identifier les facteurs déclencheurs de fibrillation atriale (FA) paroxystique chez les patients FA, et d'évaluer la modification de ces "triggers". Parmi les nombreux facteurs étudiés (exercice physique, sommeil, café, déshydratation, nourriture etc.), seul l’alcool était significativement associé à une augmentation du risque de détection de FA.[3]
TRANSCRIPTION
Jerôme Taieb – Bonjour Walid Amara, merci d’avoir accepté cette interview Medscape de 10 minutes pour faire le point sur le best of de la rythmologie au congrès de l’AHA 2021qui a eu lieu la semaine dernière. Quels sont vos coups de cœur ?
FITBIT HEART STUDY
Walid Amara – Mon coup de cœur sera encore les montres connectées et donc la Fitbit Heart Study . Vous connaissiez la Apple Heart Study et la Huwaei Heart Study, maintenant vous avez la FITBIT Heart Study. Elle étudie quasiment 450 000 utilisateurs qui ont une montre connectée mais qui ne sont pas malades, qui ne sont pas connus pour des problèmes d’arythmie. Ce n’est pas une montre qui fait l’ECG. Comme dans la Apple Heart Study, tout simplement, on enregistre la régularité ou l’irrégularité plutôt, du rythme, et les chercheurs testent leur algorithme de détection de l’irrégularité – il est un petit peu différent de celui de la Apple Heart Study. C’est sur une population, vous pouvez imaginer, tout venant, qui est un peu différente de la Apple Heart Study ; ils trouvent d’abord deux informations importantes. La première est que les utilisateurs, s’ils avaient une irrégularité, on leur proposait un enregistreur patch pour une certaine durée et après, on leur proposait une téléconsultation – un peu le schéma des autres études.
Résultats : Qu’est-ce qu’on trouve ?
Premier élément : si vous voulez acheter une montre connectée pour détecter la FA et que vous n’êtes pas connu, vous avez 40 ans, c’est peu probable de la détecter, puisque c’est uniquement 1 % des utilisateurs qui avaient une notification.
Deuxième élément : si un de vos patients vous dit qu’il avait une notification ou qu’il a senti un rythme irrégulier, la valeur prédictive positive est très importante. Dans la Apple Heart Study, c’était environ 80 % – ici, c’est quasiment 90 %, puisqu’ils ont en même temps fait porter la montre lorsqu’ils ont fait l’enregistrement et la corrélation était très importante lorsqu’ils avaient des épisodes de FA enregistrés, ils avaient une irrégularité du rythme sur leur algorithme. Donc intéressant. Avec les particularités de cette étude – peut-être qu’on va revenir là-dessus – mon message est que si un patient me dit « j’ai senti une irrégularité du rythme, il faut que j’aille traquer la FA », cela veut dire que finalement, ces montres, si on devait les utiliser pour traquer la FA, je n’imagine pas les utiliser chez la large population. Si vous avez une montre à laquelle vous tenez, achetez-la parce qu’elle vous plaît, mais pas obligatoirement pour détecter la FA.
Jerôme Taieb – Très intéressante, cette étude, troisième du genre. Tu la comparerais comment par rapport aux deux autres études ? Apple Heart Study et Huawei Heart Study ? Qu’est-ce qu’il y a eu comme différence ? Les populations étaient les mêmes, déjà ?
Walid Amara — Assez similaires, mais il y avait un peu plus de sujets âgés – je pense qu’au-dessus de 10 % de sujets âgés, alors que dans la Apple Heart Study c’était globalement des sujets très jeunes. Donc cela peut peut-être participer, parce qu’on sait très bien que l’âge augmente la proportion de la FA.
Il y avait plus de 50 % de femmes, contrairement à la Apple Heart Study, donc on a une grande proportion de femmes. Et l’algorithme est différent, la méthodologie est légèrement différente sur la validation des épisodes d’arythmie. Mais globalement, toutes ces études vont dans le même sens. C’est-à-dire un faible taux d’évènements – dans la Apple Heart Study c’était, il me semble, autour de 2 %, et par contre une valeur prédictive positive, quand même, qui est assez importante. Là c’est juste l’algorithme d’irrégularité du rythme. Alors il est particulier, leur algorithme : pour dire que c’est une irrégularité, il fallait 13 épisodes d’irrégularités sur une période glissante et il fallait que cela soit confirmé sur une période de 30 minutes, donc on peut imaginer qu’avec cette méthode-là ils éliminent les faux positifs ― j’ai envie de dire les extrasystoles irrégulières ― et ils sélectionnent vraiment les patients qui ont une très forte probabilité de FA, et c’est pour cela qu’ils arrivent à obtenir une valeur prédictive positive très importante.
Jerôme Taieb – Et est-ce que, du coup, il faut porter cette montre la nuit ?
Walid Amara – Excellente question, parce que la qualité des enregistrements n’était pas la même. J’ai également une montre connectée, mon bracelet n’est pas très serré, donc je sais que je n’ai pas ma fréquence cardiaque qui est bien prise. Mais effectivement dans l’étude c’était plus valide quand c’était fait la nuit. Pourquoi ? Parce que la nuit on ne bouge pas. Personnellement, j’ai du mal à porter ma montre la nuit, donc j’ai tendance à l’enlever, mais on peut imaginer que là, effectivement, les résultats étaient plus intéressants lorsqu’on enregistrait la nuit, parce que on n’a pas le mouvement, on n’a pas les parasites.
Jerôme Taieb – Très bien
CRAVE : café et arythmie
Walid Amara – Maintenant c’est moi qui vais te poser la question, parce que tu as suivi également le congrès – quel a été ton coup de cœur, alors ?
Jerôme Taieb – Plusieurs l’ont été, mais c’est vrai que je me suis arrêté, même si je ne suis pas buveur de café, sur une étude qui s’intéressait au café et aux arythmies – c’était CRAVE [Coffee and Real-Time Atrial and Ventricular Ectopy]. Elle a enrôlé 100 volontaires qui devaient accepter pendant deux jours d’être tirés au sort, puisque c’était randomisé, de boire du café pendant deux jours ou de ne pas en boire du tout pendant deux jours. Ensuite, les moyens qui étaient utilisés, étaient qu’ils devaient porter un enregistreur ECG continu via le système Zio patch. La consommation de caféine quotidienne était renseignée sur une application smartphone connectée avec la montre, on avait fait une analyse de leur type de métabolisation de type génotypique – c’était soit lent, soit intermédiaire, soit rapide. Cela permettait de voir si cela influençait les résultats. La consommation de café était déterminée par randomisation, c’est-à-dire que pendant deux jours, à 20h ils avaient une notification qui leur arrivait pour leur dire « demain vous buvez du café » ou « vous n’en buvez pas » et il y avait encore un rappel le lendemain matin à 8h.
Résultats : il n’y a pas d’impact sur les extrasystoles atriales (ESA) – c’était un des critères –, il y a un petit impact sur les extrasystoles ventriculaires, donc il y a une augmentation du nombre d’extrasystoles ventriculaires – c’était le premier critère. Ce matériel embarqué a aussi été capable de mesurer le nombre de pas et le nombre d’heures de sommeil, du coup, il a pu être également mis en évidence que chez ces buveurs de café, le nombre de pas quotidiens était augmenté. C’est-à-dire que si vous buvez du café vous êtes un peu plus actif et vous dormez un petit peu moins. C’était corrélé, aussi, c’était plus vrai encore chez les métaboliseurs lents. C’est une petite étude quand même, ce sont des patients qui sont tous sains (100 patients sains), il n’y a pas de cardiopathie – mais en conclusion, si on boit du café, on augmente un peu les ESV, on est un peu plus agité, on bouge plus et on dort moins, voilà.
Walid Amara — Est-ce que cela te pousse à modifier quelque chose ? C’est vrai que les patients qui ont des troubles du rythme, on a tendance à leur dire de réduire la consommation de café. Est-ce que cela te pousse à ne presque plus en parler ?
Jérôme Taieb — Je ne crois pas qu’on puisse conclure. Ce cont des patients sains, jeunes – ils avaient 38 ans de moyenne d’âge – ce ne sont pas nos patients, donc je ne pense pas qu’on puisse extrapoler. Je dirais que c’est une première étude qui a l’avantage d’être randomisée, d’utiliser du matériel connecté, donc c’est intéressant. Maintenant, je pense quand même qu’on ne peut pas extrapoler ces résultats sur ce type de population, mais on peut en faire des études.
Étude I-STOP-AFib : les facteurs déclencheurs de fibrillation atriale
Jérôme Taieb — Tu t’es intéressé à une étude qui est sortie sur les triggers de la fibrillation auriculaire – peux-tu nous en parler ?
Walid Amara – Cela ressemble à ton étude. La différence est que cette fois-ci [dans I-STOP-AFib ] on sait très bien qu’il y a des facteurs qui étaient considérés comme classiques favorisant la FA – par exemple la consommation d’alcool, peut-être la consommation de café, peut-être d’autres éléments. Le chercheurs se sont intéressés, contrairement à l’autre étude, à des patients qui font de la FA, qui ont un smartphone, et cette fois-ci on va leur donner un enregistreur cardiaque et on va les randomiser – un groupe suivi standard et un groupe à qui on dit, pendant la première période de 6 semaines, d’évaluer s’ils ont été exposés à certains facteurs, ils peuvent choisir de s’exposer à certains facteurs comme l’alcool, le café notamment, et après cette période d’exposition, pendant 4 semaines on arrête l’exposition et on voit ce qui se passe. Donc on a des patients qui vont être un peu plus vieux que CRAVE, puisqu’ils ont 58 ans d’âge moyen, c’est un premier facteur, c’est différent. Ils ont évalué – parmi les facteurs chez 250 patients dans le groupe trigger et 250 dans le groupe monitoring – il y a 50 patients qui sont exposés à la caféine, 40 patients à l’alcool, 30 patients chez qui c’était la réduction du sommeil, 30 patients c’est l’exercice, dormir sur le côté gauche, se déshydrater, ceux qui mangent trop, ceux qui mangent froid ou boivent froid, etc.
Résultats : Qu’est-ce qui sort ? Le seul facteur qui est sorti comme favorisant du risque de FA comme facteur significatif, c’était l’alcool. Seul l’alcool était associé à une augmentation du risque de détection FA. Cela faisait des odds ratios autour de 2,15 – l’intervalle de confiance est 1,2 à 3,6 – et puis tout le reste était non significatif. C’est intéressant. Pour info, avec le café, c’était flat, un hasard ratio proche de 1, donc ce n’était vraiment pas du tout significatif. L’alcool on le savait déjà. On n’a pas trop de détail sur la quantité, mais ce ne sont pas des excès, c’est vraiment exposition à l’alcool ou l’exposition au café. Le café n’est pas sorti et l’alcool est sorti significatif. J’ai trouvé cela intéressant, car en tant que rythmologues on ne s’intéresse pas qu’aux procédures, mais également à l’hygiène de vie.
Jérôme Taieb — Cela nous rappelle un peu le holiday heart syndrome – la fameuse cuite du dimanche soir et la FA du lundi – d’après ce que tu dis, ce n’était pas des grosses consommations d’alcool, mais cela confirme le lien entre alcool et cœur. On le sait aussi pour les cardiomyopathies et pour la fibrillation auriculaire, même si ce sont des démonstrations qui peuvent être faites avec des études de plus grande ampleur et sur des malades plus malades. En tout cas, il y a quand même cette notion, et tous les autres ne sortent pas ; en tout cas, il n’y a que celui-là qui sort.
Je pense qu’on va peut-être conclure sur cette dernière étude. On remercie Medscape pour avoir permis cet échange et on vous dit à très bientôt pour les prochaines émissions. Merci !
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Citer cet article: Montres connectées, consommation de café et d’alcool : l’actualité de la rythmologie à l’AHA 2021 - Medscape - 26 nov 2021.
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