Tour d’horizon des nouveautés présentées à l’ESC Congress 2021 dans le domaine de l’hypertension artérielle : Romain Boulestreau et Guillaume Lamirault du Club des Jeunes Hypertensiologues ont retenu plusieurs études d'intervention :
HTA et consommation de sel : il n’y a pas que SSaSS qui a fait sensation au congrès de l’ESC. Une autre étude chinoise, DECIDE-Salt , montre elle aussi un bénéfice des substituts de sel sur la santé cardiovasculaire chez les sujets âgés.
l’essai QUARTET a comparé une monothérapie classique (irbesartan 150 mg) à une quadrithérapie très faiblement dosée (irbesartan 37,5 mg, amlodipine 1,25 mg, indapamide 0,625 mg, et bisoprolol 2,5 mg) et administrée en 1 seul comprimé chez des patients avec une HTA légère.[1]
l’étude STEP montre un net bénéfice CV du traitement antihypertenseur intensif versus le traitement standard chez les patients hypertendus âgés (60-80 ans) par ailleurs en bonne santé. [2]
Une étude menée en partenariat avec l’OMS a évalué la prévalence de l’HTA et les progrès thérapeutiques dans le monde entre 1990 et 2019 (104 millions de participants). La France n’a pas suffisamment progressé par rapport à d’autres pays...[3]
L’étude HERB-DH1 a évalué l’efficacité d’une application mobile incitant les patients (hypertendus de grade 1) à prendre des mesures hygiéno-diététiques (consommation de sel et d’alcool, sommeil, activité physique, gestion du poids et du stress etc…). [4]
De nouvelles recommandations de prévention cardiovasculaire [5] ont été présentées : pour l’HTA, pas de changement par rapport aux recommandations de 2018.
TRANSCRIPTION
Guillaume Lamirault – Bonjour. Bienvenue dans cette nouvelle session d’actualité proposée par le Club des Jeunes Hypertensiologues en partenariat avec Medscape. Je suis le Dr Guillaume Lamirault, cardiologue au CHU de Nantes, et j’ai le plaisir d’accueillir le Dr Romain Boulestreau, cardiologue au CHU de Bordeaux.
Cette session de la Société européenne de cardiologie (ESC 2021) a été assez riche pour l’hypertension artérielle, plutôt un « bon cru » si on peut dire, et je propose de parler de quelques études d’intervention qui ont été présentées à ce congrès, et qui étaient tout à fait intéressantes, notamment des travaux sur le sel.
DECIDE-Salt, SSaSS : bénéfice des substituts sodés sur la santé CV des sujets âgés
Romain Boulestreau – On a effectivement eu de belles études d’intervention, et il y en a trois qui m’ont marqué. Les premières sont sur le sel et surtout les substituts sodés, donc sur les sels de potassium. On a deux belles études chinoises, une qui s’appelle DECIDE-Salt , et une qui s’appelle SSaSS dont on a déjà parlé sur Medscape.
DECIDE-Salt, menée chez des patients qui sont en maison de retraite, donc plutôt âgés, a testé soit de réduire progressivement leur consommation sodée sans changer de sel, soit de remplacer leur sel par des substituts avec 65 % de NaCl et 25 % de potassium.
Résultats : Il est très intéressant de voir que la restriction sodée progressive ne marche pas du tout, ni sur la baisse de la natriurèse de 24 h, ni sur la pression, ni sur les événements cardiovasculaires, alors que les substituts sodés marchent bien mieux : cela diminue à la fois la natriurèse de 24 h, la pression artérielle de 7 à 8 mm Hg en moyenne et surtout les événements cardiovasculaires, et notamment l’insuffisance cardiaque.
La même année on a donc DECIDE-Salt, et aussi SSaSS qui porte sur une population un peu différente, toujours en Chine, mais sur 20 000 patients qui vivent dans des villages chinois et qui ont plus de 60 ans. Elle montre qu’en remplaçant leur consommation sodée par des substituts on diminue, là encore, les événements cardiovasculaires et l’insuffisance cardiaque de façon drastique, alors qu’on a eu une action non pharmacologique plutôt assez simple.
Donc j’ai trouvé cela très intéressant et cela replace un peu les substituts sodés comme un moyen d’action principal, alors que dans mon sentiment ce n’était pas quelque chose qu’on utilisait forcément énormément en cardiologie. Le petit message de sécurité est qu’il faut faire attention parce qu’évidemment, comme il y a du potassium dans les sels de substitution, le risque d’hyperkaliémie augmente. Globalement, la kaliémie augmente de 0,3 mmol/L et donc il faut bien sûr être vigilant et peut-être ne pas le proposer a des gens qui ont déjà une kaliémie à la limite supérieure de la normale.
QUARTET : monothérapie classique vs une quadrithérapie faiblement dosée
Romain Boulestreau– Une autre étude très intéressante était QUARTET [1] . C’est un essai qui a testé chez des patients hypertendus plutôt légers soit une monothérapie – de l’irbesartan 150 mg, ce qui est très classique – soit une quadrithérapie très faiblement dosée dans un seul comprimé. Et on va avoir 2,5 mg de bisoprolol, 0,625 mg d’indapamide, donc un quart de dose de diurétique, un peu d’inhibiteur calcique, de l’Amlor et un peu d’ARA2 – quart de dose.
Résultats : On se rend compte que cette initiation de thérapie en quart de dose diminue la pression artérielle de 22 mm Hg, soit nettement plus que la monothérapie avec une moyenne de différence entre 7 à 8 mm Hg, là encore, et cela s’est prolongé à 12 mois, même si dans le groupe monothérapie on a augmenté le traitement – à 12 mois, c’est toujours la polypill qui est meilleure, avec une meilleure baisse de pression artérielle.
C’est intéressant parce que cela rappelle que l’hypertension artérielle essentielle est une pathologie qui est polygénique, avec plusieurs systèmes qui dysfonctionnent et que cela ne sert à rien d’aller « monter » une monothérapie à pleine dose quand on est loin de l’objectif. Ce qu’il faut, c’est associer les traitements. On le sait bien et on a des thérapies associées qui marchent bien. Donc cela rappelle le message des recommandations : si on démarre en monothérapie – ce que les recommandations européennes ne recommandent même plus, elles disent de démarrer d’emblée en bithérapie – et qu’à un mois le patient n’est pas contrôlé, on passe d’emblée à une bithérapie, puis à une trithérapie, quitte à ce que ce ne soit pas à pleine dose, et ensuite on augmente les doses. Les recommandations nous disent : IEC, ARA2 ou calcique à un mois on associe les deux, à un mois un diurétique et quand on a la trithérapie, on peut augmenter les doses. Et QUARTET montre que cette stratégie-là marche bien, donc j’ai trouvé que le message était très intéressant.
STEP : traitement antihypertenseur intensif vs traitement standard chez les patients hypertendus âgés
Romain Boulestreau– La dernière étude que j’ai bien aimée est la STEP Study. [2] C’est encore une étude chinoise menée chez des patients de 60 à 80 ans qui étaient plutôt en bon état général, plutôt une population comme SPRINT – pas du tout une population d’EHPAD, de personnes âgées fragiles. Ils ont testé une pression de consultation cible à moins de 130 mm Hg ou à moins de 150 mm Hg.
Résultats : Le groupe traitement intensif avait une pression artérielle de consultation en moyenne à 125 mm Hg, le groupe traitement moins intensif à 135 mm Hg et les événements cardiovasculaires ont été, là encore, réduits de façon drastique dans le groupe intensif, avec moins 34 % d’AVC, moins 32 % de syndrome coronaire aigu, moins 73 % d’insuffisance cardiaque, ce qui est énorme ; et une mortalité cardiovasculaire qui a diminué de 28 %, ce qui, là encore, est énorme – sans baisse de la mortalité toutes causes et avec, finalement, assez peu d’effets secondaires, puisqu’on relevait surtout de l’hypotension orthostatique. Pas d’insuffisance rénale, pas de troubles ioniques, pas de fractures, de syncopes, etc. Donc le message, là encore, est cohérent avec les recommandations : c’était plutôt des patients un peu âgés, plutôt à haut risque cardiovasculaire, mais en bon état général, et ces patients-là, il vaut mieux les mettre à 125 millimètres de mercure qu’à 135. Il vaut mieux être franchement normotendu quand on est plutôt en bon état général que d’être à la limite. Donc il ne faut pas hésiter à intensifier le traitement. Quand on est autour de 135, 140 en pression de consultation, évidemment on fait une MAPA, des automesures, et si on est limite, on majore le traitement. Il ne faut pas avoir peur de cela et c’est largement bénéfique.
Voici ce que j’ai retenu pour les études d’intervention. Mais on avait aussi des belles données sur la population mondiale, n’est-ce pas ?
Prévalence de l’HTA dans le monde (1990-2019)
Guillaume Lamirault– Oui. Donc c’est vrai les études d’intervention sont très intéressantes parce que cela renforce un certain nombre de messages qu’on commençait à avoir en tête. Et sur l’épidémiologie, comme tu le précises, il y a une étude récente publiée dans le Lancet [3] qui a été présentée lors de ce congrès. C’est vraiment une grosse étude qui fait référence, pilotée par l’Imperial College, à Londres, en partenariat avec l’OMS. Il s’agit d’une méta-analyse de 1200 études, 100 000 000 de patients âgés de 30 à 80 ans, représentatifs de plus de 180 pays, donc c’est vraiment un travail très important qui s’est attaché à évaluer la prévalence, le taux de détection de l’hypertension artérielle, le taux de traitement et le taux d’hypertendus contrôlés. Ce sont des éléments extrêmement importants en santé publique pour évaluer l’efficacité de nos pratiques. Les auteurs ont analysé les données entre 1990 et 2019 et ils ont réparti ces données par pays selon des grandes régions économiques ; donc on a une région occidentale dans laquelle est la France.

Illustration : Élodie Gazquez pour Medscape
Résultats : sur le plan global, le nombre d’hypertendus a doublé en 20 ans, de 650 000 000 à près de 1,3 milliard, mais cela cache des disparités avec une progression très importante et inquiétante en Asie, en Océanie, en Afrique du Nord. Il y aussi des améliorations, notamment en Europe, en tout cas dans certains pays, parce les données ne sont pas toutes semblables, même dans le même groupe économique.
Ce qui est intéressant, au-delà de l’aspect mondial et de l’épidémiologie, c’est qu’on peut tirer des conclusions par rapport à notre pratique en France. Je me suis intéressé au groupe « pays occidentaux » et les données d’ESTEBAN étaient dans cette étude. Donc on peut comparer nos données d’ESTEBAN à ce qui était retrouvé dans ce groupe. Le constat est simple : on n’est pas très bon. Globalement, par rapport à ESTEBAN, on est 10 points en dessous en termes de détection, 10 points en dessous en termes de contrôle, 10 points en dessous en termes de traitement. Donc, clairement, ces données sont intéressantes pour nous parce qu’on peut se comparer avec des pays comparables, et sur la cinétique des 20 dernières années. ESTEBAN avait montré (sur une période moins grande) qu’il n’y avait pas vraiment eu de progrès sur ces paramètres, éventuellement une dégradation chez les femmes. D’autres pays comme l’Allemagne, la Suisse, le Canada, ont fortement progressé en 20 ans sur ces paramètres et cela montre le chemin à réaliser, la prise de conscience et les actions qu’il faut mener en France.
Les auteurs essayent d’imaginer quels sont les leviers qui ont permis à certains pays, et pas à d’autres, de progresser. Ils sortent quelques hypothèses : la prise en charge de l’hypertension artérielle dans les soins primaires, le rôle des assurances maladie, ils réfléchissent aussi à l’impact pour avoir la polypill, alors peut-être pas en Europe, mais plutôt dans d’autres pays, et aussi la médecine digitale qui pourrait apporter, en plus de l’approche médicamenteuse et hygiénodiététique classique, des éléments pour augmenter la détection, le traitement, l’efficacité du traitement et finalement le contrôle tensionnel. Je peux juste regretter qu’ils n’aient pas trop regardé les différentes classes d’âge, mais ce sera peut-être l’objet d’un papier, parce qu’on peut se poser la question, par exemple, de ce qui se passe chez les jeunes avec la forte prévalence de l’obésité qui augmente, et on aurait aimé avoir des informations sur ces événements. Mais ce sera probablement pour une prochaine fois.
HERB-DH1 : efficacité d’une App de mesures hygiéno-diététiques
Guillaume Lamirault – Et justement autour de la médecine digitale, il y a eu l’étude HERB-DH1 . [4] C’est une recherche de l’équipe de Kazuomi Kario à l’université de Jichi, à côté de Tokyo, qui travaille beaucoup sur la technologie et le numérique. Ils ont fait cette étude d’intervention pour tester l’efficacité d’une application qui va inciter le patient à travailler sur un certain nombre de mesures hygiénodiététiques, des interventions clairement validées médicalement autour du sommeil, du sel, de la réduction de l’alcool, de l’effet de l’activité physique, de la réduction du poids et de la gestion du stress ― donc des choses qu’on connaît bien et qu’on a parfois du mal à faire avec nos patients en consultation.
Ils ont randomisé 400 patients en deux groupes : un groupe traité et un groupe contrôle. C’étaient des hypertendus de grade 1 et 2 pour lesquels, au début de l’étude, ils n’avaient pas de traitement hypertenseur avec des chiffres de tension en moyenne pour une MAPA sur 24 h à 145/95. Ce sont des patients en moyenne de 50 ans, 20 % de femmes.
Résultats : au bout de 12 semaines, avec cette application et monitoring du patient par le médecin via l’application, la pression artérielle moyenne systolique sur les 24 h a baissé de 5 mm Hg dans le groupe traité versus 2,5 dans le groupe contrôle, et c’est significatif. Il y avait un meilleur bénéfice pour les hypertensions de grade 2 et globalement les patients ont très bien adhéré au programme, puisqu’il y a un taux d’adhérence de 98 %. Dans une deuxième partie de l’étude, ils ont autorisé le démarrage des traitements et ils ont réévalué à 24 semaines, et on voit que l’effet différentiel obtenu à 12 semaines se maintient dans le temps. Donc c’est vraiment intéressant – ce n’est pas les traitements ou l’application, mais c’est en plus, et cela apporte vraiment un bénéfice supplémentaire. Donc c’est quelque chose qu’on peut envisager de mettre en pratique à assez court terme. En France, on a déjà démarré avec l’application SUIVI HTA par exemple, c’est la même chose, donc on peut encore progresser.
On voit que cela a bien marché sur le poids, le sel, le contrôle tensionnel. On n'en sait pas trop sur les paramètres biologiques, mais l’étude est de courte durée. Ce qu’on ne voit n’a pas trop dans l’étude, c’est l’impact sur le nombre de médicaments que prend le patient, à la fin. C’est-à-dire : est-ce que cela a permis de moins traiter les patients ou pas? Ce n’est pas très clair dans l’étude. C’est une étape supplémentaire dans le développement de cette médecine digitale, mais c’est toujours intéressant de voir qu’on a certainement un potentiel pour améliorer le contrôle tensionnel de nos patients avec cet outil, en plus des interventions disponibles.
Nouvelles recommandations de prévention cardiovasculaire
Guillaume Lamirault– Pour finir, un mot sur les recommandations de prévention cardiovasculaire [5] qui ont été présentées à ce congrès ?
Romain Boulestreau – Oui, bien sûr. On a eu des recommandations 2021 de « prévention cardiovasculaire », donc c’est assez large. Le message à retenir est que pour l’hypertension artérielle, cela n’a rien changé par rapport aux recommandations de 2018. Les seuils d’hypertension, les cibles tensionnelles et les moyens d’atteindre les cibles sont les mêmes. On a toujours les quatre clés :
on se base sur la mesure de la pression artérielle en ambulatoire, automesure ou MAPA,
on dépiste très tôt les HTA secondaires et on y pense systématiquement au début de la prise en charge,
on titre rapidement les traitements en les associant – on vient d’en parler,
et quand on atteint l’HTA résistante, on adresse à un confrère spécialisé.
Si on fait cela, on contrôle la majorité des patients et cela reste le message des recommandations de 2021.
Guillaume Lamirault – C’est très clair. Merci pour toutes les études que tu nous as présentées. On va clôturer cette session – je vous remercie pour votre attention. On remercie notre partenaire Medscape et on vous donne rendez-vous très prochainement pour d’autres vidéos du Club des jeunes hypertensiologues sur la chaîne Medscape. Merci à vous.
Mesure de la pression artérielle : recommandations européennes 2021
Dénervation rénale dans l’HTA : retour sur l’étude RADIANCE-HTN-TRIO avec le CjH
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Citer cet article: Hypertension artérielle : que montrent les études d’intervention de l’ESC 2021 ? - Medscape - 2 sept 2021.
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