Toronto, Canada – Les effets de doses thérapeutiques d’héparine variables chez les patients ayant le Covid-19 et dépendent du degré de gravité de la maladie : tels sont les résultats d’une étude clinique multiplateforme analysant les données de patients hospitalisés inclus dans trois études internationales.
Les patients atteints du Covid-19 hospitalisés en unité de soins intensifs (USI), ou ayant atteints ce niveau de gravité, n’ont pas tiré bénéfice du traitement anticoagulant avec l’héparine. Au contraire, les patients avec une forme modérée de la maladie – ne requérant pas une admission en USI – mais traités par la même anticoagulation ont, eux, connu un risque moindre de progresser vers une défaillance respiratoire ou cardiaque vitale imposant un traitement intensif, et ce malgré une survenue plus notable d’événements hémorragiques.
Au sein de deux articles, parus en ligne dans le New England Journal of Medicine, les auteurs de trois essais internationaux ont combiné leurs données en une seule étude multiplateforme qui apporte de forts arguments pour la prescription de doses thérapeutiques d’héparine chez les patients hospitalisés pour Covid ne nécessitant pas les soins en ICU initialement.
« De mon point de vue, cela va changer les règles » considère le Jeffrey S. Berger, co-investigateur principal d’ACTIV-4a et co-premier auteur de l’étude chez les patients non-critiques. « Je pense qu’utiliser l’anticoagulation à dose thérapeutique devrait améliorer l’évolution de dizaines de milliers de patients dans le monde. J’espère que nos travaux auront un impact global ».
Résultats centrés sur la sévérité de la maladie
L’essai multiplateforme a combiné les données de l’étude Antithrombotic Therapy to Ameliorate Complications of COVID-19 ATTACC [3], et de l’étude A Multicenter, Adaptive, Randomized Controlled Platform Trial of the Safety and Efficacy of Antithrombotic Strategies in Hospitalized Adults with COVID-19 (ACTIV-4a) et de Randomized, Embedded, Multifactorial Adaptive Platform Trial for Community-Acquired Pneumonia (REMAP-CAP) [4].
L’étude a évalué 2 219 patients hospitalisés avec une forme non-critique, 1 181 ont été randomisés pour recevoir une anticoagulation à dose thérapeutique mais également 1 098 patients ayant une forme sévère dont 534 ont reçu une anticoagulation à dose thérapeutique.
Chez les patients gravement atteints, ceux qui ont reçu des doses thérapeutiques d’héparine n’ont pas quitté plus précocement l’hôpital et n’ont pas passé moins de jours sous respirateur ou traitement cardiovasculaire intensif – oxygène, ventilation mécanique, vasopresseurs ou inotropes – comparativement à ceux qui ont reçu la thrombo-prophylaxie usuelle.
Les chercheurs ont interrompu l’étude dans les deux populations quand il est apparu évident que les doses anticoagulantes n’avaient pas d’effet chez les patients en état critique et, chez les patients modérément atteints, quand l’essai a atteint les critères pré-spécifiés de supériorité de la dose anticoagulante.
Les patients en ICU sous doses anticoagulantes d’héparine n’ont passé en moyenne passé qu’une 1 journée sans traitement pour défaillance multiviscérale contre 4 jours sans support médical intensif pour les patients recevant la prophylaxie anti thrombotique habituelle. Le pourcentage de patients critiques qui ont survécu au cours de l’hospitalisation était identique dans le groupe anti-coagulé et soins usuels : respectivement 62,7% et 64,5%. Des hémorragies majeures sont survenues chez 3,8% et 2,8% des patients, respectivement. Les caractéristiques démographiques et cliniques étaient similaires entre les deux groupes de patients.
En revanche, chez les patients présentant une forme non-critique de la maladie, des doses thérapeutiques d’héparine ont nettement amélioré l’évolution. Les chercheurs estiment que pour 1 000 patients hospitalisés avec un Covid qualifié de modéré, un traitement débuté avec une dose anticoagulante correspondant à la survie de 40 patients supplémentaire comparativement aux soins usuels.
Le pourcentage de patients qui n’ont pas eu besoin de traitements pour une défaillance poly-viscérale avant la sortie de l’hôpital est de 80,2% avec la dose thérapeutique d’héparine et 76,4% avec le traitement usuel. En termes d’odds ratios ajustés, le groupe anti coagulé a 27% de chances supplémentaires de ne pas nécessiter d’un traitement quotidien pour une défaillance viscérale.
Ces bénéfices sont minorés par la survenue additionnelle de sept hémorragies majeures pour 1 000 patients. Le taux de ces hémorragies majeures est de 1,9% chez les patient anti-coagulés et de 0,9% chez ceux ayant les soins habituels.
Pour Patrick R. Lawler (Peter Munk Cardiac Centre, Toronto General Hospital), investigateur principal de l’essai ATTACC, dit qu’il n’y a pas de raison pour que ces résultats ne s’appliquent pas à tous les variants de la maladie, y compris le variant Delta. Il note cependant que l’étude multiplateforme ne prend pas en compte les variants de la maladie. « Les essais en cours suivent les variants que présentent les patients et quels sont les variants les plus présents dans certains lieux », dit-il. « Il sera donc plus facile de s’intéresser à cette question dans les futures recherches ».
De l’efficacité variable de l’héparine
Cette étude n’explique pas spécifiquement pourquoi les patients modérément atteints vont mieux avec l’héparine, cependant le Dr Lawler avances plusieurs raisons possibles. « Cela pourrait être dû à l’extrême gravité de la maladie dans la population des ICU. A un stade très avancé de la maladie, l’héparine ne suffirait à contrer les effets d’une thrombose avancée et de l’atteinte organique associée » considère-t-il.
Il reconnait que l’héparine devrait avoir un bénéfice plus important considérant les taux plus élevés des macro-thromboses, notamment la maladie veineuse thromboembolique, chez les patients en ICU mais il ajoute « Cela peut aussi indiquer que le processus est très avancé et, qu’à ce point, l’héparine n’est plus adaptée pour inverser l’évolution des thromboses extensives associées à la défaillance multiviscérale »
Au fur et à mesure que les cliniciens ont acquis de l'expérience avec le Covid-19, ils ont compris que les patients infectés payent un lourd tribut aux macro et micro-thromboses, explique le Pr Berger (professeur associé en médecine et chirurgie et directeur du Prevention of Cardiovascular Disease à New York University Langone Health), ce qui expliquerait pourquoi il n’y a pas de réponse à l’héparine chez les patients gravissimes, considérant lui aussi que « les patients sont trop atteints pour en bénéficier ».
Cela n’élimine toutefois pas complètement les effets bénéfiques de l’anticoagulation chez les patients critiques. Il y a quelques scénarios où elle est nécessaire, ajoute le Pr Berger. « Si l’on est en présence d’un caillot, comme une macro-thrombose au niveau d’une jambe ou d’un poumon, une pleine dose d’héparine est indispensable » ajoute-t-il.
Cette approche rationnelle pourrait aider à concilier les différents résultats observés chez les patients critiques et non-critiques, écrit le Dr Hugo ten Cate (Maastricht University Netherlands), dans un éditorial [5]. Mais les différences entre les populations étudiées peuvent aussi expliquer la divergence des évolutions, note-t-il encore.
Les études suggèrent en effet que les patients critiques auraient besoin d’une approche anti thrombotique ne faisant pas appel à l’héparine, « voire à des stratégies pro-fibrinolytiques » écrit le Dr Cate, évidemment la sécurité et efficacité de la thrombo prophylaxie « demeure une question importante ». Néanmoins, ajoute-t-il, les praticiens sont obligés de composer avec le risque hémorragique quand ils emploient l’héparine de bas poids moléculaire chez les patients ayant un Covid-19 modéré. »
Deepak L. Bhatt du Brigham and Women's Hospital Heart & Vascular Center, Boston, précise dans une interview que réconcilier les deux études était en quelque sorte un défi, parce que les traitements efficaces ont un impact plus important chez les patients les plus malades.
« Bien sûr, avec les traitements anti-thrombotiques, les effets hémorragiques peuvent surpasser les bénéfices chez les patients qui sont à la fois à haut risque de saignements et de complications ischémiques, cependant cela ne semble pas être l’explication ici » précise le Dr Bhatt. « Je pense vraiment que nous avons besoin de plus de données pour clarifier quels patients avec un Covid bénéficieront des différents traitements antithrombotiques. Heureusement, des études sont en cours dont certaines seront bientôt publiées ».
Il est d’accord avec le Dr Berger sur le fait que les patients qui nécessitent une anticoagulation doivent la recevoir « indépendamment de leur statut Covid ». « Les patients malades hospitalisés ayant ou non le Covid-19 doivent recevoir la dose appropriée d’anti-coagulant prophylactique ». Pourtant, ajoute-t-il « devons-nous aller au-delà chez les patients Covid positif hospitalisés ? Cela nécessite, je pense, plus de données ».
La plateforme ATTACC a reçu des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et de plusieurs autres fondations de recherche. La plateforme ACTIV-4a a reçu un financement du National Heart, Lung, and Blood Institute. REMAP-CAP a reçu des financements de l'Union européenne et de plusieurs fondations internationales de recherche, ainsi que d'Amgen et Eisai.
Le Dr Lawler n'avait aucune relation à divulguer. Le Pr Berger a révélé avoir reçu des subventions du NHLBI et des relations financières avec AstraZeneca, Janssen et Amgen en dehors du travail soumis. Le Dr ten Cate a signalé des relations avec Alveron, Coagulation Profile, Portola/Alexion, Bayer, Pfizer, Stago, Leo Pharma, Daiichi et Gilead/Galapagos. Le Pr Bhatt est président du comité de sécurité et de surveillance des données de l'essai clinique d'anticoagulation FREEDOM COVID.
L’article a été publié sur MDEdge (du reseau Medscape) sous le titre Heparin's COVID-19 Benefit Greatest in Moderately Ill Patients. Traduit par le Dr Jean-Pierre Usdin.
Actualités Medscape © 2021 WebMD, LLC
Citer cet article: L’anticoagulation par héparine est plus bénéfique aux formes modérément graves de COVID-19 - Medscape - 24 août 2021.
Commenter