Le lait de chamelle, un « superaliment » contre le diabète ?

John Watson

Auteurs et déclarations

18 août 2021

Emirats Arabes Unis – Fermez les yeux et essayer de visualiser un chameau... Beaucoup vont avoir en tête l'image d'Epinal d'une caravane dans un paysage désertique au coucher du soleil. Mais personne ne pensera à un verre de lait frais. Et pourtant, cela pourrait changer prochainement grâce aux recherches sur le potentiel thérapeutique surprenant du lait de chamelle.

« Les effets bénéfiques du lait de chamelle sur la nutrition et la santé trouvent leur origine dans les croyances religieuses de différentes communautés musulmanes, dont l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (UAE) » écrivent Mohammed Ayoub et Sajid Maqsood, respectivement biologiste et spécialiste en science de l'alimentation dans les UAE dans un message électronique à Medscape.

Dans les régions où l'on trouve beaucoup de chameaux, le lait de chamelle est un aliment de base depuis toujours, consommé frais ou fermenté. Il est aussi utilisé depuis des siècles comme traitement traditionnel de diverses affections, depuis la tuberculose jusqu'à la gastroentérite.

De nombreuses études ont révélé qu'il avait les propriétés d'un superaliment : il est antihypertenseur, antimicrobien, antioxydatif, antithrombotique et anti-ulcérogène. Mais ce qui suscite le plus d'intérêt, ce sont les effets bénéfiques sur les marqueurs du diabète depuis le contrôle de la glycémie jusqu'à la résistance à l'insuline, démontrés dans les modèles animaux et dans des études cliniques. Ce remède traditionnel aurait-il des leçons à donner aux chercheurs ?

En quoi le lait de chamelle est-il si spécial ?

Les chameaux ont été domestiqués il y a 3000 à 4000 ans, ce qui est relativement récent, comme bêtes de somme. Grâce à leur capacité de stocker environ 36 kg de gras dans leurs bosses, ils peuvent marcher plus de 150 km et survivre, sans eau, pendant une semaine à des températures grimpant jusqu'à 49°C.

Parmi les ruminants herbivores – dont la nourriture fermente avant la digestion –, les chameaux sont ceux qui parviennent à tirer le meilleur du moins. Ils consomment la plus importante variété de plantes et leur digestion est plus efficace que celle des vaches. Les populations nomades considèrent que l'alimentation des chameaux joue un rôle clef pour la qualité médicinale de leur lait.

Les recherches scientifiques portant sur les propriétés du lait de chamelle n'ont débuté qu'il y a une trentaine d'années. Elles ont d'abord mis en évidence que les laits de vache et de chamelle avaient des taux de graisse, de protéine, de lactose et de calcium comparables. Mais le lait de chamelle se distingue par des taux de vitamine C et de minéraux essentiels plus élevés et une meilleure digestibilité.

On sait que les enfants avec des allergies au lait de vache peuvent boire du lait de chamelle sans souci, et notamment sans le phénomène de réactivité croisée observée avec les laits de chèvre ou de brebis. De fait, le lait de chamelle est le plus proche du lait maternel humain : pour les deux, l'α-lactalbumine est la protéine majorité et ces laits sont exempts de β-lactoglobuline, une protéine du lait de vache extrêmement allergisante.

Des propriétés antidiabétiques

Au-delà de son intérêt nutritionnel, la composition du lait de chamelle présenterait des propriétés antidiabétiques, avancent également les Dr Nader Lessan et Adam Buckley, tous deux endocrinologues à l'Imperial College London Diabetes Centre d'Abu Dhabi (UAE), qui mènent actuellement un essai clinique sur les effets du lait de chamelle sur l'insuline et la réponse incrétine. « Il a été montré que le lait de chamelle contient une protéine similaire à l'insuline qui ne coagule pas dans l'environnement acide de l'estomac » ont-ils expliqué à Medscape. « Les effets concernant l'abaissement du glucose du lait de chamelle pourraient en partie s'expliquer par ce mécanisme ».

Une récente étude in vitro menée par Mohammed Ayoub et Sajid Maqsood a éclairé les mécanismes moléculaires et cellulaires qui sous-tendent les effets antidiabétiques du lait de chamelle.

 
Le lait de chamelle est le plus proche du lait maternel humain.
 

« Nous avons identifié dans le lait de chamelle plusieurs fractions peptidiques qui ont des effets biologiques bénéfiques sur les différents marqueurs moléculaires du diabète (inhibition de la dipeptidyl peptidase IV et du récepteur à l'insuline humain et sa voie de signalisation cellulaire). On a aussi mis en évidence une augmentation du transport du glucose à l'intérieur des cellules » ont-ils poursuivi. « Ce travail apporte pour la première fois une base scientifique solide aux propriétés antidiabétiques du lait de chamelle ».

Tirer le meilleur du lait de chamelle

La production de lait de chamelle a été multipliée par 4,6 depuis 1961, date à laquelle on a commencé à collecter les données, ce qui témoigne d'un engouement au-delà des régions traditionnelles. Ainsi le projet CAMELMILK soutenu par l'Union Européenne a pour objectif de faire connaître ce produit dans le bassin méditerranéen. De plus en plus de consommateurs, de Chine à l'Australie, recherchent des produits à base de lait de chamelle. Aux Etats-Unis, des entreprises ont établi des partenariats avec des fermiers pour accroître la production.

 
Nous avons identifié dans le lait de chamelle plusieurs fractions peptidiques qui ont des effets biologiques bénéfiques sur les différents marqueurs moléculaires du diabète.
 

Cela ne signifie pas qu'on verra bientôt du lait de chamelle dans les rayons des supermarchés. Bien que leur nombre augmente, les chameaux restent une espèce laitière bien minoritaire, dont la production correspond à moins de 1 % de la production mondiale de lait. En tant que produit de niche, le lait de chamelle est plus cher que les autres laits. Or il faudrait consommer un demi-litre quotidiennement pour améliorer les marqueurs du diabète, ce qui équivaut à un coût prohibitif pour un grand nombre de consommateurs.

 
Dans 90 % des cas, le lait produit par les chameaux est en fait du lait de dromadaire.
 

Par ailleurs, on ne sait pas si le lait de chamelle conservera ses qualités quand il sera sous forme commerciale. Certains s'interrogent aussi quel impact aurait le changement du mode d'alimentation – depuis les grands espaces aux pratiques de l'élevage. La qualité du lait dépend de facteurs comme le stade de la lactation, l'origine géographique mais aussi l'alimentation des animaux.

Par ailleurs, on ignore encore dans quelle mesure les effets thérapeutiques dépendent de l'espèce. Dans 90 % des cas, le lait produit par les chameaux est en fait du lait de dromadaire (une bosse). Il n'est pas le même que celui des chameaux (deux bosses), moins répandus, que l'on trouve dans des pays de l'Asie continentale, comme la Chine et la Mongolie.

Conseils pour patients aventureux

Finalement, le lait de chamelle pourrait s'avérer la meilleure des promesses à suivre pour élaborer de nouveaux traitements. C'est la conclusion de l'étude de Mohammed Ayoub et Sajid Maqsood.

Mais étant donné le coup de projecteur sur les effets antidiabétiques, il n'est pas impossible que des patients curieux désirent essayer le lait de chamelle « en vrai ». Pour ces patients aventureux, qu'est-ce que les médecins doivent garder en tête ?

D'abord, il faut éviter le lait de chamelle cru. Bien que ce lait semble présenter des propriétés antimicrobiennes supérieures à celles du lait de vache, il présente à peu près les mêmes risques de contenir des bactéries E Coli, dont les souches pathogènes Streptococcus et Staphylococcus.

D'autre part, il faut rappeler que les camélidés sont les seuls animaux hôtes du MERS-CoV (Middle East respiratory syndrome coronavirus), un coronavirus susceptible d'infecter les humains.

Gare aux conclusions hâtives aussi. Bien que plusieurs études concluent que le lait de chamelle améliore le contrôle glycémique et diminue le besoin en insuline parmi les patients présentant un diabète de type 1, les Dr Lessan et Buckley déconseillent grandement de consommer du lait de chameau en tant que substitut à l'insuline. Ils soulignent « qu'aucun des mécanismes des effets du lait de chameau qu'ils ont mis en évidence n'est applicable pour le diabète de type 1 ».

 
Il faut éviter le lait de chamelle cru.
 

En outre, il faut aussi s'inquiéter des croyances concernant d'autres pathologies dans la mesure où la littérature scientifique accumule des études, de qualité assez variable, avec des résultats positifs pour le lait de chameau. D'ailleurs, la FDA a tenu à inclure le lait de chameau dans la liste des produits et thérapies qui n'ont pas apporté la preuve du bienfait de l'utilisation pour l'autisme.

Alors que le lait de chamelle est en train de passer de la recherche fondamentale aux études cliniques, son intérêt thérapeutique dans le diabète doit être confirmé. Pour un traitement millénaire... il y a encore beaucoup à apprendre.

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé « Camel Milk: A Centuries Old 'Superfood' as Diabetes Treatment ». Traduit par Marine Cygler.

Crédit photo : Getty Images
 

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